La protection de l’environnement : un objectif à valeur constitutionnelle

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La protection de l’environnement : un objectif à valeur constitutionnelle

Une disposition de la loi EGALIM de 2018 prévoit l’interdiction, à compter de 2022, de la production, du stockage et de l’exportation de produits phytosanitaires interdits en Europe pour leur dangerosité, ce qui ne permettra plus aux fabricants de les produire et de les vendre à l’étranger (essentiellement en Afrique). L’Union des industries de protection des plantes (le nom officiel des entreprises chimiques qui produisent des pesticides) a obtenu du gouvernement, lors du vote de la loi Pacte de 2019, le report à 2025 de l’échéance et des exceptions à l’interdiction. Les industriels ont cependant voulu obtenir davantage et ont déposé une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) à l’encontre de la disposition de loi, arguant qu’elle porte une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre garantie par le préambule de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel leur a donné tort et a validé la mesure.

Le Conseil s’appuie sur deux dispositions : en premier lieu, le préambule de la Charte de l’environnement, selon lequel « l’environnement est le patrimoine commun des êtres  humains… la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation » [et] « afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins » ; en second lieu, le préambule de la Constitution de 1946 qui garantit un droit à la santé. Sur ces fondements, il considère que l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre est en lien avec les deux objectifs à valeur constitutionnelle que sont la protection de l’environnement et la santé. Même si les produits phytosanitaires concernés sont exportés en dehors de l’Union, la France ne peut participer aux atteintes à la protection de l’environnement et à la santé qui résulteraient de leur utilisation.

Le Conseil constitutionnel a déjà admis que des atteintes soient portés à la liberté d’entreprendre pour un motif d’intérêt général ou un objectif d’ordre public, même si les jurisprudences les plus récentes sont plutôt équilibrées entre les décisions qui la défendent (2015-516, 2014-692) et celles qui en admettent l’altération (2015-468 et 2014-399). Pour autant, deux points sont nouveaux dans la décision du 31 janvier 2020 : d’une part elle s’appuie sur le préambule de la Charte  de l’environnement. Or, si, depuis 2005 la Charte fait partie du « bloc de constitutionnalité », le Conseil considérait jusqu’à maintenant que le préambule de la Charte « n’instituait pas de droits et libertés que la Constitution garantit » et ne pouvait donc être invoqué à l’appui d’une QPC (décision 2014-394). Il s’agit donc d’un revirement qui élargit le droit des QPC. D’autre part, si la santé avait déjà été qualifiée d’objectif à valeur constitutionnelle puisque le préambule de la Constitution de 1946 assigne à la Nation mission d’assurer à tous la protection de la santé, tel n’était pas jusqu’à présent le cas de la protection de l’environnement. Rappelons que les objectifs à valeur constitutionnelle reconnus par le Conseil à partir de certains textes de valeur constitutionnelle ont une valeur normative mais que leur force contraignante est considérée comme plus faible que celle d’autres droits : l’application des objectifs ne doit pas dénaturer l’exercice des autres droits et libertés garantis constitutionnellement  et, inversement, il est loisible d’apporter des limitations à ces objectifs à valeur constitutionnelle dès lors qu’ils ne sont pas dénaturés. Peu importe ici : l’analyse du Conseil permet un pas décisif vers une protection environnementale plus complète.