La Cour des comptes et les finances publiques : vers une approche plus subtile?

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La Cour des comptes et les finances publiques : vers une approche plus subtile?

Le rapport annuel de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques établi en application de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) arrive à un moment particulier, celui où il devient possible de mesurer l’écart entre les résultats de 2019 et les perspectives 2020, fortement dégradées à la suite de la crise sanitaire. C’est également le moment que choisit la Cour pour dessiner les politiques à suivre : sur ce point, le rapport est bien moins simpliste que d’ordinaire même s’il plaide sans surprise pour l’élaboration d’une stratégie de redressement.

Les chiffres méritent d’être rappelés : en 2019, un déficit public structurel à 2,2 %, stable par rapport à 2018, un déficit effectif à 3 %, majoré par le cumul ponctuel entre le CICE et les allègements de cotisations sociales destinées à le remplacer (le déficit atteint donc en fait  2,1 %), une dette stable à 98,1 % du PIB. Loin des projections excessivement volontaristes de la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 (le solde public devait passer de 2,8 % à 0,3 % et le solde structurel de 2,1 points à  0,8), la situation fin 2019 témoignait d’une légère amélioration tendancielle du déficit public, passé de 2017 à 2019 de 2,9 à 2,1 % hors impact du maintien du CICE, ainsi que du ratio dépenses publiques/PIB (qui a évolué dans cette même période de 56,5 % à 55,6 %), avec une stabilisation de la dette. De même les prélèvements obligatoires sont passés de 45,1 à 44,1 % du PIB. La Cour des comptes en conclut, à juste titre, que la France a abordé la crise de 2020 avec des finances publiques qui n’ont pas été véritablement redressées.

Pour 2020, les prévisions de l’heure, fondées notamment sur la troisième loi de finances rectificative de 2020,  tablent sur un déficit public à 11,4 points de PIB et sur une dette passant à 120 points de PIB. La dégradation du déficit approche 200 Mds, du fait à la fois de l’impact de la baisse du PIB (-11 %) sur les recettes publiques (diminution de 135 Mds,  ce qui explique les 2/3 de l’augmentation du déficit) et de l’augmentation des dépenses publiques, à hauteur de 57,6 Mds. Sauf incident, en particulier recrudescence de l’épidémie entraînant une nouvelle décroissance de l’activité, la Cour juge ces prévisions plausibles.

En revanche, la Cour juge trop optimistes les hypothèses de rebond adoptées par le gouvernement, qui table en 2021 sur un rattrapage total de la croissance, avec retour à la trajectoire tendancielle d’avant-crise, ce qui permettrait de diminuer le ratio de la dette. Elle les met systématiquement en regard d’hypothèses moins favorables, dites de « perte limitée » ou de « faiblesse persistante ». Dans ces deux cas, le déficit public resterait durablement plus élevé qu’en 2019 (soit entre 4 et 5 %, soit supérieur à 6 %) et la dette soit resterait à son niveau 2020 soit augmenterait, atteignant 140 % du PIB.

La Cour des comptes insiste pour que l’aide des pouvoirs publics à l’économie, dont elle ne conteste pas la nécessité, s’accompagne d’une grande attention portée à la soutenabilité de la dette. En mars 2020, l’Union a certes suspendu l’application des mesures du Pacte européen de stabilité et de croissance compte tenu de la crise du coronavirus. La Cour plaide cependant pour le maintien de règles de nature budgétaire au niveau européen, qui lui semblent indispensables compte tenu des risques que fait courir l’indiscipline budgétaire des Etats à la stabilité monétaire. Elle note que, si les Etats peuvent certes recevoir une aide de la banque centrale en cas de crise de la dette, la BCE ne peut aller au bout de sa logique si les attaques sont déterminées et sévères, sauf à renoncer à maitriser l’inflation et à altérer de ce fait la confiance dans la monnaie. Pour autant, la Cour reconnaît que les règles actuelles di Pacte de stabilité sont trop complexes et que le bilan de leur application est mitigé, notamment parce que leur application stricte en période de difficultés économiques en aggrave les effets.  Elle plaide donc pour des réformes : les règles doivent être modifiées (dès avant la crise, l’on évoquait le remplacement des règles actuelles par la définition d’un objectif de long terme d’évolution de la dette, d’un objectif de moyen terme d’évolution du solde structurel et d’un plafond de dépenses des administrations publiques). Par ailleurs, l’application de ces nouvelles règles doit s’accompagner d’une politique de soutien économique aux dépenses de certains pays sans accroissement de leur dette, comme le plan de relance de l’Union l’envisage aujourd’hui.

Pour ce qui est de la France, cette approche impose l’élaboration d’une stratégie de redressement des finances publiques, en refusant de tabler sur la seule reprise de la croissance ou sur le maintien de taux bas qui rendent la dette indolore. La politique à suivre est de sélectionner les aides publiques favorables à la croissance et d’élaborer une stratégie pluriannuelle d’assainissement des finances publiques, dès 2021, qui soit raisonnable, progressive mais effectivement suivie. La Cour plaide pour une réduction raisonnée des dépenses publiques appuyée sur une analyse de la qualité de la dépense avec une hiérarchisation des priorités. Elle plaide pour faire porter l’effort sur les dépenses de fonctionnement et pour développer au contraire l’investissement public (en repli sur le long terme), à condition d’en mesurer la rentabilité socio-économique.

Le rapport ne se contente donc pas de reprendre la doxa traditionnelle de la Cour du retour à l’équilibre financier aussi rapidement que possible : il tient davantage compte du contexte, admet que la dépense publique n’est pas, par nature, mauvaise, et plaide pour une démarche progressive et sélective. Il n’est pourtant pas certain qu’il soit davantage suivi que les précédents mais, en l’occurrence, c’est regrettable.