Amélioration de l’emploi : en cerner la portée

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Amélioration de l’emploi : en cerner la portée

Le quinquennat de F. hollande a tourné autour d’une attente : une embellie de l’emploi qui, malgré une première amélioration perceptible dès la deuxième partie de 2015 et confirmée en 2016, n’est pas venue assez tôt ni assez nettement pour permettre au Président de garder l’espoir d’être réélu. Depuis quatre ans désormais, l’on constate une nette croissance de l’emploi et un reflux du chômage, d’abord timide puis qui s’est confirmé peu à peu. Pour autant, les faiblesses du marché de l’emploi perdurent, ce qui explique sans doute, au moins en partie, que le recul du chômage ait peu d’influence sur le climat social, toujours morose. La France mettra du temps à les dominer. Elle est également mal préparée à affronter les défis de demain, innovation, exigences accrues de qualification des emplois et vieillissement des actifs.

Une amélioration incontestable

 La Dares, mi-2019, aligne avec satisfaction chiffres et analyses[1] : le chômage France entière baisse depuis 2016 de 0,3 à 0,7 point chaque année (10,4 en 2015, 10,1 en 2016, 9,4 en 2017, 9,1 en 2018 et 8,5 au 2e trimestre 2019[2]). Le recul du chômage total s’accompagne d’une baisse du chômage de longue durée : depuis son point le plus haut enregistré au 4e trimestre 2016 (4,3 % de la population active), il en est arrivé mi-2019 à 3,2 %. Ces reculs s’expliquent par des créations d’emploi qui sont, depuis 2016, très dynamiques, malgré une certaine irrégularité : 205 000 emplois salariés créés dans le secteur marchand non agricole en 2016, 355 000 en 2017, 178 000 en 2018 et 159 000 pour les deux premiers trimestres 2019.  Calculant la progression de mi-2017 à mi-2019, la DARES annonce en 2 ans 473 000 emplois de plus dans le secteur marchand et, en tenant compte du secteur non marchand, 511 000.

L’amélioration n’est pas seulement quantitative : la DARES souligne que, au-delà de l’augmentation du taux d’emploi global des 15-64 ans (il atteint 66 % en 2019 contre 63,8 % en 2014), le taux d’emploi en contrat à durée indéterminée (CDI) progresse depuis 2017 tandis que le taux d’emploi en CDD, qui n’avait cessé de progresser jusqu’en 2018, baisse en 2019. Il en est de même du sous-emploi qui recouvre, pour l’essentiel, les personnes qui, disposant d’un emploi à temps partiel, souhaiteraient travailler davantage. Elles étaient en 2018 1,6 million, soit 6 % de la population active occupée. Le pourcentage a baissé à 5,2 % au 2e trimestre 2019. Au-delà de la hausse des emplois et de la réduction du chômage, l’évolution de tels indicateurs est décisive : l’amélioration mord (un peu) sur les causes de la « pauvreté laborieuse » qui a longtemps caractérisé la France. En revanche, le halo du chômage (personnes qui souhaiteraient travailler sans répondre à la définition du demandeur d’emploi, parce qu’elles ont cessé de chercher ou ne sont pas immédiatement disponibles, qui a connu une baisse au premier trimestre 2019, ne bouge pas sur un an et plafonne, depuis 2016, aux alentours de 1,5 million.

Ces données positives peuvent s’expliquer une reprise de la croissance, pourtant loin d’être exceptionnelle : après avoir stagné aux alentours de 1 % plusieurs années, elle a certes vivement augmenté en 2017 (+ 2,4 %) mais est redescendu depuis lors (1,9 % en 2018, 1,4 % en 2019 sans doute, avec une prévision de 1,3 en 2020).  Elle peut aussi résulter des efforts de la politique de l’emploi des années récentes, même si les économistes qui évoquent ce lien sont très prudents, jugeant ainsi que le CICE a « sans doute joué » de manière différée (à court terme, son effet a été très faible, dans une période économique il est vrai atone). L’Insee estime par ailleurs à 30 000 le nombre d’emplois créé par la transformation du CICE (crédit d’impôt, avec donc un versement différé) en baisse de cotisations, ce qui est surprenant puisque l’effet de baisse de charges est le même, mais il est vrai qu’il est désormais immédiatement constatable. D’autres experts reconnaissent à la réforme du droit du travail de 2017 ou à la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés engagée en 2018 le mérite d’avoir « amélioré le climat des affaires », mais semblent sceptiques sur leurs effets tangibles.

