Pouvoir d’achat et inégalités: expliquer l’écart entre les chiffres et le ressenti

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Pouvoir d’achat et inégalités: expliquer l’écart entre les chiffres et le ressenti

L’Insee vient de lancer son blog (https://blog.insee.fr ), pour éclairer différemment les débats publics auxquels il participe en fournissant données et études. Ce nouveau support doit lui permettre de mieux réagir à l’actualité et surtout d’apporter une contribution moins formelle aux discussions. L’on comprend, à lire la présentation du nouveau blog, que l’Insee a également envie de répondre aux critiques qui lui sont adressées, de plus ou moins bonne foi, sur l’établissement de certaines données ou sur certaines analyses.

Le premier blog traite, de fait, de plusieurs sujets sensibles, l’enquête emploi, la baisse de la croissance au dernier trimestre 2019 et l’interprétation à donner au PIB. L’Insee les aborde de manière pédagogique et simple, ce qui au moins dissipe certains malentendus. Il traite également d’un thème délicat, la divergence entre les chiffres et le ressenti des Français sur l’évolution du pouvoir d’achat et des inégalités.

Sur ce thème, s’opposent deux thèses : la première, celle de l’Insee, soutient que les inégalités en France sont contenues avec une croissance positive du pouvoir d’achat, la deuxième, plutôt l’apanage de l’opinion publique, est que les inégalités sont croissantes avec un recul ou une stagnation du revenu.

S’agissant du revenu, l’Insee explique que l’opposition entre les deux thèses n’est qu’apparente et cède avec une bonne interprétation des données. Il est indéniable que le PIB tout comme le revenu disponible des ménages sont de 9 à 10 points supérieurs en 2018 à ceux de 2007. Mais ces chiffres recouvrent une augmentation de la population et une diminution de la taille des ménages. Si on raisonne en revenu par unité de consommation, en annihilant ces effets démographiques, on s’aperçoit qu’il n’est pas en 2018 supérieur à celui de 2007, avec une diminution jusqu’en 2013 compensée depuis lors par une remontée. Il est donc à la fois exact de dire que le revenu des ménages a augmenté et qu’il y a eu, au niveau des individus, stagnation du niveau de vie pendant 10 ans.

Quant aux inégalités de revenu, elles sont stables, indéniablement. Mais l’on sait que les inégalités sont d’autant plus mal tolérées que la croissance du revenu est faible et que les personnes ont le sentiment de ne pas progresser. Dans une autre analyse sur le même thème, l’économiste F. Bourguignon imputait le ressenti des Français d’un accroissement des inégalités au fait que les inégalités sont plurielles (il ne s’agit pas seulement des inégalités de revenu mais aussi d’accès à la santé, à l’éducation, à la sécurité de l’emploi) : ces inégalités sont durement ressenties dans un monde marqué par l’incertitude sur l’avenir.

Enfin, le débat sur la croissance du pouvoir d’achat est constant et la mesure en est régulièrement contestée : l’Insee en souligne les points délicats. Les revenus sont fiables et les relevés de l’évolution des prix aussi. En revanche, le débat reste ouvert sur la manière dont on tient compte, dans un indice censé mesurer l’évolution de prix de biens strictement comparables, de l’amélioration des performances et de la qualité des produits (réfrigérateur, téléphone…). La question cruciale est aussi celle du logement : comment prendre en compte l’augmentation de prix d’un bien qui enrichit ceux qui le possèdent et appauvrit les autres ? Enfin, mesurer l’évolution des prix sur un panier de biens constants est une chose, mesurer l’évolution du coût de la vie en est une autre : dans ce dernier cas, il faut tenir compte des normes de consommation, qui évoluent, et du sentiment de déclassement que l’on peut ressentir si on est obligé de décrocher par rapport à ces normes, quand bien même on vivrait comme auparavant.

Au final, l’Insee indique que le pouvoir d’achat a été multiplié par 5 en moyenne entre 1960 et 2018. Mais plusieurs raisons expliquent que les Français considèrent ce chiffre comme très exagéré : en premier lieu, on se souvient mieux des années les plus récentes : or, comme vu ci-dessus, le revenu a stagné depuis 2008 ; de plus, le pouvoir d’achat par unité de consommation a moins augmenté (il n’a été multiplié que par 3). Enfin, si l’on calcule le pouvoir d’achat « arbitrable » qui ne tient pas compte des dépenses contraintes de logement, de téléphone et d’assurances, le pouvoir d’achat n’a augmenté que de 2,5. Encore néglige-t-on ici les normes sociales et les comparaisons avec les catégories plus aisées, qui font que l’on peut se sentir moins bien loti, même avec un pouvoir d’achat qui augmente, dès lors que l’on a le sentiment de ne pas pouvoir s’offrir ce que d’autres peuvent consommer.