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Convention citoyenne pour le climat : juste un rapport de plus

La convention citoyenne pour le climat est née de la crise des Gilets jaunes. C’est le 25 avril 2020, lors de la conférence de presse tenue en conclusion du « Grand débat » organisé à la suite de ce mouvement, que le Président de la République a indiqué son ambition de compléter le Conseil économique, social et environnemental (CESE) par un Conseil de participation citoyenne composé de citoyens tirés au sort. Sans attendre la réforme constitutionnelle nécessaire, il a annoncé sa volonté de confier à une convention citoyenne ad hoc une mission sur la transition climatique. L’on pourrait être surpris qu’un mouvement qui a démarré pour protester contre une augmentation de la taxe carbone, outil de lutte contre le dérèglement climatique, ait été l’occasion d’engager un travail sur ce sujet. Pour autant, le projet est logique : les pouvoirs publics ont alors compris que la taxe carbone était un impôt injuste et que, pour engager la lutte pour le climat, l’aval de la population était nécessaire.

De fait, la lettre de mission de la convention citoyenne signée par Edouard Philippe le 2 juillet 2019 insiste sur la nécessité, dans le domaine climatique, « de passer du consensus sur le diagnostic à un compromis sur les solutions ». La convention citoyenne, symbole d’une participation plus directe des Français aux décisions, devait « définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions de GES d‘au moins 40 % à horizon 2030 par rapport à 1990 ». Elle devait donc élaborer une politique climatique permettant de concilier efficacité, justice sociale et acceptabilité.

Après 9 mois de travail, la convention a rendu ses propositions en juin 2020. A-t-elle répondu aux attentes, amélioration démocratique et définition d’une marche à suivre pour le climat ? La réponse est malheureusement non.

Le recours à une convention citoyenne : démocratie ou fait du prince ?

Dans l’ouvrage « Le bon gouvernement », P. Rosanvallon affirmait en 2015 qu’il fallait passer d’une démocratie d’autorisation (l’on permet à un élu de gouverner en lui donnant son suffrage) à une démocratie d’exercice (le citoyen est présent aux côtés des élus, notamment sur les débats importants). Avant Rosanvallon, nombreux sont les politologues qui ont plaidé en ce sens, Yves Sintomer, Loïc Blondieux, Dominique Rousseau. Sur le principe, une part de l’opinion publique les rejoint aujourd’hui. Sur la manière de s’y prendre, c’est plus compliqué : le recours au référendum est souvent contesté, parce que la procédure ne garantit pas un débat de qualité et s’articule difficilement avec la démocratie représentative.  Dominique Rousseau plaide pour la création d’une chambre spécifique tirée au sort  qui représenterait la société civile auprès du Parlement et de l’exécutif, avec pouvoir délibératif. Yves Sintomer propose également une chambre nouvelle mais plus nombreuse (6000 personnes) qui constituerait des groupes de travail pour débattre d’une question essentielle, relevant par exemple de la politique de l’environnement, des lois bioéthiques ou de la fiscalité. Aujourd’hui, le projet de réforme constitutionnelle présenté en 2018 prévoit de donner au CESE le droit de réunir de telles « conventions citoyennes ».

L’institutionnalisation de telles conventions est, de fait, une question essentielle, parce qu’elle permet de préciser les règles : quelle méthode de tirage au sort des membres, qui doivent représenter la totalité du pays et éviter de sélectionner trop de CSP + ou de personnes « averties »?  De quelle légitimité disposent-ils ? Quelles sont les règles d’information des participants et d’organisation des débats ? Qui régule, recadre, choisit les experts appelés à s’exprimer devant les citoyens, décide s’il vaut mieux des débats contradictoires entre experts ou des présentations « solo » ? Qui rédige les propositions ? Enfin, quelles garanties que les propositions soient sérieusement examinées, acceptées ou refusées de manière motivée, transmises éventuellement au Parlement ?

En France, si l’on met à part les quelques cas où la Commission nationale du débat public a eu recours à de tels groupes de citoyens (par exemple sur le projet de stockage de déchets radioactifs ou des projets d’aménagement lourds), le dispositif a été, jusqu’ici, à la discrétion du gouvernement : cela a été le cas, par exemple, du travail effectué par une conférence de citoyens en 2013 sur la refonte de la loi Léonetti concernant la fin de vie, dont il n’a été tenu aucun compte, alors même que les conclusions étaient de qualité.