Reste que, si la tendance est bonne, la situation reste difficile.

Des faiblesses cruciales

 En premier lieu, les comparaisons internationales montrent que, si la réduction du chômage est générale, notre pays reste un de ceux où le chômage demeure très élevé. Le taux de chômage en France reste mi-2019 supérieur à la moyenne de la zone euro, soit 7,4 %, et cela malgré l’intégration dans cette moyenne de pays encore sinistrés, comme la Grèce (taux de 17 %) ou l’Espagne (13,8 %). Les écarts restent défavorables s’agissant du chômage des jeunes (15,4 % en moyenne dans la zone euro, 19,2 % en France et 5,7 % en Allemagne) et du chômage de longue durée. Même si, mi-2019, le taux français (3,2) est cette fois-ci inférieur à la moyenne de la zone euro (3,5), la comparaison reste peu favorable avec des pays proches où ce type de chômage est faible, comme l’Allemagne et les Pays bas (1,4 %), voire très faible, Danemark, Suède et Royaume-Uni (1,1 %).

De plus, l’on sait que la mesure du chômage au sens du BIT minimise le chômage de longue durée, parce qu’elle élimine des demandeurs d’emploi les personnes découragées qui ne cherchent plus d’emploi. Mi-2019, alors que les chiffres de l’Insee évoquaient moins de 1 million de demandeurs d’emploi de longue durée, 2,6 millions de demandeurs d’emploi étaient inscrits dans les statistiques de Pôle emploi depuis plus d’un an : il est vrai que, là aussi, ce chiffre est en baisse mais l’on reste dans un étiage beaucoup plus fort que celui des chiffres officiels et qui mettra sans doute davantage de temps à se résorber.

Enfin, même avec la réduction du chômage, le taux d’emploi en France, dont on s’émerveille qu’il atteigne 66 %, reste un des plus faibles de l’OCDE (tout comme d’ailleurs le taux d’activité), ce qui revient à faire financer des dépenses publiques plus lourdes par un pourcentage bien plus réduit d’actifs employés.

En outre, les données sur la productivité ne sont pas bonnes : selon la DARES, après avoir progressé entre 2011 et 2017, celle-ci baisserait depuis lors, donnant peut-être raison à ceux qui pensent que c’est grâce à l’exclusion des personnes les moins qualifiées du marché du travail que la France a longtemps maintenu une forte productivité, qui aurait tendance à baisser dès que le chômage se réduit. Sur le plus long terme, le Conseil national de la productivité[3], qui note que la baisse de la croissance de la productivité par rapport à la période 1985-2000 est constatée dans de nombreux pays, se penche sur les facteurs explicatifs en France, qui sont peut-être les vraies raisons d’un chômage massif : performances trop faibles du tissu productif, rendement insuffisant de la recherche, insuffisance de la qualification et des compétences de la main d’œuvre, décalage, plus marqué qu’ailleurs, entre la formation et le poste occupé, faiblesses du management.

 La vraie question serait en effet de mesurer le niveau et les causes du chômage structurel, celui qui ne disparaîtra pas même si l’économie s’équilibrait entre la demande de biens et services et les capacités de production. La définition du chômage structurel n’est pas très éclairante, puisque l’on regroupe sous ce terme tout ce qui ne dépend pas de la conjoncture ni de la demande : caractéristiques de la population en âge de travailler, notamment sa démographie et sa qualification, facteurs à la fois économiques et institutionnels, niveau de salaire minimum, taux de charges sur les salaires, impôts sur la production et sur le bénéfice, indemnisation du chômage, poids de la réglementation (droit du travail, normes diverses) et causes technologiques ou organisationnelles, innovation, voire taille des entreprises.

Or, la mesure du chômage structurel et a fortiori le choix des dominantes explicatives font l’objet de débats, les réponses dépendant pour une large part de choix idéologiques. Les organisations libérales (l’OCDE et la Commission européenne, qui évoquait un chômage structurel à 9,2 % en 2017) considèrent que le chômage structurel est très proche en France du chômage constaté, sur lequel la conjoncture ne jouerait quasiment plus, témoignant ainsi de la difficulté qu’il y aura à faire baisser le taux sans « réformes structurelles ». Sous ce terme sont évoquées, au-delà de réformes sur la formation, des mesures d’assouplissement de la « législation protectrice de l’emploi », une réduction de l’indemnisation du chômage et l’abaissement des charges sur les entreprises.  Au demeurant lorsque, récemment, le Président de la République a évoqué un taux de chômage structurel à 9 %, les commentaires ont immédiatement interprété cette déclaration comme une justification de la réforme de l’assurance chômage, présentée comme une source de nécessaires économies mais aussi (sans doute à mauvais titre) comme une meilleure « activation » du retour à l’emploi.

