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Municipales 2020, les enjeux

La loi du 23 mars 2020 qui a créé l’état d’urgence sanitaire a prolongé le mandat des conseillers municipaux et communautaires en place et repoussé au mois de juin le second tour des élections municipales. Compte tenu de l’avis du Conseil scientifique du 18 mai 2020, qui ne s’est pas prononcé sur la date choisie mais a précisé les conditions d’hygiène dans lesquelles ces élections devaient se dérouler, un décret du 27 mai en fixe la date au 28 juin. Cette annonce s’est faite dans une certaine indifférence, alors même que le maire est l’élu le mieux considéré par les Français. Pourtant, ces élections soulèvent d’importantes questions, juridiques et politiques.

 Des élections 2020, sinon illégales, du moins faussées

 Un premier tour marqué par l’abstention

Le premier tour des élections municipales a eu lieu le 15 mars 2020 dans les 34 968 communes françaises. Il s’est déroulé 3 jours après l’allocution du Président de la République évoquant « la plus grave crise sanitaire depuis un siècle » et décidant la fermeture des lieux d’accueil et d’enseignement des enfants et des jeunes et le lendemain de l’annonce de la fermeture de tous les lieux publics « non indispensables ». Il  a permis le renouvellement intégral des conseils municipaux dans 30 143 communes.

Dans son avis du 18 mars 2020  sur le projet de loi qui deviendra la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie du Covid-19 du 23 mars 2020, le Conseil d’État considère que, malgré le début de la crise sanitaire,  les opérations de ce premier tour se sont déroulées de manière satisfaisante. Il est loisible d’en douter au vu du taux de participation : moins de la moitié des inscrits sur les listes électorales (45 %) sont allés voter, en diminution de 19 points par rapport au taux, déjà plutôt bas, de 2014 (64 %). Selon une enquête IPSOS Stéria (« Élections municipales, Comprendre le vote des Français », mars 2020), 4 abstentionnistes sur 10 expliquent leur abstention par la peur du coronavirus. Par ailleurs, l’abstention a inégalement touché les familles politiques : si les électeurs de gauche sont peu allés voter (44 %), tout comme ceux du Rassemblement national (40 %), ceux du centre (MODEM, LREM) ont voté à 61 % et ceux de la droite (LR) à 55 %. Au final, on peut penser que le premier tour a largement penché à droite, même s’il est difficile de le mesurer : d’une part, l’élection n’est pas terminée, en particulier dans les communes les plus peuplées, et, surtout, les données nationales ne sont pas révélatrices des élections locales. Pour autant, il est difficile d’adhérer pleinement aux thèses d’Hervé Le Bras qui, dans une note récente (« Municipales sous épidémie », Fondation Jean Jaurès, 23 mai 2020),  met l’accent sur les facteurs géographiques et culturels de l’abstention, minimise la portée de la peur épidémique et affirme que l’épidémie n’a pas perturbé les dynamiques électorales.

Entre les deux tours, une trop longue parenthèse

Le Conseil d’État dans son avis accepte le principe du report du second tour justifié par des motifs d’intérêt général impérieux, à condition qu’il ne dépasse pas un délai raisonnable. Le Conseil d’État reprend ainsi deux jurisprudences du Conseil constitutionnel : la première (DC 73-603/741 du 27 juin 1973 du 6 décembre 1990)  a accepté le report d’un second tour d’élections législatives à la Réunion pour cause de cyclone et la seconde (D-C 90-280 du 6 décembre 1990) évoque un « délai raisonnable » de convocation des électeurs. Le Conseil d’État donne alors un avis favorable  au délai de 3 mois envisagé par les pouvoirs publics entre les deux tours tout en précisant que le second tour doit avoir lieu avant l’été, sauf à devoir recommencer l’ensemble des opérations électorales.

 La décision de report du second tour à 3 mois a été jugée inconstitutionnelle par certains juristes, en particulier J-P Derosier (« Reporter le second tour est inconstitutionnel », Le Monde, 15 mars 2020), au nom à la fois du Code électoral et sans doute du bon sens : s’agissant des opérations de vote, le Code électoral (article L56, qui s’applique à l’élection des députés, des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et communautaires) dispose que le deuxième tour a lieu le dimanche suivant le premier tour, les candidatures devant être déposées le mardi avant 18 heures (article L255-4). Le Code électoral ferait donc du premier et du deuxième tout un processus unique, ce que, au demeurant, le juge reconnaît : quand il annule le résultat d’une élection pour une irrégularité au second tour, il annule les deux tours.

