Après son élection, au printemps 2017, le Président de la République Emmanuel Macron avait fait de l’assainissement des finances publiques un axe essentiel de sa politique, par conviction sans doute mais aussi pour améliorer la crédibilité de la France au niveau européen. Au lendemain d’un audit de la Cour des comptes annonçant, il y a un peu plus de deux ans, un dérapage des comptes publics (un déficit public prévisible en 2017 de – 3,2 points de PIB au lieu des – 2,8 annoncés) et dénonçant l’insincérité de la loi de finances 2017 et du programme de stabilité transmis à la Commission européenne en avril 2017, le Premier ministre avait annoncé, dans son discours de politique générale, des mesures de redressement, notamment pour garantir, dès 2017, un déficit inférieur à 3 points de PIB, ce à quoi il est effectivement parvenu. Sur le moyen terme, il prévoyait le report de coûteuses mesures fiscales figurant dans le programme présidentiel (notamment la transformation du CICE en allègement de cotisations ou l’exonération de la taxe d’habitation) et surtout une baisse des dépenses publiques : correspondant à 3 points de PIB sur 5 ans, cette baisse correspondait à un effort considérable, voire déraisonnable, à répartir entre l’Etat, les collectivités territoriales et la protection sociale. Les mesures annoncées portaient notamment sur le gel du point d’indice des fonctionnaires et sur une forte diminution de leur nombre. La réforme des aides au logement ou celle de la formation professionnelle étaient alors présentées comme d’autres sources d’importantes économies.
Ces choix volontaristes se sont retrouvés dans la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 du 22 janvier 2018 : le solde public effectif y passait de – 2,9 points de PIB en 2017 à – 0,3 en 2022 et la dépense publique (hors crédit d’impôt) de 54,7 points de PIB à 51,1 points dans le même laps de temps.
Ces perspectives ont été largement perturbées depuis lors. Surtout, la doctrine gouvernementale a évolué, en fonction d’un contexte économique international beaucoup plus incertain, au fil d’une crise sociale violente et, peut-être, d’une réflexion sur la gouvernance : les nouvelles orientations en matière de finances publiques définies en juillet 2019 semblent en tout cas traduire une conception différente des politiques publiques à mener : hiérarchisation différente des priorités, renoncement à des réformes trop risquées, libéralisme moins affirmé.
Finances publiques 2018 : des indicateurs qui s’améliorent, des faiblesses structurelles qui perdurent
La situation économique de la France a été favorable en 2018 : la croissance a été de 1,7 % (moindre cependant, compte tenu d’un environnement extérieur moins favorable, que celle de 2017, qui a atteint 2,3 %). La croissance en 2018 est due notamment à l’augmentation des investissements des entreprises non financières et à la reprise de l’investissement public ; la progression des exportations a été supérieure à celle des importations ; les créations d’emploi ont été nombreuses même si le mouvement s’est ralenti par rapport à 2017 (182 000, contre 338 000 l’année précédente) et le taux de chômage a continué à baisser, certes doucement (9,1 % en moyenne annuelle, soit – 0,3 point par rapport à 2017, 8,8 % au dernier trimestre) ; enfin, le pouvoir d’achat des ménages a augmenté de 1,2 %.
Les indicateurs des finances publiques se sont également améliorés, en cohérence avec la loi de programmation. Ainsi, le déficit public s’est établi à 2,5 points de PIB, en baisse de 0,3 point par rapport à 2017. La dette publique s’est stabilisée à 98,4 % du PIB ; la dépense publique a baissé en volume de 0,3 point.
Malgré un tendanciel favorable, cette amélioration doit être regardée avec circonspection, comme, au demeurant, la Cour des comptes le fait traditionnellement[1] : en 2018, la baisse du déficit public résulte pour beaucoup d’une conjoncture favorable, forte croissance du PIB et bonnes rentrées fiscales qui ont compensé une part de la baisse des impôts. Le déficit dit structurel, celui constaté lorsque la croissance n’entraine pas de tension sur les prix, estimé à 2,3 point de PIB, n’a baissé que de 0,1 point en 2018 et se situe à un niveau bien plus élevé que dans les autres pays européens, où il est en général inférieur à 1. Ce déficit structurel 2018 est également plus élevé que les prévisions de la loi de programmation, qui le fixait, de manière trop volontariste à 2,1 point de PIB. Or, ce déficit structurel mesure (au moins en théorie car il est difficile à calculer) la part du déséquilibre entre dépenses publiques et prélèvements obligatoires qui est indépendante de la conjoncture : l’on pourrait dire qu’il mesure le déséquilibre en situation de croissance « normale » (ou « PIB potentiel »). C’est ce déficit qui doit être prioritairement amélioré car sa diminution rend un pays moins vulnérable aux à-coups conjoncturels : faute qu’il soit réduit, toute crise fait s’envoler le déficit effectif au-delà des normes raisonnables. Il est donc logique que les règles budgétaires européennes imposent un équilibre structurel des comptes publics et, pour les pays situés en dessous d’un objectif de moyen terme, une réduction d’au moins 0,5 point par an de leur déficit structurel, davantage pour les pays très endettés comme la France. La France n’a pas respecté cet impératif en 2018. Cet état de fait est de long terme et l’« effort structurel » (les mesures tendant à réduire ce déficit ) a toujours été en France en dents de scie[2]. C’est une faiblesse.
