Le Conseil constitutionnel et la loi de transformation de la Fonction publique

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Le Conseil constitutionnel et la loi de transformation de la Fonction publique

Le Conseil constitutionnel a été saisi d’un recours sur trois dispositions de la loi de transformation de la fonction publique : la modification des compétences des Commissions administratives paritaires et, plus largement, les modifications apportées aux instances de dialogue social (création d’un Comité social fusionnant l’ancien Comité technique et le CHSCT) ; l’encadrement du droit de grève dans la fonction publique territoriale ; enfin, l’élargissement des possibilités de recrutement des contractuels. Sur les 3 points, le Conseil a, le 1er août dernier, jugé la loi conforme à la Constitution.

Ce n’est guère étonnant sur les deux premiers points.

Rappelons que la loi modifie la composition et les compétences des CAP, commissions administratives paritaires composées pour moitié de représentants élus par les membres du corps et pour moitié par des représentants de l’administration, qui émettent aujourd’hui un avis sur les décisions individuelles qui ont un impact sur la carrière des agents et la gestion des corps (pour l’essentiel, les mutations, avancements, licenciements). Ces commissions seront désormais constituées par catégories hiérarchiques (A, B ou C), voire, dans les administrations de taille réduite, communes à plusieurs catégories hiérarchiques. De plus, elles n’auront plus compétence sur les mutations ni sur l’avancement de grades ou les promotions par changement de corps. Elles ne resteront compétentes que pour les recours sur les évaluations individuelles et pour donner un avis sur les questions disciplinaires et les licenciements pour insuffisance professionnelle ou, en retour de disponibilité, après refus des postes offerts.

Le recours arguait que de telles dispositions privent les fonctionnaires de la garantie constitutionnelle du principe de participation, en vertu duquel les travailleurs sont associés à la détermination de leurs conditions de travail. Le Conseil rappelle qu’il a toujours reconnu, dans sa jurisprudence, que, l’article 34 de la Constitution rangeant dans le domaine de la loi la fixation des garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires, il appartient au législateur de définir les conditions de mise en œuvre du principe de participation. De plus, des jugements précédents ont permis de dissocier les instances de participation proprement dites (dont les compétences portent sur les conditions de travail) des instances en charge des questions individuelles de carrière. De même l’institution d’un Comité social est considérée comme une mesure de mise en œuvre du principe constitutionnel qui ne le dénature pas, d’autant que cette instance reprend les compétences dévolues au CHSCT dans le domaine de la santé au travail.

S’agissant de l’encadrement du droit de grève dans la fonction publique territoriale, la loi prévoit la possibilité d’un accord collectif de « continuité de service » fixant le nombre et les fonctions des agents jugés indispensables pour assurer la continuité de service en cas de grève ; l’obligation de déclaration préalable de l’intention de tels agents de faire grève ; l’obligation qui peut leur être faite d’entrer en grève dès la prise de service jusqu’à sa fin.

Le conseil rappelle que la Constitution permet à la loi d’encadrer et de limiter le droit de grève et que sa propre jurisprudence admet que la loi puisse tracer la frontière entre un recours licite à la grève et un recours abusif. Dès lors que le champ de la réglementation attaquée est circonscrit à des agents publics dont la présence est indispensable, ni la prévention des conséquences d’une grève, ni l’obligation de déclaration préalable et d’exercer le droit de grève dans un cadre déterminé pour éviter la désorganisation du service n’apparaissent comme des limitations excessives de ce droit.

Quant au recrutement de contractuels, la loi l’élargit considérablement dans la fonction publique : toutes les catégories hiérarchiques sont désormais concernées. Aux conditions traditionnelles posées jusqu’alors pour le recrutement aux seuls emplois de catégorie A (il faut que la nature des emplois ou les besoins du service le justifient, ce qui renvoie respectivement à la possession de compétences que les fonctionnaires ordinaires ne possèdent pas ou à l’impossibilité de pourvoir un poste par un titulaire), s’ajoute désormais une condition facile à remplir : « lorsque les fonctions ne nécessitent pas une formation statutaire donnant lieu à titularisation ». Il sera donc loisible, du moins dans la fonction publique d’Etat (la disposition ne vaut que pour elle) de recruter indifféremment des fonctionnaires ou des contractuels quasiment à tous les postes. En outre, le projet élargit les emplois à responsabilité ouverts sans condition aux contractuels : tous les « emplois de direction » leur seront ouverts dans la fonction publique d’Etat (ceux-ci seront listés par décret et seront sans doute beaucoup plus nombreux que les emplois supérieurs actuels), le seuil démographique qui ouvre droit aux emplois fonctionnels dans les collectivités sera abaissé et, pour les établissements relevant de la Fonction publique hospitalière, le directeur aura le droit de recruter librement des contractuels à certains emplois « supérieurs ».

Le Conseil a jugé le recours en droit : s’agissant d’une éventuelle atteinte au principe d’égal accès aux emplois publics, il s’est appuyé sur plusieurs de ses décisions antérieures (1984 et 2009) pour rappeler que, si rien n’interdit de nommer des contractuels aux emplois publics, encore faut-il que ces nominations s’opèrent sur le fondement de leurs capacités : il appartient donc au pouvoir réglementaire de fixer les conditions auxquelles devront obéir ces recrutements. S’agissant des emplois de direction, le juge doit pouvoir contrôler les justifications des nominations. Ces rappels ne permettent pas de considérer que la loi est, sur ce point, contestable. Enfin « rien n’impose » de satisfaire la demande la demande des requérants, qui suggéraient au juge constitutionnel de dégager un principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel les emplois permanents de l’Etat ne peuvent être occupés que par des fonctionnaires. Au final, la loi est conforme.

Pourtant, même si l’obligation de recourir à des fonctionnaires pour occuper des emplois publics n’a pas valeur constitutionnelle, il ne faut pas finasser : si le statut de la fonction publique se justifie, c’est par la spécificité du recrutement et de la carrière offerte à des agents qui travaillent pour un service public détaché de la sphère marchande et caractérisé par la recherche de l’intérêt général. La spécificité des métiers publics n’est pas technique (bien des compétences professionnelles sont communes) mais elle repose sur l’acceptation d’un corpus déontologique (désintéressement notamment) qui justifie la protection accordée par le statut. Il est loisible de considérer que le statut est contestable et qu’il faut recourir à d’autres règles de gestion des agents publics : dans ce cadre, le recours aux contractuels irait de soi. Mais le recours massif aux contractuels est incompatible avec le statut et l’on ne peut pas concilier les deux.