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Economie circulaire et déchets : on pourrait faire mieux

La loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire a été adoptée par le Parlement en janvier 2020. Avant la conclusion d’un compromis final, le projet a donné lieu à de vifs échanges entre les deux chambres du Parlement : alors que l’étude d’impact évoquait « une transition de production et de consommation profonde et irréversible » et un abandon de l’économie linéaire (« fabriquer, consommer, jeter ») au profit d’une économie circulaire vertueuse, la rapporteuse du projet désignée par la Commission de l’environnement du Sénat évoquait « un texte technique abusivement présenté comme le symbole du tournant écologique du quinquennat ». De même, la loi soulève des appréciations divergentes des associations écologiques : la Fondation Hulot l’évoque comme « une première victoire », France nature environnement la qualifie de gentillette et WWF parle d’une « occasion manquée ».

En fait la loi n’est pas anodine : elle transpose le « paquet » européen sur l’économie circulaire (4 directives du 30 mai 2018) ainsi que la directive du 5 juin 2019 pourtant sur la réduction de l’impact de certains produits plastiques sur l’environnement. Elle met en œuvre la feuille de route sur l’économie circulaire publiée en avril 2018 par N. Hulot. Enfin, elle applique en partie les conclusions du rapport Vernier de 2018 sur l’extension et le fonctionnement des filières dites REP (« responsabilité élargie des producteurs ») où, pour la gestion des déchets, est appliqué le principe pollueurs payeurs. Les avancées sont donc indéniables (1). Pourtant, le texte déçoit : il multiplie les mesures techniques, manque de fond, de souffle et de vision. Il se concentre sur la gestion des déchets (la production française est, selon l’ADEME, de 4,7 tonnes par français, dont 3,4 pour la construction, 0,7 pour les autres secteurs économiques et 0,6 pour les déchets ménagers, dont 65 % sont recyclés) et évoque de manière limitée et floue le changement des modes de production et de consommation. Si l’économie circulaire repose sur trois piliers, offre de produits durables et respectueux de l’environnement, consommation responsable et gestion des déchets, la loi est boiteuse (2).

En exergue, l’invraisemblable complexité des textes de protection de l’environnement.

La politique de protection de l’environnement est peu lisible. C’est une politique de la segmentation, des avancées partielles, des textes qui s’emboitent, de l’échelonnement des dates, des affirmations de principe dont on se demande comment elles pourront bien s’appliquer, de la fixation d’objectifs chiffrés « en l’air », dont on pressent qu’ils ne sont pas fondés sur une analyse réaliste des moyens à mettre en œuvre mais relèvent de l’affichage. Prenons l’exemple du plastique jetable, régi successivement par 4 lois, depuis la loi de transition énergétique de 2015 jusqu’à celle de 2020 sur l’économie circulaire. Certains produits (sacs et gobelets) sont interdits, mais avec des exceptions incompréhensibles (les gobelets des pique-nique sont interdits, ceux des distributeurs de café ne le sont pas, certains sacs plastiques non plus selon leur épaisseur). La directive du 5 juin 2019 dite SUP (single use plastic) allonge la liste des produits interdits, parfois avec d’autres définitions et d’autres dates que pour les produits déjà proscrits en France.  Aux listes qui énumèrent les produits bannis, la France ajoute pour sa part dans la loi de 2020 un « objectif » d’interdiction totale du plastique jetable en 2040, disposition sans portée juridique, avec une date qui vient de nulle part et des interrogations sur l’ampleur de ce qui restera à gérer après les mesures actuelles. Or, si elle interdit en 2022 les emballages en plastique des fruits et légumes, hormis certaines exceptions, elle n’en fait pas de même pour les bouteilles plastiques, même de manière progressive. Sur ce sujet, la directive européenne se focalise sur deux échéances (2025 et 2029) imposant le tri à part d’une proportion donnée de bouteilles plastiques et un pourcentage de plastique recyclé dans la composition de ces bouteilles. La France intègre ces objectifs et s’en tient là. Certes, elle ajoute un « objectif » de réduction de 50 % des bouteilles plastiques en 2029 : nul ne sait comment cet objectif ambitieux sera atteint sans contraintes imposées aux entreprises. L’on devine, derrière ces dates et ces chiffres sans signification claire, des débats avec les lobbies, des compromis inexplicables, peut-être aussi des jeux de dupes. La loi affiche ainsi un objectif de 100 % de recyclage des emballages plastiques en 2025 qui tend à montrer à l’opinion publique que la question du plastique est gérée. Cependant, les experts contestent le bien-fondé de cet objectif : selon eux, le recyclage du plastique n’est pas un vrai recyclage (voir ci-dessous) et l’on n’évitera pas à terme un débat sur la réduction drastique de l’utilisation de ce matériau. Au final, les choix, trop techniques, trop parcellisés, sont peu lisibles, les objectifs ne sont pas correctement soutenus et la population, qui est incapable de décoder sur cette base les avancées réelles et les décisions d’affichage, peut craindre d’être bernée et perdre confiance.