Les dispositions de droit électoral peuvent certes être ponctuellement modifiées, mais cette modification ne doit pas porter atteinte à l’égalité des candidats et à la « sincérité » du scrutin : celle-ci est considérée par le Conseil comme un principe constitutionnel découlant de  l’article 3 de la Constitution qui traite de la souveraineté nationale et du suffrage (Décision DC 2018-773 du 20 décembre 2018).

Or, il est loisible de juger qu’il en est ainsi aujourd’hui, sur le fondement de plusieurs constats : l’ampleur de l’abstention contrainte du premier tour et, sans doute, du second, liée à la peur de la contagion ; l’importance des événements survenus dans cette période, qui ont modifié l’image et la réputation de certains candidats (on peut mentionner l’ancienne ministre Agnès Buzyn et le Premier ministre Edouard Philipe, tous deux candidats et évalués désormais sur leur gestion de la crise) ; la prolongation de mandat de maires en place candidats à leur réélection qui leur a permis, en période difficile, de bénéficier d’une visibilité accrue, de mener campagne sans le dire (ils sont censés s’en tenir aux affaires courantes mais est-ce possible ici ?) de manière parfois très efficace (distribution de masques ou d’aides financières, déclarations publiques sur l’action du gouvernement) ; l’absence de « vraie » campagne du second tour,  puisqu’il n’y aura ni meetings ni rencontres et qu’il sera bien plus difficile aux candidats les moins connus de faire la différence. Ces réserves sont discutées (cf. pour une analyse inverse, l’article de B. Daugeron, « Le report du second tour des élections municipales, analyse juridique ou simplifications médiatiques ? », Jus politicum, 30 mars 2020) mais sont pourtant de bon sens : le scrutin est lourdement faussé.

Les QPC en cours : peu de chances d’aboutir, ce que l’on peut regretter

Sur le plan juridique, le Conseil constitutionnel va se prononcer sur ces questions puisque 2 QPC lui ont été transmises. La première (QPC 849) porte, à l’occasion d’une demande d’annulation des élections dans une commune, sur l’inconstitutionnalité de l’article 19 de la loi du 23 mars 2020 (qui n’a pas été soumise au Conseil constitutionnel) qui décide du report du second tour. La QPC invoque la décision citée ci-dessous du Conseil constitutionnel  de 1973 selon laquelle un report de 6 jours du deuxième tour « n’en modifie pas le sens »,  pour juger, a contrario, qu’un délai de 3 mois altère  la sincérité du scrutin. La seconde (QPC 850) posée lors d’un contentieux sur l’élection de mars 2020 dans une commune de plus de 1000 habitants, traite des conséquences de l’abstention, sur laquelle, en l’occurrence, le Code électoral ne dit rien. Elle met en cause la constitutionnalité de l’article L262 du Code électoral qui ne prévoit pas de condition de participation des électeurs pour proclamer l’élection et permet donc à des maires d’être élus avec un pourcentage faible des inscrits : en particulier, deux ministres, G. Darmanin et F. Riester, ont été élus au premier tour avec 15 % et 17 % des électeurs inscrits et un responsable de l’opposition, F. Barouin, avec 20 % des inscrits. Ce qui surprend dans ce cas, c’est que le Conseil d’État, tout en reconnaissant que la constitutionnalité de l’article L262 a déjà été vérifiée (ce qui, au regard des textes, devrait l’empêcher de faire l’objet d’une QPC) transmet cette question au Conseil constitutionnel, arguant que « le contexte est inédit ».