Enfin, le déficit public 2018 recouvre désormais le seul déficit de l’Etat (les administrations publiques sociales et locales sont en équilibre). Celui-ci s’est aggravé, en 2018, atteignant 70 Mds, compte tenu d’allégements fiscaux sans précédent (suppression de la première tranche de la taxe d’habitation, transformation de l’ISF, baisse des prélèvements sur les revenus du capital, engagement d’une baisse pluriannuelle de l’impôt sur les sociétés, hausse du taux du CICE en 2017, crédit d’impôt répercuté sur 2018). La hausse de la fiscalité énergétique, la baisse des dépenses de l’Etat en volume et l’augmentation spontanée des recettes fiscales liée à la croissance n’ont pas réussi à compenser complètement l’impact de ces allégements.
La baisse des dépenses publiques est également à relativiser : elle n’est constatable qu’avec l’application, pour calculer l’évolution des dépenses en volume, de l’indice d’évolution des prix hors tabac (qui a été élevé en 2018, compte tenu du renchérissement du prix des carburants) et si l’on englobe toutes les dépenses. La Cour des comptes préfère mesurer l’évolution des dépenses publiques pilotables (celles dont les pouvoirs publics maitrisent l’évolution, hors, par exemple, les intérêts de la dette ou le prélèvement sur recettes destiné à l’Union européenne) et appliquer l’indice, plus réaliste en l’occurrence, « prix du PIB » : avec cette méthode de calcul, les dépenses publiques augmentent, légèrement il est vrai.
Enfin, malgré cette amélioration, la position relative de la France en Europe reste mauvaise : la Cour des comptes souligne que son déficit public, même un peu réduit, reste supérieur de 2 points à la moyenne de la zone euro (0,5 point de PIB), que son déficit structurel est beaucoup plus élevé (2,3 contre 0,7 point dans la zone euro) et que, si sa dette se stabilise, celle des autres pays baisse.
Surtout, l’évolution favorable des indicateurs ne dit rien de la suite : en cas de crise financière, du fait d’un déficit structurel très élevé, la France reste plus exposée que les pays européens qui ont davantage assaini leur situation. En tout état de cause, l’effort d’apurement des comptes publics ne peut s’opérer que sur la durée, en programmant un « effort structurel » raisonnable qui fasse l’objet d’un consensus national et ne donne pas le sentiment, comme cela a été le cas de par la politique fiscale menée en 2018, de trop favoriser certaines catégories d’acteurs économiques.
2019 : dégradation du contexte économique, crise sociale, dérapage des finances publiques
Dès l’origine, l’année 2019 devait être une année exceptionnelle compte tenu de la charge du CICE dû au titre de l’année précédente et de sa transformation en cotisations sociales prises en charge par l’Etat. En septembre 2018, le PLF a donc dégradé le déficit public 2019 prévu à – 2,8 points de PIB. La trajectoire devait ensuite se rétablir progressivement et aboutir en 2022, comme prévu, à un déficit public de -0,3 points.
Ensuite, la situation a dérapé.
D’une part, avec les annonces de décembre 2018 destinées à apaiser le mouvement des gilets jaunes, les dépenses ont augmenté de près de 11 Mds (annulation de la hausse de la fiscalité écologique, augmentation de la prime d’activité, élargissement du périmètre du chèque énergie et de la prime de conversion, avancement au 1er janvier de la date d’effet des exonérations d’heures supplémentaires, annulation de la hausse de CSG sur les retraites modestes), augmentation en partie compensée, il est vrai, par des mesures nouvelles d’économie ou de hausse de recettes. En avril 2019, d’autres mesures, dont le gouvernement a annoncé alors qu’elles seraient compensées mais sans autre précision[3], ont réduit les recettes et augmenté les charges à partir de 2020 : engagement de diminuer de 5 Mds l’IRPP dès 2020 au bénéfice des classes moyennes, réindexation des pensions des retraités modestes, amélioration du minimum contributif (2 mesures dont le coût est estimé à 1,5 Mds) et reconduction pour un an de la prime exceptionnelle de fin d’année non soumises à prélèvement.
D’autre part et surtout, les prévisions tiennent compte dès le début de 2019 d’un changement d’hypothèses économiques : le PLF 2019 avait été établi sur une croissance à 1,7 en 2019 et pour les années suivantes ; au final, le chiffre retenu est aujourd’hui de 1,4 %. Dans le débat d’orientation des finances publiques de juillet 2019, le déficit prévisionnel 2019 a donc été dégradé à 3,1 point et, parallèlement, le déficit de 2022 prévu à hauteur de 1,3 point. Quant au déficit structurel, il devait atteindre -0,8 en 2022 dans la loi de programmation 2018-2022 et désormais, en juillet 2019, il est fixé à 1,5.