 La loi : des progrès indéniables

 Le principal apport de la loi est de conforter l’application du principe de responsabilité élargie des producteurs (REP), qui consiste à obliger les entreprises d’une filière à prendre en charge financièrement la vie des produits jusqu’à leur fin. Le système fonctionne avec des éco-organismes qui perçoivent la contribution versée par les entreprises et la reversent soit à des entreprises de traitement ou de recyclage des déchets, soit aux collectivités territoriales quand celles-ci se chargent d’organiser le traitement. Le rapport Verdier de 2018 avait regretté le poids insuffisant des filières REP dans l’ensemble des déchets ménagers, puisqu’elles n’en représentaient que moins d’un tiers, et souhaité une simplification des obligations imposées aux éco-organismes pour mieux mesurer l’atteinte des résultats et éventuellement prendre des sanctions si la mission était mal remplie. L’on sait en effet que le taux de recyclage n’atteint pas dans certains cas les objectifs annoncés : il était ainsi prévu que le taux de recyclage des emballages atteigne 75 % en 2012 (on en est à 69 %) et les résultats sont également décevants dans d’autres domaines (ainsi les textiles usagés).

La loi de 2020 élargit les obligations REP à d’autres secteurs, jouets, articles de sports, bricolage et jardin, cigarette et, surtout, dans un délai de 2 ans, aux déchets du bâtiment des ménages ou des professionnels (avec collecte séparée, reprise sans frais, traçabilité et dispositions facilitant le réemploi). En outre, les éco-organismes qui collectent l’éco-contribution se verront fixer des objectifs quantifiés, avec un Comité des parties prenantes à leurs côtés et la publication régulière des principaux résultats obtenus. L’Etat est le responsable du suivi de ces organismes. Les entreprises reçoivent mission de limiter la production de déchets (c’est au moins une bonne intention) et la contribution financière qui leur est imposée sera modulée selon des critères d’éco conception des produits (c’est mieux).

L’on peut bien évidemment regretter que la démarche ne soit pas encore davantage approfondie :  tous les produits recyclables ne sont pas couverts par une filière REP ou le sont mal en pratique, notamment par défaut de collecte : l’on cite ainsi les huiles usagées ou les textiles sanitaires (couches, protection périodiques…). Les déchets chimiques des ménages ne sont pas traités correctement. Certains véhicules usagés ne sont pas intégrés dans la filière correspondante. L’éco-contribution n’est par ailleurs pas toujours suffisante pour couvrir l’intégralité des frais occasionnés par les déchets. Bref, des manques perdurent : la loi marque cependant un net progrès.

Il en est de même des dispositifs qui tentent de prévenir l’augmentation des déchets : la loi améliore ainsi l’information des usagers (plus grande fiabilité de l’information du consommateur sur les caractéristiques environnementales du produit et, pour certains équipements, apposition d’indices de durabilité, de « réparabilité », de réemploi, de recyclage) ; la loi prévoit le rappel des consignes de tri ;  elle incite au tri à part des déchets organiques, seule technique permise pour se réclamer du terme « compost » ; elle facilite la vente en vrac ; elle interdit de détruire les invendus non alimentaires (vêtements, chaussures…) et pose, pour les producteurs ou distributeurs au-delà d’une certaine taille, l’obligation de principe du recours au recyclage. Ce volet de prévention et d’information est indispensable, même s’il pourrait parfois aller plus loin : les élus écologistes, lors de la discussion parlementaire, ont constamment insisté sur la nécessité d’associer bonne gestion des déchets et moindre production. Les entreprises sont, sur ce point, peu contraintes.

