Réforme des retraites : quel contenu après son adoption sans vote?

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Réforme des retraites : quel contenu après son adoption sans vote?

Le projet créant un système universel de retraites a été adopté sans vote en première lecture par l’Assemblée nationale. A cette occasion, le Premier ministre a intégré dans le texte soit des annonces qu’il a faites lors de la discussion du texte pour améliorer les droits familiaux et conjugaux, soit une partie des amendements déposés. Ces mesures sont extrêmement techniques mais elles vont toutes dans le sens d’une amélioration, sachant toutefois que nombre de débats de fond (dont la pénibilité) restent à traiter.

Quelles sont les principales améliorations ?

 Les mesures qui figurent dans le texte concernent d’abord l’amélioration des garanties accordées aux femmes. Les majorations de points pour enfant (5 % dès le premier et 2 % en plus pour les familles de trois enfants) font l’objet d’une répartition différente : les mères bénéficieront d’office de la moitié, soit 2,5 % par enfant, et seule l’autre moitié pourra être soit partagée entre les parents, soit, à défaut, attribuée à la mère. Un montant plancher de cet avantage sera défini pour les faibles revenus sous condition minimale d’activité ainsi que pour les familles monoparentales. Une autre amélioration concerne cette fois-ci les droits conjugaux et l’attribution d’une part de la pension d’un assuré aux conjoint divorcé au prorata de la durée de mariage, sous condition de ressource, alors que jusqu’alors il n’était pas prévu que les conjoints divorcés aient des droits.

 La nouveauté consiste aussi dans les précisions apportées sur les modalités de transition : la clause « à l’italienne », d’abord appliquée aux seuls régimes spéciaux, sera désormais appliquée à tous les actifs : pour ceux nés après 1975 qui rentreront dans le nouveau système en cours de carrière et devront donc convertir une part de leurs droits, les droits acquis dans la période de cotisation précédant le basculement dans le nouveau système seront calculés au moment de la retraite, en tenant compte du salaire de fin de carrière, ce qui est plus avantageux.

 Pour les indépendants et les fonctionnaires pour lesquels la cotisation future correspond à un alourdissement fort (elle sera de 28,12 % mais sur tous les revenus, y compris les primes, avec un partage 60-40 entre cotisation patronale et salariale), une longue période de transition est prévue (20 ans) avec la possibilité, pour les employeurs publics, de payer transitoirement une cotisation plus élevée que 60 % pour alléger la charge des salariés. L’assiette des cotisations des indépendants bénéficiera d’un abattement de 30 %. De même un système de solidarité est mis en place pour les avocats de faible revenus peu capables de payer une cotisation alourdie.

Le droit à la retraite progressive est étendu aux fonctionnaires et assoupli pour les seniors du régime général, qui pourront le faire jouer dès 60 ans. Enfin, des dispositions propres aux catégories actives de la fonction publique conservent les avantages existants à certains métiers en plus de ceux prévus jusqu’ici.

Quelles conclusions tirer de ces annonces ?

 Le gouvernement attend de ces annonces un apaisement des débats : il l’obtiendra sans doute en partie (les différentes organisations professionnelles seront conscientes des avancées) mais pas totalement. D’une part, les questions les plus importantes restent en suspens : pourra-t-on faire évoluer l’âge pivot déjà inscrit dans le texte en fonction de la carrière, du métier, de la pénibilité subie ou sera-t-il le même pour tous ? Quelles mesures d’économies à horizon 2025 ? Comment fonctionnera la règle d’or qui impose un équilibre financier du système sur 5 ans ? A quelle date sera attribué le minimum de pension de 85 % du Smic ? Comment sera améliorée la situation des fonctionnaires ayant peu de primes? Or, sur la pénibilité, les débats entre le MEDEF et les organisations de salariés se passent mal. Par ailleurs, en retouchant constamment son texte, le gouvernement le complexifie (l’opinion publique ne suit plus) et montre indirectement combien la première version avait été insuffisamment préparée, négligeant des intérêts catégoriels qui, après examen, ne paraissent pas illégitimes.

Dans un billet plein de sagesse publié dans Le Monde du 11 mars 2020, P-Y Gomez, professeur de management, explique les raisons de la « résistance au changement » : ce n’est pas tant que les Français ne voient pas la nécessité d’une réforme (ils pensent que l’âge de départ va inéluctablement reculer). Mais ils ne comprennent pas en quoi le fait de retirer à toute une part de la population des avantages effectivement peu justifiés va améliorer leur propre situation : or, le gouvernement n’a pas été capable jusqu’ici de le leur démontrer, ni en ce qui concerne les économies attendues, ni en ce qui concerne le montant des retraites servies après la réforme. De plus, la réforme paraît entrer en contradiction avec la réalité vécue, celle du chômage des seniors ou de leur incapacité à continuer à travailler : il aurait fallu montrer comment cette question était traitée alors qu’elle est arrivée très tard dans les négociations. En réalité dit P-Y Gomez, contrairement à ce que croient toujours les promoteurs des réformes, la résistance au changement peut tout à fait reposer sur des arguments fondés dont il faut tenir compte.

Reste enfin qu’à bricoler ainsi au fil des discussions, il n’est pas certain que la logique de départ de la réforme soit encore visible à l’arrivée et que le système, qui devait être simple, lisible et égalitaire, le soit encore.