Sahel : la présence française en débat

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Sahel : la présence française en débat

En janvier 2020, à la suite de la mort de 13 soldats français au Sahel quelques semaines auparavant et de la multiplication des analyses soulignant l’échec de l’opération militaire Barkhane menée par la France dans cette zone, le Président français a convoqué à Pau un sommet des pays du G5 (Mali, Burkina-Faso, Mauritanie, Niger et Tchad), en présence d’un représentant de l’ONU (une force d’intervention est présente au Mali) et d’un représentant de l’Union européenne (de modestes contingents de divers pays de l’Union interviennent aux côtés de la France). Des décisions ont été prises : les forces de Barkhane et du G5 seront placées sous commandement conjoint, la France va envoyer des soldats supplémentaires, le périmètre d’intervention de Barkhane est resserré à la zone des 3 frontières (Mali, Burkina-Faso et Niger) et le contingent européen devrait être renforcé. Il est bien évidemment trop tôt pour savoir si ce sursaut permettra de diminuer l’insécurité dans la zone. Force est toutefois de constater que, depuis le lancement de l’opération Serval en 2013 présentée comme une opération d’urgence destinée à protéger la capitale du Mali d’une invasion djihadiste venue du nord, la menace s’est intensifiée et étendue, gagnant même des pays plus au sud.

C’est aussi au mois de janvier 2020 qu’est paru l’ouvrage d’un chercheur « Une guerre perdue » (M-A Pérouse de Monclos, J-C Lattès) sur l’intervention de la France au Sahel. Le livre considère que, dès le départ, l’interprétation des faits donnée par le Président Hollande a été erronée : à l’époque, l’intervention, qui devait durer 6 mois, a été présentée comme un barrage dressé in extremis face à des djihadistes hostiles à l’occident qui, une fois Bamako pris, dissémineraient leurs attaques en Europe. La France a voulu, en 2013, faire une « démonstration de puissance » et se présenter en défenseur du monde occidental. Par la suite, en 2014, Barkhane a étendu le champ d’intervention de Serval pour stabiliser des Etats voisins également menacés parle djihadisme. Or, les luttes constatées résulteraient essentiellement de dynamiques locales et, en particulier, de conflits entre éleveurs nomades et cultivateur sédentaires, les questions de bétail et de terres étant au centre de la discorde, sur fond d’Etats  qui se replient sur les villes mais commettent aussi des exactions visant surtout les éleveurs peuls ; les djihadistes présents, qui profitent de ces conflits, n’ont aucune intention de menacer l’Occident ; les motivations religieuses se mêlent aux brigandages mais l’exaspération suscitée par les exactions et la corruption des Etats joue un rôle décisif ; la stabilisation des Etats du Sahel est une œuvre titanesque qui ne peut être menée que par des Africains, la Mauritanie et le Niger étant toutefois plus solides que les autres Etats, très fragiles. La présence française serait même contre-productive pour y parvenir (une ancienne puissance coloniale ne peut par définition réussir à rétablir en Afrique un Etat de droit qui défaille), d’autant qu’elle a perdu le soutien de la population (qui en mesure l’impuissance), soulève des fantasmes conspirationnistes et que, en s’alliant à des régimes faibles et corrompus, la France risque d’être éclaboussée par leurs pratiques. Elle doit y renoncer en définissant un calendrier de désengagement, d’autant que les Américains vont se retirer et que personne ne comprend très bien quel rôle jouent les soldats des Nations-Unis, qui ne parviennent pas à défendre les populations contre les exactions subies.  La solution est politique et locale, elle est entre les mains des Etats qui doivent apporter une solution aux conflits latents, renoncer aux exactions, mieux protéger la population. La démonstration est convaincante et elle est d’ailleurs reprise par des intellectuels locaux. Si, dans quelques mois, les décisions prises à Pau n’apportent pas de solutions, il faudra bien y revenir.