Le projet de loi sur la prolongation de l’urgence sanitaire a été publié le 2 mai 2020 et sera soumis au vote du Parlement la semaine qui vient. Cette prolongation d’un état défini par la loi du 23 mars 2020 (qui en fixait le terme au 23 mai 2020) a fait l’objet d’un avis favorable à l’unanimité du Conseil scientifique. L’état d’urgence est prolongé de deux mois, jusqu’au 23 juillet 2020. La loi prévoit cependant de forts ajustements.
Les mesures que peut prendre le Premier ministre sont en effet enrichies.
Il pourra ainsi réglementer les conditions de fonctionnement des transports en commun comme des commerces, par exemple en imposant des règles de distanciation ou de fréquentation. Les mesures de quarantaine et d’isolement obligatoires ne pourront être décidées que pour les personnes rentrant sur le territoire national ou arrivant dans une région d’outre-mer ou en Corse, dès lors qu’elles ont séjourné dans des zones de circulation de l’épidémie, dont la liste sera publiée. La mise en isolement obligatoire est réservée aux personnes infectées qui rentrent sur le territoire et elle est susceptible d’un recours devant le juge de détention. Des textes réglementaires préciseront le régime de quarantaine et celui de mise à l’isolement, notamment les droits des personnes et les lieux prévus pour les accueillir. Le projet d’origine prévoyait que toute personne contaminée pourrait être contrainte à l’isolement. Au final, devant les protestations de certains parlementaires et juristes, le gouvernement a limité cette atteinte aux libertés à des cas bien plus réduits : si une personne déjà présente sur le territoire est testée positive, il sera fait appel à son esprit de responsabilité et elle pourra rester volontairement à l’isolement à domicile ou être accueillie dans un lieu adapté.
Le projet étend le nombre des agents qui pourront dresser verbal en cas d’infraction aux règles prévues par l’état d’urgence sanitaire : ce sera notamment le cas des agents de sécurité dans les transports mais aussi des agents des services de la concurrence pour ce qui concerne les commerces.
Enfin la loi met en place un droit à « traçage » des contacts des personnes infectées non pas par voie numérique (application installée sur le téléphone) mais par les médecins et les personnels de l’assurance maladie en charge de remonter les chaines éventuelles de contamination. Un fichier des personnes infectées sera créé ainsi qu’un fichier des contacts qu’elles ont eus, pour pouvoir les joindre. L’objectif est d’abord pratique (connaître, tester, dépister), mais aussi épidémiologique, pour identifier les clusters et les zones de propagation. Les personnes infectées seront « orientées » vers des prescriptions médicales d’isolement mais le texte ne prévoit pas, comme mentionné ci-dessus, une obligation d’isolement dans un lieu différent du domicile. Le décret d’application de cet article sera soumis à l’avis de la CNIL. Des ordonnances viendront préciser l’organisation et la mise en œuvre des systèmes d’information nécessaires : cependant, conformément à l’engagement du gouvernement, si une application numérique devait voir le jour, elle ne serait autorisée qu’après un débat au Parlement.
La nécessité de disposer d’un tel dispositif de traçage n’est pas discutée : trop longtemps, les médecins ont réclamé que cette procédure, mise en œuvre en Allemagne, le soit en France pour casser les chaines de transmission du virus. Il faut bien alors dispose d’un fichier pour enregistrer les cas et les contacts. Cependant, il est probable que ces dispositions seront débattues : elles sont prévues pour une durée au plus d’un an, soit largement au-delà de l’état d’urgence sanitaire. La CNIL s’est, par ailleurs, déjà prononcée, le 20 avril, sur un projet d’arrêté regroupant des données personnelles de santé, prévu en l’occurrence pour suivre l’évolution de l’épidémie : la CNIL a rappelé alors dans son avis que la création d’un tel « entrepôt de données » de santé doit être soumise à son autorisation, qu’elle devra vérifier que les données recueillies, de même que leur durée de conservation, sont strictement nécessaires au but poursuivi, que les personnes concernées doivent en être informées et que la sécurité des données doit pouvoir être assurée. Ces recommandations seront sans doute réitérées dans le cas de la création d’un fichier destiné non plus seulement à suivre l’épidémie mais à dépister des cas individuels. De plus, le projet de loi prévoit de nombreux intervenants : l’Agence nationale de santé publique, l’assurance maladie, les laboratoires agréés pour les dépistages et les ARS pourront adapter, pour poursuivre les objectifs définis, des fichiers existants et les médecins, centres de santé et établissements de santé participeront à leur mise en œuvre. Un décret précisera ensuite les services et personnels de ces autorités et organismes habilités à consulter les données. Or, cela fera beaucoup de monde…et les données de santé pourront être partagées sans l’autorisation des personnes concernées. Ces dispositions ne seront sans doute pas acceptées sans réserves. L’on comprend mal enfin que le projet de loi ne soit pas accompagné du projet de décret d’application, lui-même accompagné de l’avis de la CNIL, de manière à ce que les parlementaires puissent vérifier si la sécurité des données de santé ainsi collectée est correctement protégée et si la CNIL approuve le détail du dispositif.