Mesurer le mal logement, mesurer l’écart entre l’effort fait et les besoins

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Mesurer le mal logement, mesurer l’écart entre l’effort fait et les besoins

La Fondation Abbé Pierre a fait paraître, en ce mois de janvier, son 25e rapport sur le mal-logement, centré sur les difficultés spécifiques rencontrées par les personnes seules (l’offre de petits logements est insuffisante et isolement et mal-logement s’entretiennent mutuellement). En outre, dans la perspective des municipales, le rapport insiste sur les marges de manœuvre dont disposent les collectivités territoriales pour contribuer aux solutions à apporter à l’interminable crise du logement. Outre le caractère insupportable du rapide bilan esquissé dans l’introduction (des centaines d’enfants dormant dans la rue à Paris, des femmes avec nouveau-nés hébergées la nuit dans des couloirs d’hôpital, le démontage de bidonvilles par la police sans offre de relogement durable, la montée des nuitées hôtelières), deux points dans ce rapport attire l’attention : la question de la mesure des difficultés de logement et le caractère incompréhensible de la juxtaposition de données apparemment contradictoires : l’augmentation manifeste des personnes à la rue, la saturation des centres d’accueil et les bilans très positifs tirés par le Ministère, en janvier 2020, du plan « Logement d’abord » et du  Plan hivernal 2019-2020.

La mesure du mal logement tout d’abord. La fondation Abbé Pierre publie chaque année un tableau qui chiffre d’abord les personnes privées de logement personnel (SDF, résidents en hôtel, habitants d’habitations de fortune, personnes hébergées chez des tiers de manière contrainte), soit en 2020 902 000 personnes ; puis le tableau chiffre les personnes vivant dans des conditions très difficiles (surpeuplement, résidences mobiles), soit 2 819 000 ; enfin, il totalise les personnes fragilisées par rapport au logement (copropriété en difficulté, situations d’impayés, effort financier excessif…) qui représentent 12 138 000. Ces totaux additionnent les résultats d’enquêtes différentes, toutes publiées en 2013, l’enquête de l’Insee sur les sans domicile fixe, des données issues de l’enquête nationale sur le logement de l’Insee 2013 (calculs de la Fondation) et des données fournies par deux autres enquêtes de la Fédération des gens du voyage et de la Commission interministérielle sur le logement des migrants. Il existe dans doute dans les additions d’inévitables approximations, les enquêtes ne portant pas exactement sur les mêmes années notamment. La question essentielle est ailleurs : les données sont anciennes et les chiffres publiés en 2020 par la Fondation sont d’ailleurs exactement identiques à ceux de 2019 : ils ne servent donc pas à mesurer une aggravation pourtant probable du mal logement. Or, il n’est pas prévu que l’Insee reproduise son enquête sur la population sans domicile fixe menée en 2011 et 2012. Le gouvernement entend plutôt s’appuyer sur des données plus locales, les remontées des services intégrés d’accueil et d’information qui recueillent des demandes d’hébergement d’urgence, celles des « Nuits de la solidarité », opérations ponctuelles menées avec des bénévoles et visant à décompter, une nuit donnée, les SDF dans certaines villes ou des enquêtes menées par le ministère en charge de la solidarité. Pourtant, sur la question des SDF, éminemment importante pour la cohésion sociale, l’intérêt d’une enquête nationale, menée par des statisticiens, est évident. Quant à l’enquête logement, elle est renouvelée en 2020 mais ses résultats ne seront pas disponibles avant 2022. A juste titre, la Fondation Abbé Pierre se plaint du risque d’absence de données et y voit (qui la contredirait ?) une volonté de dissimulation d’un phénomène il est vrai désagréable pour les politiques, surtout si (comme c’est le cas) ils augmentent chaque année le nombre de places d’hébergement, sans pour autant endiguer la montée du mal logement. L’évaluation des politiques publiques, tant vantée, a besoin de données…

Deuxième point, comme si de rien n’était, le Ministère du logement publie, en ce même mois de janvier, deux dossiers de presse. Le premier porte sur la réussite du plan « Logement d’abord », qui entend renforcer les moyens de « mise à l’abri » des personnes tout en les accompagnant vers un logement pérenne. Le plan, qui repose sur l’analyse que, pour sortir de la pauvreté et s’insérer, il faut d’abord disposer d’un logement, correspond à un choix juste et adapté.  Le dossier de presse, qui vante les 150 000 personnes sorties de la rue et accompagnées en 2018 et 2019 vers le logement durable, laisse pourtant insatisfait et dubitatif, dès lors que les nuitées d’hôtel continuent à augmenter et que le 115 ne peut répondre qu’à une part de plus en plus faible des demandes…Il en est de même du dossier de presse sur le plan hivernal qui vante le renforcement des moyens (14 000 places nouvelles d’hébergement d’urgence ouvertes depuis 2017). L’action politique n’est respectable que si elle admet les difficultés qu’elle rencontre : la communication purement politique ne sert à rien (qui sera convaincu que le gouvernement réussit en ce domaine ?) et fait du mal à la démocratie, renforçant le soupçon d’insincérité des décideurs.