L’impression dominante est double : les pouvoirs publics paraissent ballotés par la conjoncture économique et sociale et, dans les orientations arrêtées aujourd’hui, réagissent en ajustant la trajectoire des finances publiques à la baisse mais sans en changer la pente. Celle-ci paraissait dès l’origine très volontariste et raide, surtout s’agissant de la réduction du déficit structurel. Elle devient irréaliste. Dès 2019, la Cour des comptes doute que le déficit structurel puisse baisser de 0,1 point comme prévu. En tout cas, passer d’un déficit structurel de 2,2 en 2020 à 1,8 en 2021 et à 1,5 en 2022 (comme le prévoit le document de juillet 2019 sur les orientations budgétaires) relèverait de la magie noire.
De plus, la ligne politique suivie n’est plus claire : au départ, elle conjuguait deux priorités, une politique de l’offre abaissant la fiscalité des entreprises et des contribuables fortunés dans l’espoir d’améliorer la compétitivité et une politique de rétablissement des comptes publics assise sur une forte baisse des dépenses. Aujourd’hui, la politique de l’offre est maintenue même si les mesures d’allégement de la fiscalité sur les entreprises sont un peu plus étalées que prévu à l’origine mais la baisse des impôts, qui s’amplifie, poursuit des objectifs radicalement différents de gain de pouvoir d’achat des classes moyennes et les dépenses repartent à la hausse. La cohérence paraît perdue.
Le sens des choix faits
Avec les annonces d’avril 2019 et, en particulier, la baisse de l’IRPP et le retour progressif à l’indexation des pensions, puis avec l’abandon de la réduction massive des effectifs de fonctionnaires[4], le gouvernement ne dispose plus que d’un nombre d’instruments réduit pour combattre le déficit public : il table certes sur la réforme de l’assurance chômage, qui devrait rapporter 3,4 Mds d’ici à 2021, sur le changement du mode de calcul des aides au logement[5], sur la réduction progressive de quelques niches fiscales (taxation du gazole non routier, correction apportée au Crédit impôt recherche, sans doute fin de la déduction forfaitaire sur l’assiette salariale pour frais professionnels et réduction de la déduction fiscale pour mécénat d’entreprise), sachant qu’il rencontre en ce domaine des difficultés car, au fond, certaines niches sont utiles et les corrections doivent être limitées et progressives. La faiblesse des taux d’intérêts servis pour la dette devrait compléter la donne. C’est une renonciation, en tout cas à réduire le déficit structurel, l’objectif devenant plutôt de limiter la casse et de « passer entre les gouttes » des règles européennes. Comme avant.
Par ailleurs, le changement de gouvernance est net : depuis la crise des gilets jaunes, depuis les protestations des retraités, l’on constate une renonciation au passage en force, au moins sur certains dossiers (certes pas sur la réforme de l’assurance chômage) comme au discours des vainqueurs d’hier sur la transformation du pays à la hussarde. Les recettes traditionnelles de la droite, qui a toujours assimilé réforme de l’Etat et réduction des dépenses publiques par diminution du nombre des fonctionnaires et des prestations sociales, ne sont plus qu’imparfaitement appliquées. Il est difficile de s’en plaindre, même si le sens des politiques menées se brouille. Reste la volonté de sauvegarder certaines grandes réformes et, sans doute, d’en faire les marqueurs du quinquennat : baisse de l’impôt sur les sociétés, réforme de l’assurance chômage, du droit du travail et de la formation professionnelle, réforme des retraites (le report de la réforme à un horizon considéré comme lointain va atténuer les protestations), contractualisation avec les collectivités pour les plier à une maîtrise des dépenses, réforme de la fiscalité locale. Comme ces prédécesseurs, le pouvoir actuel a décidé de renoncer à réduire le déficit et la dette pour protéger quelques priorités politiques. C’est un choix compréhensible mais un pari risqué : une fois de plus, la question des finances publiques, essentielle sur le long terme, reste sans vraie réponse.
Pergama, le 11 août 2019
[1] La situation et les perspectives des finances publiques, Cour des comptes, juin 2019
[2] Voir la fiche « FIPECO » du 5 juin 2019 « L’effort structurel de réduction du déficit public depuis 30 ans »
[3] Ces mesures devraient finalement l’être, partiellement, par le décalage d’un an de la suppression totale de la taxe d’habitation, par la réduction de dépenses publiques et par l’aménagement de niches fiscales.
[4] Cet abandon n’est pas total : l’engagement du ministre des comptes publics est de baisser le nombre des fonctionnaires d’Etat de 15 000 agents d’ici 2022.
[5] La réforme, qui consiste à calculer les aides sur le revenu des 12 mois précédent réévalué et non pas sur le revenu de N-2, devrait être mise en œuvre en 2020