D’autres organismes ou experts situent le chômage structurel plus bas (entre 6 et 7 %). Ils rejettent alors le plus souvent (c’est le cas d’une étude ancienne du Conseil d’orientation pour l’emploi[4]), des facteurs explicatifs qui leur paraissent erronés, comme l’impact du coût du travail ou de la rigidité de la législation sur l’emploi. Le COE met ainsi plutôt en cause le tissu économique, les carences de la formation initiale et continue, l’absence de cohérence de la politique menée vis-à-vis des demandeurs d’emploi et d’un accompagnement de qualité, ainsi que la mauvaise qualité des relations sociales qui freine l’adaptation des entreprises. Le débat n’est pas clos aujourd’hui : une récente étude de France stratégie[5] insiste sur le gain d’emplois que procurerait un assouplissement des règlementations : liberté d’ouverture des commerces de détail, vente libre de médicaments, fin des monopoles publics de transport, levée des restrictions à l’installation professionnelle. Sans doute la rigidité de certaines règles a aussi sa part dans le « bridage de l’activité » et le chômage mais il faudrait mesurer l’acceptabilité (inégale) des mesures envisagées, la qualité des emplois créés, elle aussi variable, et rechercher l’équilibre entre le maintien de normes utiles et la levée de freins inutilement gênants.

 Quelques évidences qui font consensus

Sur le fait que le chômage structurel est élevé, il existe un consensus. En témoignent les écarts permanents entre le taux de chômage de nos proches voisins et le nôtre, de même que l’enkystement du chômage en France, qui ne paraît pas céder aux embellies conjoncturelles : le taux se maintient depuis le milieu des années 80 entre 7 et 10,5 % et n’a jamais baissé en dessous de 7 %, même dans les périodes de relative prospérité (début des années 90 et 2000).

De même, l’étude de l’emploi localisé (et l’importance des taux de chômage dans certaines zones d’emploi en France) témoigne de difficultés structurelles, surtout quand on les met en relation avec la moindre qualification de la population dans ces territoires déshérités. L’on ne peut développer les mêmes activités là où la population est très qualifiée (c’est le cas des grandes métropoles) et là où elle est plus ouvrière et moins formée. La note de conjoncture de la Dares mentionnée supra évoque de ce fait des pistes d’action aujourd’hui consensuelles, soulignant que l’évolution des taux d’emploi entre mi-2017 et mi-2019, malgré l’embellie constatée, reste hétérogène par niveau de diplômes : pour les plus diplômés, notamment les diplômés du supérieur, le taux d’emploi s’améliore entre + 0,4 % et + 0,7 %. Pour les titulaires d’un BEP ou d’un CAP, il diminue de 0,9 point ; enfin, pour les personnes sans diplômes il baisse de 0,7 point. Au demeurant, la faible employabilité des personnes non diplômées est un constat effectué de longue date : le taux de chômage est statistiquement lié aux diplômes.  Pour les actifs sans aucune qualification, il s’élevait à 16,2 % en 2018 contre 5,4 % pour les diplômés du supérieur. L’embellie de l’emploi concerne les diplômés.

La France, en ce domaine, semble dans une situation peu favorable dans les comparaisons internationales : certes, le niveau de diplôme de la population s’améliore au fil des générations et la France ne compte plus, dans la tranche d’âge 25-34 ans, que 13 % de personnes sans diplômes tandis que, en 2018, dans les 30-34 ans, la proportion des diplômés du supérieur atteint le très bon score de 46,2 %. Pour autant, le fort pourcentage des élèves de 15 ans qui ont de faibles compétences en compréhension de l’écrit ou en culture mathématique et scientifique[6] comme le taux élevé de NEET (jeunes déscolarisés sans emploi) mesuré par l’OCDE (17,2 % des jeunes de 15-29 ans en 2015, 17,8 % des 15-34 ans selon une communication plus récente de 2019) montrent qu’il faut investiguer au-delà du niveau de diplômes. L’adéquation entre une partie de la jeunesse et l’emploi se fait mal.

