Respecter la liberté de manifester

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Respecter la liberté de manifester

L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen reconnaît indirectement la droit à manifester en affirmant que nul ne peut être inquiété pour ses opinions « pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Le Conseil constitutionnel (décision du 18 janvier 1995) a de fait reconnu un droit à l’expression collective des opinions. Hors état d’urgence (la loi de 1955 permet l’interdiction des manifestations dès lors que l’autorité publique ne peut pas en assurer la sécurité), la seule obligation des organisateurs d’une manifestation, établie par un décret-loi de 1935, est de déclarer celle-ci 3 jours avant. La manifestation peut être interdite pour des motifs d’ordre public, sous contrôle du juge.

Le droit s’est durci récemment après les manifestations des gilets jaunes : la loi du 10 avril 2019 visant à renforcer et à garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations prévoit que les tribunaux pourront infliger une peine complémentaire d’interdiction individuelle de manifester dans certains lieux. Elle autorise les forces de l’ordre, pour vérifier l’absence d’armes aux mains des manifestants, à contrôler les effets personnels des passants ainsi que les véhicules dans un périmètre donné et dans un laps de temps qui commence 6 heures avant la manifestation. De plus, la dissimulation du visage est interdite aux abords de la manifestation. En revanche, la disposition figurant à l’origine dans la loi permettant au préfet d’interdire à une personne de manifester au motif qu’elle représenterait une menace pour l’ordre public a été censurée par le Conseil constitutionnel comme portant au droit d’expression collective des idées et des opinions une atteinte qui n’est pas adaptée, nécessaire et proportionnée”.

Plus récemment, le débat sur le droit de manifester a rebondi avec les textes relatifs à l’état d’urgence sanitaire. La loi du 23 mars 2020 a d’abord interdit les rassemblements. Puis, le décret du 31 mai 2020 pris en application de la loi du 11 mai 2020, qui encadre la réouverture de certains établissements et la reprise d’activité, maintient cette interdiction pour les rassemblements de plus de 10 personnes. Saisi par diverses associations et syndicats pour ce qui concerne les manifestations dans l’espace public, le juge des référés du conseil d’Etat, s’appuyant sur un avis du Haut conseil de santé publique, a suspendu cette mesure (il admet toutefois l’interdiction des rassemblements de plus de 5000 personnes), jugeant qu’une telle atteinte à une liberté fondamentale ne se justifierait que s’il était constaté que les mesures barrière ne pouvaient être respectées. Une nouvelle version du décret a alors soumis à autorisation toute manifestation de plus de 10 personnes pour permettre au préfet de vérifier l’application des mesures barrière. A nouveau, le juge des référés a suspendu cette mesure, considérant que l’obligation de déclaration suffisait pour que le préfet puisse vérifier la mise en œuvre de mesures barrière et que le principe de l’autorisation préalable était susceptible de porter au droit de manifester une atteinte disproportionnée.

Cependant, le débat le plus incisif sur la liberté de manifester a été ouvert par le Défenseur des droits. Dans une décision du 9 juillet 2020 transmise au ministre de l’Intérieur, il énumère les pratiques policières contraires aux textes qui portent atteinte aux liberté fondamentales, dont la liberté de manifester : contrôles d’identité « délocalisés » non fondés sur les conditions posées par l’article 78-3 du Code de procédure pénale (un groupe de manifestants est éloigné de la manifestation pour être contrôlé) ; interpellations préventives des personnes porteurs d’un masque voire d’un gilet jaune ; confiscations d’objets de protection de la tête, des bras, des yeux ; « encagement » parfois des heures durant d’un groupe de manifestants auxquels on interdit de sortir d’un périmètre donné, avec projections de gaz lacrymogènes ; interpellations en nombre suivies de longues gardes à vue illégales, parfois avec des pratiques de « parquage » dans des « enclos » ; ciblage enfin de journalistes et d’observateurs civils, qui subissent des blessures.

Au final, ce constat permet de mesurer la dérive des pouvoirs publics  sur le respect de la liberté de manifester. Mais il permet aussi  de mettre en lumière la capacité de résistance d’une société qui lui est attachée.