Le plastique : pas de solution miracle

 Lors de l’examen du projet, la polémique a porté sur le développement de la consigne (en réalité non pas de la consigne traditionnelle pour réemploi, longtemps appliquée aux bouteilles de verre, mais de la consigne pour recyclage). Pour atteindre (voire dépasser[1]) les objectifs de collecte et de recyclage prévus par la directive SUP, soit 77 % de collecte de bouteilles en plastique PET en 2025 et 90 % de toutes les bouteilles en plastique en 2029 avec une teneur en matériaux recyclés de 25 % puis de 30 %, le gouvernement français entendait généraliser la consigne en faisant appel à des organismes privés. De fait, si, en France, 69 % des emballages sont recyclés, les emballages papiers et cartons le sont à 94 %, ceux en verre à 76 % et ceux en plastique seulement à 26 %[2].  Ce projet de « consigne » a suscité plusieurs refus : celui des collectivités, en charge jusqu’à présent de la collecte et qui craignaient d’en être dépossédées et de perdre de l’argent (elles soulignaient que le projet était en contradiction avec les principes de la REP appliqués en ce domaine) ; celui des écologistes et des experts, cette fois-ci pour des raisons de fond. Ceux-ci d’une part craignent l’effet rebond sur la consommation d’un développement du recyclage et, d’autre part, ne considèrent pas le recyclage du plastique comme un vrai recyclage. Les collectivités ont obtenu gain de cause : la loi repousse à fin 2022 un bilan permettant de mesurer le degré d’atteinte des objectifs d’amélioration de la collecte et du recyclage, ce qui permettra d’envisager à nouveau, ou pas, la mise en place d’une consigne. Les experts quant à eux n’ont pas été entendus.

Que disent-ils ? Que chaque année, en France, chaque habitant jette à peu près l’équivalent de son poids moyen en plastique (68 kg) ; que ces plastiques issus des hydrocarbures ne sont pas biodégradables ; que les ¾ de ces plastiques sont aujourd’hui soit dispersés dans l’environnement soit empilés dans des décharges dont, au final, le contenu se retrouvera lui aussi dans la terre, l’eau, les fleuves et les océans ; qu’un quart seulement est soit incinéré pour produire de l’énergie, soit recyclé (on estime à 14 % cette part, dont 4 % se perd au cours du recyclage). Mais les plastiques ne peuvent la plupart du temps pas être recyclés plusieurs fois : le plastique se dégrade en effet lors du recyclage et, aujourd’hui, seule une très faible proportion (2 %) peut produire plusieurs fois du plastique. Le recyclage, même à supposer qu’il se développe de manière très vive, au-delà des bouteilles, pour éviter les mises à la décharge et la dispersion dans la nature, représente donc aujourd’hui une solution fallacieuse[3]. Les pouvoirs publics expliquent tabler sur la recherche pour améliorer ces résultats mais cette amélioration est hypothétique et il faudra faire attention au bilan écologique des solutions proposées, qui risque d’être mauvais. Surtout, l’ampleur de la catastrophe écologique créée dès aujourd’hui par la prolifération des plastiques[4] impose une autre réponse : il faut limiter la production et l’utilisation des plastiques[5], favoriser les substituts biodégradables qui commencent à être commercialisés et ne pas voir le recyclage comme la solution miraculeuse qu’il n’est pas.

Dans le débat, structurant pour la protection de l’environnement, entre le recours à des solutions techniques qui se veulent rassurantes et la modification des comportements, le gouvernement fait beaucoup trop pencher la balance au bénéfice des premières. Certaines des dispositions de la loi sont importantes mais celle-ci n’apporte pas de réponse sur le principal problème qu’elle entendait traiter. Nous déclarons la guerre au plastique, disait la secrétaire d’Etat à la transition écologique en juillet 2019, pour plaire à une opinion publique très sensibilisée sur ce sujet. Non, pas vraiment.

Pergama, le 9 février 2020

 

[1] La loi entend « tendre à un recyclage de 100 % en 2025 », pétition de principe qui ne devrait pas relever d’un texte législatif

[2] Source : projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, étude d’impact.

[3] « Loi anti-gaspillage : recycler 100 % de nos plastiques à l’infini est une illusion », interview de N. Gontard, Directrice de recherche à l’INRA, Institut national de la recherche agronomique, Le Monde 31 janvier 2020

[4] Voir ainsi le rapport 2019 de l’IFREMER sur la pollution en méditerranée, tout particulièrement la pollution par les plastiques.

[5] La seule disposition de la loi en ce sens porte sur les emballages en plastique des fruits et légumes