Gratuité de l’enseignement supérieur : redéfinir une politique

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Gratuité de l’enseignement supérieur : redéfinir une politique

Saisi d’une Question prioritaire de constitutionnalité déposée par des associations étudiantes, le Conseil constitutionnel s’est prononcé, le 11 octobre 2019, sur la compatibilité de la loi du 24 mai 1951, qui prévoit la fixation par arrêté de droits d’inscription et de scolarité dans les établissements publics d’enseignement supérieur de l’Etat, avec le principe de gratuité qui figure au 13e alinéa du préambule de la Constitution de 1946 qui stipule : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat ». La décision du Conseil ne juge pas inconstitutionnelle la disposition de la loi de 1951 qui autorise la perception de droits d’inscription  à condition que ceux-ci soient « modiques ».

Cette décision peut se lire à plusieurs niveaux.

Elle ne se prononce pas (mais ce n’était pas la demande) sur la différenciation voulue par le gouvernement entre les droits demandés aux étudiants français et aux étudiants étrangers extra-européens et mise en œuvre par l’arrêté du 19 avril 2019, qui multiplie par 15 les droits demandés aux étrangers. Si elle l’avait fait, il y a fort à parier qu’elle l’aurait validée, au moins sur le plan juridique :  le Conseil d’Etat (en tant que juge des référés il est vrai), saisi d’un référé-suspension sur l’arrêté du 19 avril, s’est prononcé sur ce point et a déjà indiqué, reprenant un raisonnement constant, que cette différenciation n’était pas manifestement illégale puisqu’elle réglait différemment des situations différentes. C’est l’arrêté du 19 avril qui est au cœur de la contestation des organisations étudiantes qui ont parallèlement formé une QPC sur la gratuité de l’enseignement supérieur. Sur ce point, reste à attendre la décision du Conseil d’Etat, qui, très probablement, validera l’arrêté. En opportunité celui-ci est contestable : il rapportera peu tout en dissuadant les étudiants de venir. Au demeurant, les universités ne souhaitaient pas l’appliquer ou prévoyaient d’en adoucir la teneur.

Pour ce qui est de sa décision du 11 octobre, l’on peut noter, en premier lieu, que le Conseil constitutionnel, une nouvelle fois, accepte qu’un droit fondamental, reconnu comme ayant valeur constitutionnelle, en l’occurrence la gratuité de l’enseignement public, soit altéré par un texte plus restrictif à condition que cette altération ne soit pas disproportionnée ou abusive, d’où la mention de droits « modiques », dont la perception tiendrait compte, le cas échéant, de la situation financière des étudiants. Le Conseil est coutumier de ce raisonnement, qu’il applique, de manière bien plus préoccupante encore, dans le domaine des libertés publiques. Le Conseil n’impose pas en tout cas le respect absolu des textes constitutionnels : on peut leur donner des coups de canif à condition que ceux-ci ne soient pas trop profonds.

Deuxième lecture, sans doute évidente mais qui constitue, dans le paysage universitaire, un coup de tonnerre dans un ciel bleu : le rappel que l’exigence de gratuité englobe l’enseignement supérieur public et ne peut être affectée que par des droits modiques. Or, la situation est tout autre : un rapport récent de la Cour des comptes (« Les droits d’inscription dans l’enseignement supérieur public », novembre 2018) montre ainsi que, si 82 % des étudiants payent en France des droits modiques, le ministère a accepté des différenciations fortes selon les filières (les droits sont beaucoup plus lourds pour des cursus d’ingénieurs ou des formations paramédicales), laissé les établissements abuser de droits annexes qui devraient être facultatifs et correspondre à des prestations supplémentaires et sont, de facto, obligatoires, et permis à de grands établissements (Sciences-po, Dauphine) de percevoir des droits élevés mais calculés en fonction des revenus des étudiants. La Cour suggère que cette politique, dénuée de cohérence, soit rationalisée et contribue à améliorer les ressources et l’autonomie des établissements mais de manière maîtrisée. En rappelant une disposition constitutionnelle qui figurent dans tous les rapports sans que la portée en soit clairement mesurée, la décision du Conseil constitutionnel va obliger l’Etat, sauf à courir des risques juridiques forts, à rationaliser le dispositif et à éclairer la notion, plutôt obscure, de « modicité » des droits.