La délinquance, cette inconnue

Crédit d’impôt énergétique : à la recherche d’une meilleure efficacité
1 septembre 2019
Les ressorts culturels du populisme
8 septembre 2019

La délinquance, cette inconnue

Pendant l’été, en juillet 2019, période propice à l’examen des questions de fond, le think tank Terra nova a publié une note intitulée « Améliorer la mesure de la délinquance », rédigée par des chercheurs qui travaillent de longue date sur le sujet, Philippe Robert et Renée Zauberman. La note, d’une trentaine de pages, explique qu’au départ, la délinquance a été mesurée par l’activité des services en charge de la réprimer, principalement la police. Un tel outil de mesure a ses limites : les chiffres peuvent alors être utilisés pour justifier une politique et ont parfois fait l’objet « d’ajustements statistiques » (en 2014, la création d’un service statistique de la sécurité intérieure rattachée à la statistique publique a mis fin aux tripatouillages) ; de plus, ces chiffres reflètent parfois moins la délinquance que les priorités des services : c’est le cas lorsqu’il n’existe pas de victimes, comme pour la consommation de drogues, les séjours irréguliers, la fraude fiscale ; enfin, ils n’enregistrent pas certains délits mineurs (les contraventions) ni les actes qui relèvent d’autres services, les douanes, le fisc, l’Inspection du travail, sachant que ces services, appelés parfois à « composer » avec le délinquant pour des raisons d’efficacité, n’enregistrent pas non plus tous les délits constatés. Enfin, certains délits échappent à la vigilance et, dans bien des cas aussi, les victimes ne se plaignent pas.

Ce dernier constat a conduit à compléter la production de statistiques administratives par des enquêtes de victimation, dont la première a été réalisée aux Etats-Unis dans les années 60. Désormais, l’Insee en réalise une chaque année, sur échantillon (enquête « Cadre de vie et sécurité) mais avec l’intention, en 2022, de passer la main au ministère de l’Intérieur, avec des risques de moindre fiabilité. Le risque des enquêtes de victimation n’est pas la surestimation mais plutôt la difficulté à se rappeler et à situer les faits. Elles permettent de bien mesurer les vols, agressions et dégradations. Elles sont moins performantes pour mesurer les bagarres ou une criminalité plus complexe (escroquerie). Elles permettent en tout cas de voir combien le « taux de renvoi » à la police est différent selon les faits : élevé pour les cambriolages, il est faible pour les dégradations. En tout état de cause, la baisse de la délinquance enregistrée dans ces enquêtes semble cohérente avec celle des statistiques policières, sauf pour les agressions, où la police, du fait de modifications de la législation, enregistre une hausse (la loi a remonté les agressions les plus graves dans les délits), qui contraste avec la tendance des enquêtes de victimation.

Restent les délinquances sans victimes, qui ne peuvent être mesurées que par des enquêtes spécifiques, comme pour le cas de la consommation de drogues. La note relève ainsi que certaines délinquances (telles la fraude fiscale et sociale) sont mal connues alors qu’elles occupent une part importante dans le débat public. Sur la fraude, les estimations varient : le Conseil des prélèvements obligatoires évoquait en 2007 une fourchette comprise entre 29 et 40 Mds, ensuite un syndicat des impôts a produit une estimation de 42 à 51 Mds, révisée par la suite par un autre syndicat se fondant sur le développement de la fraude internationale. Le ministre des comptes publics, considérant que ces estimations sont exagérées, a récemment annoncé la création d’un observatoire de la fraude. Reste aussi la question des études complémentaires, qui cherchent par exemple à comparer le coût des politiques publiques (prohibition ou régulation dans le cas des drogues) ou le coût du crime (l’ensemble des conséquences économiques, sociales et financières des crimes et délits) : conséquences pour les victimes, dépenses publiques de répression ou de prévention.  Au final la note insiste, compte tenu des limites des outils de mesure, sur la nécessité de les cumuler et de les confronter. Tant à dire sur la délinquance…