Il en ressort que les mesures récentes tendant à améliorer l’apprentissage, la formation professionnelle ou l’accompagnement des demandeurs d’emploi sont, dans leur principe adéquates, sans doute davantage que la politique de l’offre sur laquelle a tablé le quinquennat Hollande et qui s’est avérée décevante. Encore faudra-t-il en suivre la bonne application. Le premier bilan du Plan investissement compétences (400 000 entrées en formation en 2019 de demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés, 100 000 bénéficiaires de la Garantie jeunes) semble satisfaisant, mais la démarche (et la plus-value apportée par rapport à la situation antérieure) reste à expertiser[7].  Ainsi, les premières données, apparemment très positives, sur l’augmentation des apprentis peuvent se révéler décevantes : un baromètre de l’Institut supérieur des métiers de septembre 2019 montre que la hausse est surtout due à des apprentis relevant du supérieur et d’écoles de commerce, le risque étant de rater la cible que représentent les non diplômés. En tout état de cause, nul n’est capable de dire aujourd’hui si l’ensemble des mesures engagées sera suffisant pour apporter des réponses aux exigences de qualification croissante des emplois, appelée à se développer encore puisque même certaines professions qualifiées peuvent aujourd’hui subir la concurrence de l’intelligence artificielle[8].

Au final, les réponses au chômage seront longues à porter leurs fruits : l’objectif du gouvernement d’un taux de chômage à 7 % en 2022 est sans doute fragilisé par les incertitudes sur la croissance en Europe. L’annonce récente par les pouvoirs publics du plein emploi à horizon 2025 semble irréaliste compte tenu du rythme actuel de réduction du chômage, au final lent.

Enfin, une France mal préparée au vieillissement

En 1995, les 50-64 ans représentaient 16 % de la population active et, en 2017, 28,6 %. La DARES se réjouit à juste titre de l’amélioration de 1,2 point du taux d’emploi des seniors de 55 à 64 ans depuis la mi-2017, tout en reconnaissant que l’écart reste fort avec la moyenne de la zone euro au premier trimestre 2019 (52,3 % contre 59,2 %). Mais l’écart n’est pas seulement dans les statistiques de l’emploi : il est surtout dans les politiques de maintien dans l’emploi suivies par les entreprises. Un référé de la Cour des comptes de juillet 2019 sur les fins de carrière souligne le difficile retour à l’emploi des seniors au chômage, la part importante des seniors inactifs en fin de vie professionnelle, leur poids croissant dans les minima sociaux. Il déplore le délaissement des politiques de l’emploi en leur faveur. Il est vrai que le bilan des « plans d’action en faveur des seniors », obligatoires de 2006 à 2017, a mis en lumière la prépondérance d’accords formels sinon creux. Mais on ne fait plus rien pour les seniors et les entreprises continuent à les rejeter et à les écarter, si elles les gardent, de toute formation. La prévention de la pénibilité est insuffisante et la tentative pour instaurer une compensation du risque lors de la réforme des retraites de 2014 a été largement vidée de son sens en 2017. Dans le récent débat sur l’institution d’un régime universel de retraite, la question de l’âge-pivot (et donc de l’âge souhaité du départ en retraite) a été largement posée mais la question de la pénibilité du travail, notamment en fin de carrière, insuffisamment évoquée. La France est mal outillée pour développer l’emploi des travailleurs âgés alors même que leur nombre va croître.

Au final, l’amélioration du taux d’emploi et la réduction du chômage sont sans doute une bonne nouvelle mais cachent nombre de difficultés. La France est loin, en ce domaine, d’être sortie d’affaire.

Pergama, le 12 janvier 2020

 

 

 

[1] La conjoncture du marché du travail au 2e trimestre 2019, Bilan des deux dernières années et perspectives, DARES, septembre 2019

[2] La remontée à 8,6 % au 3e trimestre 2019 n’est pas en général considérée comme significative à elle seule d’un retournement de tendance.

[3] 1er rapport du Conseil national de la productivité, avril 2019

[4] Les causes du chômage, COE, 2008

[5] De meilleures réglementations pour plus d’emplois ? France Stratégie, novembre 2019

[6] Ces données sont extraites de France Portrait social, Edition 2019

[7] L’objectif est de former d’ici 2022 un million de demandeurs d’emploi peu qualifiés et un million de jeunes sans qualification

[8] Polarisation de l’emploi en France, quelle ampleur ? BNP-Paribas, Portail des études économiques, conjoncture, septembre 2019