Cette situation fait dire au juriste Arnaud Gaussement que la Convention  citoyenne sur le climat est « monarchique » et non démocratique (« Site Reporterre, 5 février 2020) :  de fait, dépourvue d’existence juridique, elle n’a aucun droit ; la sélection des membres n’a pas été opérée de manière complètement transparente ; la Commission nationale du débat public a été écartée du rôle de « garant », qu’elle a pourtant pour mandat de jouer, au profit de personnalités dont le rôle n’est précisé nulle part ; le dossier d’information remis aux participants est pauvre ; aucune synthèse des débats n’est prévue ; la Commission doit répondre à une question posée par le seul Premier ministre, lequel n’évoque pas la neutralité carbone (objectif de 2050) mais seulement l’objectif de baisse  des émissions en 2030. Enfin et surtout, l’Etat, quoi qu’il en dise, n’a pris aucun engagement sérieux d’appliquer les propositions. Il ne pouvait d’ailleurs le faire lorsque les compétences (c’est fréquent) relèvent de l’Union européenne, des collectivités territoriales ou  d’une négociation internationale (la réforme de l’Organisation mondiale du commerce). Au demeurant, le Président de la République, dans son discours du 29 juin devant les membres de la Convention, a écarté sans grand débat trois des propositions faites (c’est l’application du principe monarchique). S’agissant des autres, qu’il a formellement acceptées, il s’est montré très imprécis, ne retenant que le principe d’une action dans de nombreux domaines. Il n’y aura pas, on peut le craindre, de comité de suivi méticuleux en charge d’examiner le détail des mesures retenues . Comment d’ailleurs juger vraisemblable l’accord du Président de la République sur la renégociation du CETA (il a pudiquement évoqué son « évaluation »), l’interdiction de la publicité par panneaux dans les espaces extérieurs, la fin des subventions aux énergies polluantes ou une nouvelle PAC qui renforcerait pour l’essentiel les exigences de « verdissement » ? Sauf en ce qui concerne quelques mesures qu’il a explicitement mentionnées (bilan carbone des entreprises, moratoire sur la création de zones commerciales…),  le Président retiendra surtout « l’esprit » de la Convention, même s’il s’est engagé sur un plan d’investissement pour la conversion écologique de l’économie et sur la rédaction d’un projet de loi pour mettre en œuvre les mesures de niveau législatif.  Volontairement, les pouvoirs publics restent dans le flou et, de fait, rien ne les oblige à en sortir.

Le Président s’est-il engagé au moins, comme il l’avait évoqué, à organiser un référendum sur certaines propositions ? A vrai dire, soit parce qu’elle s’est méfié de l’outil soit parce qu’elle a craint un vote de rejet préjudiciable à la transition recherchée, la Convention citoyenne n’a proposé le recours au référendum que sur des questions symboliques : adoption d’un texte relatif au crime d’écocide (sujet qui, en l’état actuel du droit, ne peut être soumis à référendum et pose au demeurant de lourdes questions de définition) et modification de la Constitution, préambule et article 1. La modification du préambule proposée fait prévaloir la préservation de l’environnement sur les droits et libertés, ce qui est difficile à admettre : la mesure est donc rejetée. Quant à la modification de l’article 1, elle est plutôt consensuelle (La République « garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique »), même si certains experts (Arnaud Gossement à nouveau) soulignent que la Charte de l’environnement (qui a valeur constitutionnelle) est plus ambitieuse sur le domaine de l’environnement (elle évoque son « amélioration ») et qu’il ne faut pas réduire la lutte contre le dérèglement climatique à une question de moyens (mieux vaudrait en faire un devoir).

Quoi qu’il en soit, la Convention citoyenne n’ayant pas proposé de référendum pour réduire le circulation des poids lourds ou les subventions aux énergies polluantes, ce qui aurait eu le mérite de l’audace, le gouvernement s’en tient à accepter la modification de l’article 1er de la Constitution, au demeurant déjà envisagée dans un passé récent et qui a, sur le fond, peu d’intérêt. Les progrès vers la démocratie directe sont donc plutôt faibles.

