Risques industriels : opérer des changements majeurs

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Risques industriels : opérer des changements majeurs

Le rapport sénatorial sur l’évaluation de l’action de l’État lors de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen est paru le 2 juin 2020. La presse l’a jugé sévère et, de fait, il met le doigt sur des défaillances évidentes : d’abord, une mauvaise information de la population avant la survenue du risque, ce qui semble être le cas général en France puisqu’un sondage indique que 90 % des Français se sentent mal informés sur les risques industriels et ne sauraient comment réagir si un accident se produisait près de chez eux. De plus, à Rouen, les dispositifs d’alerte et d’information de la population ont mal fonctionné ou n’ont pas permis de répondre aux interrogations et aux craintes, malgré une volonté de rassurer. Le second point noir est l’incapacité où se sont trouvés les services de l’État, au départ, de connaître en temps réel la localisation et la composition des produits stockés pour savoir ceux qui avaient brûlé.

L’accent est ensuite mis sur la nette diminution des contrôles effectués depuis 15 ans (ainsi les contrôles ne permettent pas de déceler des entreprises qui devraient changer de régime d’autorisation et de suivi), sur l’insuffisance de moyens humains pour les augmenter à nouveau et sur le nombre réduit des sanctions prononcées en cas d’infraction : trop souvent les prescriptions de l’État ne sont pas suivies d’effet sans que personne s’en préoccupe.

Enfin, le suivi sanitaire n’a pas été correctement mis en place. Une étude de santé portant sur l’ensemble des 215 communes devait être engagée en mars 2020 (date ensuite décalée en juin) pour décrire les nuisances subies. Un suivi épidémiologique n’était prévu que pour les professionnels exposés, complété par une enquête de bio-surveillance dans certaines zones pour mesurer la présence de certains composants et leur impact sur la santé. Au 25 mai 2020, rien n’était encore lancé, à cause de la crise sanitaire mais aussi parce que le Ministère de la santé répugne à envisager un suivi et une étude de bio-surveillance sans avoir la certitude qu’il existe un risque avéré. Le rapport conteste ce choix  : il  suggère de rejeter les contraintes méthodologiques habituelles (la crise ici est inhabituelle), et, compte tenu notamment des incertitudes existant sur la toxicité des fumées émises lors de l’incendie, de définir rapidement une cohorte de la population qui est intervenue lors de l’incendie et de la soumettre à un programme de bio-surveillance.

Le rapport s’en tient à l’étude de l’accident et de ses conséquences. Tout en préconisant un renforcement des contrôles par l’Inspection des installations classées, il reste toutefois silencieux sur un point qui avait, lors de l’incendie, suscité beaucoup de commentaires :   l’allègement par la loi, depuis plusieurs années, des procédures de contrôle. La décision la plus récente (loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance) porte sur  les extensions d’activités ou installations nouvelles d’une grande part des installations soumises à autorisation : c’est désormais le préfet, en tant qu’autorité de police, qui a compétence pour décider si la demande d’autorisation sera soumise ou non à évaluation environnementale. En 2019, le préfet a donné à l’entreprise Lubrizol deux autorisations d’extension importante des stockages de produits dangereux sans que l’autorité environnementale soit saisie et sans élaboration d’une étude d’impact à proprement parler. Certes, cette décision n’a pas causé l’accident mais l’allègement des règles de contrôle a été vu par les entreprises comme un signe d’assouplissement qui a sans doute diminué leur propension, déjà faible, à respecter les injonctions de l’État.

Les propositions faites tendent donc à renforcer les obligations des exploitants, notamment sur une information à jour de leurs stocks de produits dangereux ou la participation à des exercices, à achever la couverture de toutes les zones à risques par des plans de prévention des risques industriels, à développer les contrôles et à en faire respecter les prescriptions, à prévoir de nouveaux modes d’alerte de la population, à instituer une meilleure coordination entre l’Etat et les collectivités (plan de gestion des risques et exercices), à indemniser l’intégralité des préjudices subis par la population et à appliquer le principe de précaution en ce qui concerne le suivi sanitaire des populations touchées.