Conseil d’Etat : pas de problème dans les prisons

L’Union compte parmi ses membres un pays qui n’est plus une démocratie
12 avril 2020
Comptes de l’enfance : des familles modestes mieux prises en compte
12 avril 2020

Conseil d’Etat : pas de problème dans les prisons

Par ordonnance du 8 avril 2020, le Conseil d’Etat a rejeté une requête en référé de divers syndicats et associations demandant que cessent les atteintes aux droits fondamentaux des détenus liées à l’épidémie de coronavirus. Les ONG demandaient, en particulier, que soit élargi à certains condamnés et aux personnes prévenues le champ des libérations anticipées prévues par l’ordonnance du 25 mars 2020 ; que des mesures soient prises permettant d’accélérer le traitement de certaines demandes (aménagement et réduction de peine) ; que les détenus puissent bénéficier de mesures de protection et d’hygiène, distribution de masques et de gel hydro-alcoolique, produits pour le nettoyage des cellules, savon, accès aux douches, dépistages automatiques dès lors qu’une personne de l’établissement aura été atteinte ; enfin que les contacts avec les familles puissent être maintenus. Les requérants soutenaient que les conditions d’hygiène s’étaient dégradées depuis la survenue de l’épidémie ainsi que le lavage du linge et l’accès aux douches, et que l’absence de mesures de protection mettait en danger les détenus qui ont, au regard des textes, le droit de recevoir les traitements et les soins appropriés et de ne pas être exposés à des risques mortels ou soumis à des traitements inhumains.

De semblables requêtes ont déjà été formés pour ce qui concerne les camps de migrants à Calais où le Conseil d’Etat avait enjoint à l’Etat de mettre en place des mesures d’hygiène et de protection minimales.

En l’occurrence, le Conseil d’Etat considère que l’élargissement du champ des libérations anticipées relève de la loi et pas des mesures d’urgence qu’il peut ordonner à l’Etat de mettre en place dans le cadre d’un référé : il a raison. Reste que la baisse du nombre de détenus n’est pas suffisante pour protéger de la contagion ceux qui restent et qui demeurent entassés : le rappeler n’aurait pas été inutile.

Sur le nettoyage, les règles d’hygiène, la distribution de savon, le maintien des douches, la préparation des repas, le Conseil considère que les consignes nécessaires ont été données et figurent dans les instructions de la ministre de la justice. Il ne peut pas bien sûr en dire autant des masques et des dépistages : sont alors mentionnées toutes les consignes de protection qui pallient ces manques (réduction des échanges avec l’extérieur, maintien des groupes à l’identique, distribution de masques aux surveillants, consignes d’isolement données en cas de signes d’infection). Quant aux liens par téléphones aux familles, les crédits téléphoniques accordés depuis mars lui paraissent une mesure suffisante. Il refuse au demeurant la communication d’un plan détaillant l’application des mesures préconisées par le Ministère au niveau de chaque établissement.

 

La lecture de l’ordonnance est fascinante : l’on sait l’état des prisons et le risque important de contagion qui peut s’y développer. L’on sait que les mesures de libération auraient dû aller plus loin pour protéger les détenus. L’on sait que certaines mesures ne peuvent pas être prises parce qu’il y a moins de personnel, pas de possibilité de nettoyer correctement des locaux encrassés et, bien évidemment, pas de masques, trop peu de téléphones disponibles et surtout très peu dans des zones privées. Le Conseil d’Etat sait tout cela et il applique le principe de réalité : les consignes ont été données de faire au mieux, il appartient aux établissements de les appliquer, c’est tout. Certes, il pouvait difficilement ordonner de mettre en place des mesures qui ne pouvaient l’être parce que tout est sale, que le personnel manque, que la place manque, que les cellules sont surpeuplées. Mais peut-être aurait-il pu avoir un « considérant de compassion » : demander que chaque lieu de détention communique son mode de fonctionnement sur les points évoqués, que la Contrôleuse des lieux privatifs de liberté puisse en vérifier le respect, regretter l’absence de respect de la règle de l’encellulement individuel…Telle quelle, l’ordonnance est choquante. Elle fait comme si le droit était respecté. Santé, protection, dignité, maintien des liens familiaux, il ne l’est pas, même si cet irrespect est en grande partie un héritage de l’histoire et des pratiques de justice contre lequel on ne réagira pas par un référé-liberté ponctuel.