 Des  propositions sans surprises où manque l’essentiel

 Le rapport de la Convention citoyenne comporte 149 propositions, soigneusement présentées par thème : le travail est formellement bien fait. Il lui a été reproché de lister des propositions déjà connues : de fait, rien n’est surprenant dans les propositions sur les transports, la rénovation des bâtiments ou la lutte contre l’artificialisation des sols. Mais à vrai dire, en choisissant d’énumérer toutes les mesures à prendre, le rapport acceptait le risque de répéter des propositions déjà connues.

Surtout, en agissant ainsi, le rapport ne répond pas à la demande, qui ne portait pas sur l’établissement  d’une compilation des mesures permettant de mener à bien la transition écologique. La demande portait sur la définition d’un « chemin », juste socialement et acceptable par la population, permettant d’atteindre des objectifs de moyen terme, avec une définition des priorités et des propositions sur les moyens permettant de les financer. L’objectif était de réfléchir aux obstacles et aux méthodes à adopter et pas d’établir la liste interminable des mesures à prendre.

Le rapport contient bien quelques mesures « sociales » qui ajustent les choix retenus. Il renonce ainsi  à une taxe carbone nationale, considérant sans doute qu’elle n’est pas « amendable » (c’est probablement une erreur mais c’est son choix) ; il prévoit des chèques alimentaires pour que les populations modestes puissent acheter des produits issus de l’agriculture biologique aux AMAP ; il demande que soient prévues des aides à la rénovation des logements telles que le reste à charge soit limité pour les plus modestes. Mais ces précisions sont annexes. La justice sociale n’est pas le cœur des propositions.

Le rapport par ailleurs n’établit aucune priorité : il insiste sur un basculement ambitieux et affirme que les mesures forment un tout indissociable. Il affirme de manière simpliste qu’il faut « un engagement de tous pour changer nos comportements » et que l’impératif est de « faire du climat une priorité ».

Enfin, il s’intéresse peu aux moyens de financement : un chapitre porte sur les « orientations » en ce domaine, qui multiplie les taxes envisageables sans réflexion approfondie sur la réforme de la fiscalité.

L’approche du rapport satisfait sans doute les écologistes militants, qui y reconnaissent leurs discours, avec un traditionnel refus des compromis et la volonté d’une approche systémique. Mais elle ne répond pas aux craintes du gouvernement sur la versatilité de l’opinion publique, très ambivalente sur la transition écologique et la lutte contre le dérèglement climatique, considérant un jour que le climat et l’environnement sont des priorités, un autre que l’emploi et le niveau de vie sont plus importants.

Il y a donc eu maldonne sur l’objectif de la Convention citoyenne : pour reprendre une fois de plus une expression d’A. Gossement, il ne s’agissait pas de remplir la boite à outils mais de chercher comment s’en servir.  Il ne s’agissait pas de produire une vision idéale de la politique à mener mais de proposer des choix.  C’est raté.

Tout reste donc à faire sur la gouvernance d’un projet de transition et sur ses priorités, sur le recours à une démocratie participative légitime pour les définir, sur le financement des mesures à prendre. Le rapport 2019 du Haut Conseil sur le climat (et la synthèse établie pour la Convention citoyenne) peuvent alors être utiles car au moins ils parlent de méthode : ces textes pointent la nécessité d’assurer la compatibilité de l’ensemble des lois avec la stratégie bas carbone,  d’adopter une taxe carbone corrigée sur critères sociaux, de repérer, mesurer et accélérer les changements structurels, d’assurer une transition juste pour les ménages mais aussi pour les entreprises, de mesurer l’efficacité des outils de politique climatique existants (crédit d’impôt pour la transition énergétique et certificats d’économie d’énergie) et de travailler à leur amélioration. Plus concrètes, plus simples,  de telles recommandations mériteraient d’être relues. Mais la vraie condition de la réussite, ce serait d’arrêter le jeu d’esquive entre les pouvoirs publics, qui ne voient dans l’écologie que son intérêt électoral et finassent pour éviter de construire une stratégie réelle, et la population, qui est consciente du caractère inévitable des mesures à prendre pour le climat mais les redoute et n’y est pas prête.

Pergama, le 6 juillet 2020