Opioïdes et pauvreté

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Opioïdes et pauvreté

Sur la consommation d’opioïdes en France, l’on disposait déjà d’une étude récente de l’ANSM, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, en date de février 2019. Cette étude témoignait d’une certaine inquiétude devant l’augmentation de la consommation d’antalgiques opioïdes, même si la situation française ne pouvait, sur ce point, être comparée à celle, beaucoup plus préoccupante, des Etats-Unis et du Canada. En 2015, 10 millions de Français se sont vus prescrire de tels produits. Entre 2006 et 2017, les prescriptions (Tramadol, codéine, morphine…) ont augmenté de 150 % et le nombre d’hospitalisations liées à la consommation de 167 %. L’augmentation des prescriptions s’explique certes par une préoccupation partagée des soignants et des pouvoirs publics de mieux lutter contre la douleur. Mais on en arrive aussi à un « mésusage », avec un risque fort de dépendance, de conséquences sur la santé et d’augmentation des décès (+ 146 % de décès liés à ces consommations de 2000 à 2015).

Au-delà de ce constat, 5 chercheurs de l’Université de Bruxelles ont étudié en France la corrélation entre la consommation des opioïdes et la pauvreté, département par département. Ils ont étudié les données de vente des antalgiques opioïdes de 2008 à 2017 et les ont mis en relation avec des indicateurs socioéconomiques, taux de pauvreté, taux de chômage, densité de la population et niveau d’éducation. Selon eux, une augmentation de 1 % de taux de pauvreté conduit à une augmentation de consommation de 10 % d’antalgiques. Il est vrai, disent-ils, que les populations pauvres souffrent aussi davantage de maladies et de douleurs chroniques et qu’elles fument davantage, ce qui les expose à des cancers où la prescription d’antalgiques se justifie. Mais peut-être la consommation est-elle due aussi, au-delà des propriétés antidouleur, aux effets anxiolytiques de ces produits. De plus, la corrélation est peut-être moins directement médicale. L’institution du RSA a en effet atténué la consommation : avoir un peu d’argent allège la vie. Certes, nous sommes loin des constats d’outre atlantique : l’on estime à plusieurs millions le nombre de patients devenus lourdement dépendants des opioïdes aux Etats-Unis et à 200 000 les décès par overdose depuis 20 ans, dans un contexte, il est vrai, où les laboratoires pharmaceutiques ont pu développer librement une communication mensongère qui minimisait systématiquement les risques. Mais le phénomène a des parentés : ce sont les personnes les plus isolées et les moins bien armées pour entrer sur le marché du travail qui en sont, là-bas comme ici, les victimes.