Les impôts d’Apple : le droit et l’équité

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Les impôts d’Apple : le droit et l’équité

L’annulation par jugement du tribunal de l’Union européenne, le 15 juillet dernier, de la décision de la Commission imposant en 2016 à deux filiales irlandaises d’Apple de payer 13 Mds d’impôts supplémentaires à l’Etat irlandais au titre des bénéfices réalisés en Europe  de 2003 à 2014 a, pour le moins,  surpris : dans l’esprit de tous, et, à vrai dire, dans la réalité, les GAFA réussissent indûment à échapper à l’impôt, parfois avec la complicité des Etats.

Sur le plan du droit, la décision du tribunal se comprend. Sur le plan de l’équité, elle pose problème.

La décision de la Commission reposait en effet sur deux présupposés apparemment évidents mais dont le tribunal a considéré qu’ils n’étaient pas suffisamment étayés.  En premier lieu, la Commission a reconstitué l’assiette des impôts sur le fondement de l’ensemble des revenus tirés par Apple de son activité en Europe. Or, en réalité, les deux sociétés de droit irlandais incriminées, qui expliquent avoir respecté l’accord passé avec l’Etat irlandais,  n’ont déclaré qu’une faible part de l’ensemble des revenus venant d’Europe et, notamment, pas les revenus perçus au titre de la propriété intellectuelle d’Apple sur ses produits vendus. En pratique, ces deux sociétés ont utilisé un paradis fiscal pour faire échapper totalement ces sommes à l’impôt. Au demeurant, selon Apple,  si des impôts devaient être payés sur les revenus tirés des licences d’Apple, cela aurait dû être aux Etats-Unis où les produits ont été créés et pas en Europe. Tel serait d’ailleurs bien le cas aujourd’hui, depuis une réforme fiscale de l’administration Trump. Le Tribunal a considéré que l’Etat irlandais avait taxé ce qu’il devait taxer au titre des revenus effectivement versés aux succursales irlandaises, en respectant les accords spécifiques passés entre l’Irlande et Apple. Deuxième faiblesse, la décision de la Commission assimilait tout avantage fiscal à une altération de la concurrence : le tribunal a considéré quant à lui qu’il fallait prouver concrètement qu’un avantage fiscal créait une telle distorsion.

Il est évident qu’en équité, la situation peut être analysée de manière tout à fait différente : Appel a profité de l’absence d’accords internationaux (et européens) sur les profits des multinationales  pour faire échapper à l’impôt une part de ses revenus acquis en Europe. En appliquant formellement les accords entre Apple et l’Etat irlandais, le tribunal de l’Union européenne refuse d’affronter la question de la dissimulation fiscale ainsi réalisée par des sociétés de droit irlandais qui, profitant d’une faiblesse du droit, ne déclarent pas certaines sommes. De même, toute distorsion fiscale crée bien un risque de distorsion de concurrence, qu’il n’aurait pas sans doute été très difficile de prouver. Mais le tribunal ne pouvait l’admettre sans mettre en lumière la contradiction fondamentale de l’Union : une grande rigueur pour les règles de concurrence et un laxisme complet face aux Etats qui jouent de l’arme fiscale pour attirer les entreprises.

Au final, comme le soulignent tous les commentateurs, cet arrêt est un rappel à l’ordre. Il est temps d’arrêter de finasser en attaquant indirectement, au nom de la concurrence, l’arbitraire fiscal des Etats. Il est temps que les Etats s’unissent pour refuser que certaines entreprises échappent à l’impôt, peu ou prou. Sans doute faut-il définir un taux minimal d’imposition et des règles de répartition entre les Etats des revenus tirés de l’activité d’une entreprise présente dans plusieurs pays. Bref, il faut affronter le problème de face et non de biais.

La Commission s’efforce d’avancer dans cette voie tout en contournant les obstacles. Le 15 juillet, elle a présenté un plan d’action pour une fiscalité équitable  comportant des règles de bonne gouvernance fiscale dans l’Union. Elle propose de fixer un taux minimal d’imposition sur les entreprises et de réviser le Code de bonne conduite entre Etats (d’application non contraignante) sur la concurrence fiscale. La coopération administrative (qui prévoit déjà l’échange d’informations entre Etats sur les accords fiscaux passés avec les multinationales) serait améliorée, en particulier pour établir la transparence sur les revenus générés par le commerce numérique. Est évoquée également le remplacement de la règle de l’unanimité pour les décisions intéressant la fiscalité au bénéfice d’un vote à la majorité qualifiée. Le chemin sera long.