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Eoliennes, le coup de chaud

Lors d’une cérémonie à l’occasion de la signature du contrat de transition écologique de la Communauté d’agglomération de Pau, le 14 janvier 2020, le Président de la République, dans un discours défendant sa politique écologique, a plaidé pour le développement des énergies renouvelables, la réduction de la consommation d’hydrocarbures dans les transports, la fin de l’artificialisation des sols et une alimentation saine. Au détour d’une phrase, mentionnant son souhait de voir se développer surtout, au sein des renouvelables, le solaire et l’énergie hydroélectrique, il a indiqué que les perspectives du développement massif de l’éolien lui semblaient réduites : cette production, qui dégrade les paysages, ne fait, a-t-il dit, pas consensus et comme on ne peut pas l’imposer d’en haut, elle a peu d’avenir. En février, la ministre de la transition écologique et solidaire, auditionnée par le Sénat sur la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie), parlait alors à son tour de « développement anarchique de l’éolien », évoquait « les pires horreurs » (covisibilité avec des monuments historiques, saturation de l’espace, encerclement de petits bourgs), se demandant même comment on en était arrivé là.

 Le discours est étonnant. En premier lieu, comme l’a d’ailleurs rappelé la ministre dans ses réponses aux questions des sénateurs, la PPE qui va être prochainement adoptée après la fin de la consultation publique organisée sur ce projet prévoit le doublement de la puissance installée de l’éolien terrestre d’ici à 2028, sachant qu’elle a déjà doublé de 2014 à 2018. Il est certes nécessaire de prévoir des changements dans la stratégie d’implantation car les parcs éoliens terrestres sont inégalement répartis : fin 2018, près de la moitié de la puissance installée l’était dans les Hauts de France et le Grand-est. De même, il est certain que les installations de parcs d’éoliennes posent parfois des questions d’acceptabilité et sont accusées d’abimer les paysages. Il est donc important d’y veiller, de choisir les sites les plus propices et de convaincre les élus et la population.

Plusieurs points sont toutefois gênants dans ces déclarations.

D’une part il faut rappeler (les associations de défense de l’environnement ne s’en sont pas privées en ce début 2020) que tous les sondages montrent une acceptation élevée de l’éolien : le dernier, réalisé en octobre 2018 (sondage Harris Interactive et France Energie éolienne) montre que 73 % des Français ont une assez bonne ou très bonne image de l’énergie éolienne et que c’est le cas de 80 % des riverains d’une installation. S’il est vrai que c’est l’impact paysager qui recueille le moins d’adhésion positive (44 % des Français et 51 % des riverains), ce qui est frappant, c’est que seulement 48 % des personnes qui étaient opposés à l’installation d’éoliennes le sont toujours une fois l’installation effectuée. Ces données sont très loin de témoigner d’un rejet systématique, même s’il importe d’être attentifs à des projets mal situés qui doivent être refusés. C’est presque pervers de soutenir dans ces conditions que la population est hostile et qu’on ne peut de ce fait pas développer l’éolien.

Ensuite, les installations d’éoliennes obéissent à des textes précis et contraignants. Ainsi, les éoliennes avec mât de plus de 50 mètres sont des ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement) soumises, comme telles, à autorisation du préfet. Celui-ci depuis 2017 délivre une « autorisation environnementale unique » qui vaut permis de construire. Avant cette autorisation, se situent plusieurs phases : une phase d’instruction des services de l’Etat et de saisine de l’Autorité environnementale (plus exactement de la mission régionale de cette autorité), sur le fondement de plusieurs études (une sur le bruit, une autre sur les conséquences pour les animaux, essentiellement les oiseaux et les chauve-souris, et une étude portant sur l’insertion paysagère, qui comporte des photomontages) ; une phase de consultation des collectivités et d’enquête publique. L’autorité environnementale se prononce (elle doit le faire en toute indépendance), les services de l’Etat aussi et l’enquête publique comporte des observations du public et une synthèse. C’est cette procédure complexe que la ministre et le Président mettent vivement en cause « pour avoir produit des horreurs », alors que tous les guides publiés par l’Adème, organisme officiel,  vantent le faible bruit des éoliennes, les précautions prises pour protéger la biodiversité et « l’attention portée à la préservation des paysages ». On a connu des ministres plus soucieux de ne pas désavouer aussi nettement leur propre administration, voire leur propre action ou celle de leurs prédécesseurs.

Ce qui est également gênant, c’est que le sujet de l’acceptabilité des éoliennes a déjà été étudié il y a peu de temps au niveau du Ministère de la transition énergétique : un groupe de travail a remis un rapport en janvier 2018 dont l’objet était d’améliorer l’acceptabilité des projets mais dans la perspective d’accélérer l’installation des éoliennes, jugée beaucoup trop longue et pénalisante pour le développement des énergies renouvelables. A l’époque, le ministre Sébastien Lecornu, hier en place auprès du Ministre en charge de la transition écologique et solidaire, aujourd’hui en charge des collectivités territoriales, présentait les 10 propositions du « Groupe éolien » : la première était « Gagner du temps » (en accélérant et en simplifiant le contentieux, en simplifiant les procédures) ; la deuxième était d’apaiser les relations avec les habitants, en passant d’un éclairage clignotant à un éclairage fixe, en finançant des études pour favoriser l’insertion dans les paysages,  en favorisant l’adoption de bonnes pratiques entre les porteurs de projet et les collectivités. Découvrir en 2020 que la question est en déshérence après l’annonce d’un plan finalement récent fait désordre.

Enfin, ce qui est infiniment gênant, c’est la tonalité des paroles du Président de la République. D’un mot, il semble rayer l’éolien de l’avenir et ne retenir, parmi les énergies renouvelables électriques, que le solaire et l’hydroélectricité. Or, l’adoption de la programmation de l’énergie (qui prévoit le développement de l’éolien) repose sur des procédures démocratiques longues et l’arbitraire n’y a pas sa place. L’on se met donc à soupçonner l’intervention de lobbies : il en existe en effet et de très virulents. Ainsi, la Fédération environnement durable n’hésite pas à déclarer sur son site que les services de l’Etat défendent les intérêts privés de la filière, que les partisans de l’éolien utilisent des données scientifiques truquées, que les lois récentes ont visé à empêcher les citoyens de se défendre et que l’industrie éolienne massacre la France.

Il est vrai que la ministre a rétropédalé lors d’une séance de questions parlementaires en mars : elle a alors souligné que les éoliennes sont indispensables à la transition énergétique et qu’il faut simplement mieux les répartir. Mais lorsque les choix de politiques publiques sont difficiles ou contestés, mieux vaudrait éviter les louvoiements, souvent révélateurs d’arrière-pensées inavouables.