Loi santé: une réforme sans grandes ambitions

Autonomie des collectivités : où en est la France?
4 août 2019
Remédier aux dysfonctionnements des Prud’hommes
11 août 2019

Loi santé: une réforme sans grandes ambitions

La loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé promulguée le 24 juillet 2019 résulte de la « stratégie santé 2022 » présentée à l’automne 2018, il y a moins d’un an. A l’époque, le Président de la République évoquait une « restructuration du système de santé pour les 50 ans à venir » : répondre aux défis du vieillissement, décloisonner un système organisé sur la séparation entre médecine de ville et hôpital, améliorer la qualité des soins, s’adapter aux besoins du patient, former suffisamment de médecins, mieux répartir les tâches entre les professionnels de santé, satisfaire la demande dans les territoires démunis, tels étaient les objectifs mentionnés dans un discours d’E. Macron en septembre 2018 que le futur projet de loi devait concrétiser. A l’arrivée, la loi n’est pas très différente du projet d’origine et pourtant, elle déçoit, même si certaines dispositions sont de bon sens.

Que dit la loi ? Elle traite de multiples sujets.

La loi réforme d’abord le premier cycle des études médicales : pour limiter les conséquences d’un échec en première année, elle organise des passerelles avec d’autres formations et donne aux étudiants de certaines licences la possibilité d’accéder en 2e ou 3e année aux études de santé. Elle supprime le numerus clausus, qui fixe annuellement le nombre d’étudiants en médecine admis en 2e année. Ce système est remplacé par la détermination de « capacités d’accueil » des universités tenant compte d’objectifs pluriannuels nationaux permettant de répondre aux besoins de santé : intellectuellement, ce dispositif revient exactement au même que le numerus clausus mais insiste sur une nécessaire réflexion préalable pour éviter des à-coups critiquables. La suppression du numerus clausus n’aura en tout cas pas d’impact sur l’offre de soins dans les territoires sous-dotés, comme certaines présentations quelque peu manipulatrices ont pu le laisser croire : même si les objectifs nationaux augmentent, la répartition sera toujours aussi inégalitaire. La loi contient également une nième réforme de la formation continue des personnels de santé : le gouvernement organisera, par ordonnance, une « re-certification » périodique permettant de vérifier le maintien des compétences des médecins (comme d’autres professionnels de santé) tout au long de la vie professionnelle. Ces réformes sont bienvenues mais elles auront un impact limité sur le système de santé.

Pour lutter contre les déserts médicaux, la loi innove peu, voire pas du tout : elle en reste à des mesures incitatives (l’on sait que de telles mesures se sont multipliées depuis plus de 12 ans sans obtenir de résultats probants). Elle sécurise le contrat d’engagement de service public (bourse aux étudiants en contrepartie d’une installation dans des territoires défavorisés) et étend aux zones sous dotées le recours au statut de médecin adjoint offert, à certaines conditions, à des étudiants en médecine pour « assister » un médecin installé. Les pharmaciens pourront délivrer certains médicaments pour des pathologies bégnines, les infirmiers adapter certaines posologies, les orthoptistes adapter des prescriptions de verres dans le cadre d’un renouvellement et la situation des praticiens diplômés hors Union européenne pourra être régularisée au cas par cas. Enfin, certains personnels soignants (pharmaciens, infirmiers) pourront pratiquer le télé-soin et suivre à distance certains patients. Rien de décisif dans ces ajustements : inlassablement, les pouvoirs publics apportent des améliorations minimes aux dispositifs existants sans solutionner un problème récurrent. Il est vrai que les solutions miracle n’existent pas en ce domaine mais la présentation ampoulée de telles réformes, chaque fois censées apporter une solution décisive, est un peu lassante.