Sur le strict plan juridique, le Conseil pourrait (devrait ?) juger que le report du second tour à 3 mois porte atteinte à la sincérité du scrutin et à l’égalité des candidats. Il est probable qu’il n’en fera rien et rejettera la QPC, au motif que le Parlement dispose d’une marge d’appréciation en ce domaine, d’autant que la loi du 23 mars 2020, adoptée à une large majorité à l’Assemblée nationale, a fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire entre les deux chambres. En ce qui concerne l’abstention, la jurisprudence actuelle n’a jamais conduit à invalider une élection sur ce motif sauf si le faible nombre de votants s’expliquait par des manœuvres tendant à altérer l’égalité entre candidats. Il serait au demeurant difficile d’imposer une norme de participation dès lors que  le droit actuel n’en prévoit pas et de donner ainsi le feu vert à l’annulation d’une élection engagée sous l’empire des textes actuels.

Le droit risque ainsi d’être impuissant à corriger de mauvaises décisions politiques, ce que l’on peut regretter.

Municipales : des élections politiques, quoi qu’on en dise

 Des enjeux prioritairement locaux mais une politisation réelle

Les Français, même dans les grandes villes, jugent que, dans les élections municipales, le poids des questions locales est déterminant (83 % dans le sondage IPSOS Stéria) et prévaut, dans le choix des électeurs, sur la situation nationale (17 %). L’étude indique que les deux principaux déterminants du vote sont les enjeux locaux et le bilan du maire. De même le maire est un élu à part,  envers lequel la confiance est élevée (63 % dans le Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF et 74 % dans un sondage IPSOS Stéria de mars 2020). Cette dernière étude montre que son action est largement approuvée : 71 % d’électeurs se disent satisfaits ou très satisfaits de la gestion municipale, ce qui donne une « prime au sortant » déterminante (60 % des maires sont d’ailleurs réélus). Il est probable que cette bonne image va s’accentuer à la suite de la crise sanitaire, où les maires ont été présentés comme palliant au mieux les carences de l’État.

Les élections municipales paraissent donc, pour une part, ne pas relever de choix partisans, 75 % des maires déclarant au demeurant n’avoir jamais adhéré à un parti. Il faut dire que 91 % des communes ont une population inférieure à 3500 habitants : l’on comprend bien que le scrutin soit alors marqué par la proximité. Cependant, au-delà de certains seuils, 3500 ou 5000 habitants, qui englobent respectivement 31 800 et 32 800 communes, préoccupations locales et choix politiques se mêlent plus étroitement. La contestation, début 2020, de la première circulaire Castaner qui ne prévoyait l’attribution de nuances politiques par le préfet qu’aux candidats des communes de plus de 9000 habitants a suscité de vives protestations : les élus ont mal accepté que la présentation des résultats des élections municipales ne prenne pas en compte « l’expression politique » de 40 % de la population. Ils ont obtenu, grâce à la censure de la circulaire par le Conseil d’État, que le seuil soit abaissé à 3500, ce qui sans doute correspond mieux à la ligne de partage entre les municipales à dominante locale et les élections où les choix politiques sont mieux identifiés. Dans les métropoles, où le maire n’est pas connu personnellement des habitants, il est bien évidemment jugé sur son action (elle se voit) mais la tendance politique compte.

Une Intercommunalité toujours largement absente des débats

L’on sait que faute de pouvoir réduire le nombre des communes (parce qu’elles sont vues par les Français comme une collectivité « naturelle », à la fois territoire organisé et cadre de vie quotidien), le législateur, pour pallier l’impuissance des communes liée à leur petite taille, a imposé une intercommunalité désormais obligatoire. Celle-ci reste mal acceptée par nombre de petites communes.  En 2017, l’association des maires ruraux a fait paraître un dossier, « L’intercommunalité contre la commune » où elle dénonce une intercommunalité d’intégration qui détruirait le modèle républicain, n’acceptant qu’une intercommunalité volontaire et de projet. La position des communes plus importantes est ambivalente : elles mesurent l’utilité de mener certaines politiques, aménagement,  urbanisme, développement économique ou transports, au niveau de l’agglomération mais ressentent elles aussi un sentiment de dépossession qui joue un rôle (avec le « consumérisme » de la population) dans la décision d’une part importante des maires de ne pas se représenter.

