La prime d’activité, symbole d’une évolution forte de la protection sociale?

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La prime d’activité, symbole d’une évolution forte de la protection sociale?

Un article du site « La vie des idées » du 4 février 2020 évoque, sous la signature de Nicolas Duvoux, « La révolution silencieuse de la prime d’activité ».

Jusqu’alors, la prime d’activité donnait lieu à des analyses très positives.

Rappelons son histoire : elle a remplacé en 2016 deux prestations, d’une part le « RSA activité » versé aux travailleurs n’atteignant pas un certain niveau de revenus, financé par un impôt, d’autre part la prime pour l’emploi, intégrée à l’impôt sur le revenu, dont certains travailleurs modestes bénéficiaient avec un an de décalage. L’objectif affiché de ces prestations était d’inciter au retour à l’emploi mais le caractère différé de la prime pour l’emploi rendait dubitatif sur son impact et le RSA activité a été peu réclamé (taux de non recours élevé de 68 %) : la prestation, versée parfois à contre temps, était difficile à prévoir, accroissant le sentiment de précarité et d’insécurité.

La prime d’activité créée en 2016 (et désormais financée par le budget de l’Etat directement)  a rectifié tous ces manques : l’âge n’a plus été un motif d’exclusion (on touche la prime à partir de 18 ans, sachant que la pauvreté des jeunes est forte et n’était pas, jusqu’alors, combattue). La démarche est totalement dématérialisée, ce qui n’est pas neutre sur la représentation de l’aide. On se connecte, on remplit sa déclaration, on envoie le cas échéant des pièces sous forme électronique, on obtient immédiatement l’assurance que le dossier est pris en compte et le montant dû est indiqué. De ce fait, la prestation apparaît davantage comme un droit, ce qui est de nature à lutter contre le non recours. Le versement est gelé sur un trimestre (le montant n’est pas revu en fonction d’éventuels changements professionnels pendant cette période, ce qui évite les indus, soupçons, rectifications). Au final, les résultats sont sans ambiguïté : lors de la préparation du RSA activité, en 2008, les pouvoirs publics avaient chiffré à 2,5 millions le nombre de travailleurs susceptibles d’en bénéficier : ceux-ci ont à peine dépassé 600 000 en 7 ans. Quant à la prime d’activité, elle a été versée, dès la première année, à 2,5 millions de personnes. En septembre 2019, après, il est vrai, la décision de janvier 2019 de l’augmenter fortement au niveau du SMIC (90 €), décision prise à la suite de la crise des Gilets jaunes, 4,26 millions de foyers la touchaient. Enfin, un bilan qualitatif réalisé sur 2018 par l’OFCE était également favorable : la prime d’activité réduit la pauvreté de 1 point, contre 0,6 point pour le RSA activité : elle est donc plus efficace. Quant aux effets, parfois craints, de désincitation à l’emploi, l’OFCE jugeait qu’ils « ne sont pas décelables ».

C’est un point de vue différent qu’adopte N. Duvoux dans l’article de la Vie des idées. La création de la prime d’activité a été présentée comme une amélioration technique d’un dispositif social qui fonctionnait mal, le RSA activité. Pour autant, sa caractéristique principale est d’être destinée à des personnes qui travaillent sans atteindre un niveau donné de revenu, avec une dimension d’assistance (elle tient compte des revenus du ménage et non des personnes). A la suite du mouvement des Gilets jaunes, il a été décidé d’améliorer le pouvoir d’achat des travailleurs modestes et non pas pauvres, l’amélioration de la prime concernant, à son meilleur niveau, les travailleurs entre 1 et 1,3 SMIC, avec une augmentation du plafond de ressources. L’augmentation a servi de substitut à une augmentation du SMIC que les pouvoirs publics n’ont pas voulu imposer aux entreprises.  L’évolution de la prestation confirme donc que l’on encourage les personnes modestes à travailler sachant que, en parallèle, le montant de la prestation servie aux personnes pauvres sans activité (le RSA) a été peu revalorisé, ce qui accroît le fossé entre les deux catégories. La prime d’activité ne fait plus le lien entre le RSA et l’activité, elle est en réalité dissociée du RSA et concerne d’autres catégories. On peut donc craindre une évolution à l’américaine, où le soutien financier aux travailleurs pauvres ou modestes s’est substitué aux prestations d’assistance, même si, aujourd’hui, la France garde les deux types de prestations. De plus, l’article souligne la logique qui unit amélioration de la prime d’activité et réduction des allocations chômage : les personnes sont aidées quand elles travaillent. Enfin, la prime, financée par l’Etat, s’inscrit dans un mouvement d’« étatisation de la protection sociale » dont témoigne aussi l’intervention de l’Etat dans la définition des prestations chômage de 2018. Le dispositif compliqué de protection sociale peut ainsi progressivement céder la place à une protection financée par l’Etat, avec peut-être comme conséquence que c’est vers l’Etat que se retourneront désormais les travailleurs modestes en quête d’amélioration de leur situation.