Le thème du décloisonnement du système de soins ne reçoit pas non plus une réponse convaincante.  La loi remet à l’ordre du jour une structure de coopération volontaire entre les acteurs de santé créée par la loi santé du 26 janvier 2016, les communautés professionnelles de territoires de santé (CPTS). L’objectif est que les praticiens s’organisent pour mieux prendre en charge collectivement un problème de santé. La loi de 2019 ajoute peu au dispositif existant, qui ne s’était guère développé depuis la loi de 2016, sauf une notion à peine nouvelle, le projet territorial de santé (qui traite de l’amélioration de l’accès aux soins et de leur continuité sur un territoire), dont l’établissement par les élus et l’ensemble des acteurs de santé permet à l’ARS de vérifier la cohérence du projet des communautés professionnelles avec les besoins. En septembre 2018, le gouvernement évoquait la généralisation de la création de telles communautés auxquelles étaient assignées, contre rémunération, des missions précises et décisives : garantir l’accès à un médecin dans la journée en cas d’urgence, garantir pour tous l’accès à un médecin traitant, organiser l’accès aux médecins spécialistes « dans un délai approprié », organiser et sécuriser les passages entre ville et hôpital, maintenir à domicile les personnes fragiles, âgées ou souffrant de polypathologies. Au final, selon la loi du 24 juillet 2019, le dispositif reste facultatif, même si une négociation conventionnelle encouragera financièrement la formule. Ponctuellement, les communautés amélioreront sans doute, là où elles existeront, la fluidité des certaines réponses. L’on comprend mal toutefois comment elles pourraient répondre aux problématiques lourdes d’accès aux soins et de décloisonnement des soins entre libéraux et établissements de soin.

La loi par ailleurs crée un label spécifique pour certains établissements (sans doute 500 à 600), dénommés hôpitaux de proximité, avec des services de « médecine » (donc en principe sans chirurgie ni maternité) et de réadaptation, des consultations spécialisées et un plateau technique d’imagerie médicale, d’analyses et de télésanté. L’objectif est d’assurer dans de bonnes conditions le premier niveau de soins hospitaliers et une collaboration avec les médecins de ville. Une ordonnance précisera les critères d’attribution du label et les modes de fonctionnement de tels établissements. La disposition a le mérite de clarifier une stratégie d’organisation des soins hospitaliers de premier niveau poursuivie depuis des décennies mais qui peine à s’imposer. Si elle parvient à en améliorer la qualité et à faire fonctionner des établissements de premier recours dans des territoires sous-dotés, elle sera utile. Mais il ne s’agit là que d’un aspect de l’organisation des soins et la qualité de la réponse reste incertaine.

Enfin, chaque assuré devra d’ici à 2022 être doté d’un espace numérique de santé et une plateforme réunissant les données de santé des Français et les actes pris en charge par l’Assurance maladie sera créée.

Au final, cette multitude de mesures forme un patchwork peu convaincant. Pourtant, les ambitions affichées à l’origine sont les bonnes : meilleure cohérence entre soins et prévention mais aussi entre soins de ville et hôpital, en favorisant des parcours coordonnés ; réorganisation des soins de proximité, identifiés comme le facteur clé d’une amélioration qualitative de la prise en charge et, à terme, d’une baisse des dépenses, en évitant les hospitalisations inadéquates ; meilleur suivi des malades chroniques grâce à une approche collective des soins, en particulier entre paramédicaux et médecins, entre médecins libéraux et établissements de santé. Les réformes du système de santé (qui se multiplient depuis la loi de 2009 Hôpital, patients, santé territoires), ont toutes été pour l’instant très en retrait de ces intentions, sans s’attaquer non plus (ou alors très indirectement) aux difficultés conjoncturelles des établissements de santé. Il est vrai que l’aggravation des déserts médicaux rend les restructurations hospitalières plus difficiles ; que, dans un système encore hospitalo-centré, la collaboration entre établissements et libéraux reste balbutiante ; que les établissements publics de santé, soumis à des injonctions d’amélioration de productivité jugées excessives, souffrent d’une régulation exclusivement financière ; que les médecins libéraux, pour la plupart attachés à un mode d’exercice traditionnel, sont réticents à toute contrainte et rarement favorables au partage des compétences avec des personnels paramédicaux. Reste qu’en apportant des réponses par petites touches tout en proclamant qu’il affronte enfin les vraies questions, le gouvernement n’accroît pas sa crédibilité sur le moyen terme et surtout, ne résout pas grand-chose.