Reste que, même si les élections municipales comportent deux listes (municipale et communautaire) et parfois, comme à Lyon, deux bulletins, les politiques communautaires sont peu ou mal évoquées lors des élections municipales : elles le sont souvent sous l’angle communal, la commune souhaitant que sa propre vision de l’avenir s’impose aux autres. Pourtant, les décisions des intercommunalités sont bien évidemment collectives (le vote à l’échelon communal est décalé par rapport à cette réalité). Quant à leurs moyens financiers, ils sont souvent bien plus importants que ceux des communes et leurs décisions sont structurantes pour le territoire, notamment dans le domaine du logement ou de la protection de l’environnement. Dans une récente tribune (« L’intercommunalité, enjeu occulté des élections municipales », Le Monde, 12 mars 2020), un groupe de politistes note certains progrès et, en particulier, l’interpellations ponctuelle de citoyens sur des projets communautaires, tout en relevant la quasi-invisibilité électorale et politique des intercommunalités.  Nombre de campagnes municipales restent ainsi centrées sur des thèmes de sécurité et de tranquillité communales qui s’éloignent de compétences communautaires pourtant essentielles : ainsi, à Paris, les candidats débattent sur la propreté et l’ordre public, peu sur la construction, essentielle, du Grand Paris, où pourtant tout reste à faire.

Élections municipales 2020 : ce qui change et ce qui ne change pas.

S’il est vrai que la participation a lourdement chuté au premier tour de mars 2020, elle était déjà en baisse continue depuis une vingtaine d’années, passant progressivement de 78,4 % en 1983 à 63,6 % en 2014, score médiocre contrastant avec l’attachement aux communes et aux maires. Les Français s’abstiennent certes beaucoup aux législatives (le niveau a atteint au premier tour 42,8 % en 2012 et 51,3 % en 2017) mais moins à la présidentielle (pour les deux derniers votes, 20,5 % et 21,3 % au premier tour). Les jeunes notamment votent peu (70 % d’abstentions en 2020).

Autre constante en progression, la multiplication des listes : dans les villes de 30 000 habitants au moins, le nombre de listes est passé de 1135 en 1981 à 1691 en 2020, soit aujourd’hui en moyenne plus de 6 listes par communes, davantage dans les très grandes villes. Les nuances politiques qui ne parviennent pas à être représentées au niveau national tâchent de l’être au niveau local. Cette prolifération est source de confusion et de dispersion des voix, avec des tractations compliquées pour le second tour et parfois, en cas de maintien de plusieurs listes, des équipes municipales élus avec un pourcentage de voix plus réduit.

Enfin, lors du premier tour 2020, le paysage politique a été peu impacté par la restructuration intervenue au plan national en 2017 avec la création du mouvement LREM : le clivage droite / gauche se maintient et la gauche, qui avait perdu nombre de mairies dès le premier tour en 2014, retrouve en 2020 un « taux de reconduction » bien meilleur (40 %).  Faute d’ancrage local mais parce que les municipales peuvent aussi être un vote de sanction, les listes LREM ou soutenues par ce mouvement ont réalisé des scores médiocres (le CEVIPOF a calculé qu’elles ont obtenu en moyenne 13,5 % des voix), notamment dans certaines grandes métropoles où des résultats meilleurs étaient attendus.

La seule vraie nouveauté du scrutin est l’ampleur du vote écologiste qui atteint en moyenne, selon le Cevipof, 14 % des voix, parfois 20 % ou davantage dans certaines grandes villes, Lyon, Grenoble, Bordeaux, Strasbourg Rouen ou Rennes. L’Institut Montaigne, dans une note publiée avant le scrutin (« Municipales 2020, un rétroviseur avant l’isoloir », 13 mars 2020) évoquait au demeurant un « verdissement général des programmes :  la nécessité de préserver l’environnement prévaut désormais dans les préoccupations des électeurs, avec la sécurité, sur la fiscalité locale et le développement économique. L’Institut note ainsi que tous les programmes sont concernés, quelle que soit l’étiquette politique, et que l’impact est net sur plusieurs projets locaux, transports, consommation énergétique,  aménagement urbain.

Le vote de juin sera donc sans doute plein d’enseignements. Encore faut-il que la participation soit suffisante pour garantir une représentation de la population, ce qui, à vrai dire, n’est pas gagné.

 Pergama, le 31 mai 2020.