Référé de la Cour des comptes : une protection de l’enfance plus efficace ?

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Référé de la Cour des comptes : une protection de l’enfance plus efficace ?

La Cour des comptes a publié en juillet 2020 le référé qu’elle a adressé en avril au Premier ministre sur la gouvernance nationale de la protection de l’enfance. Elle juge que les différentes instances en charge de cette politique, la Direction générale de la cohésion sociale  du Ministère en charge des solidarités (DGCS),  le Conseil national de la protection de l’enfance CNPE), le Groupement d’intérêt public « enfance en danger » (GIPED) et l’Agence française de l’adoption (AFA) ne remplissent pas bien leur mission et sont mal coordonnés entre eux, voire redondants.  Ainsi, la DGCS ne parvient pas à imposer ses directives nationales aux Conseils départementaux (40 départements seulement utilisaient en 2019 la base nationale de données sur les agréments en vue d’adoption, pourtant priorité nationale, et le faisaient de manière si peu homogène  que les données recueillies ont été jugées inexploitables) ; elle ne parvient pas non plus à s’imposer aux autres directions ministérielles qui traitent de l’enfance ; le CNPE quant à lui, qui a été créé par la loi du 14 mars 2016, avec l’objectif principal d’élaborer un cadre national pour améliorer la protection des enfants dans les services des départements, devait proposer au ministre une politique nationale ; mais ses membres sont trop nombreux, il a peu de moyens et n’a pas répondu aux attentes mises en lui ; le GIPED, qui comportait un observatoire de la protection de l’enfance, peine à produire les données, études et statistiques nécessaires à l’élaboration d’une politique nationale (notamment sur la principale interrogation, le parcours des enfants protégés). Quant à la DREES (service statistique du ministère), elle consacre à cette même mission des moyens très insuffisants. Pour ce qui est de l’AFA, exclusivement centrée sur l’adoption internationale, son existence n’a plus grand sens dans un contexte de déclin (irréversible) de ce mode d’adoption. Du fait de ces dysfonctionnements, les remontées d’information des départements sont très incomplètes et les outils manquent pour mener une politique de convergence des pratiques entre départements (référentiel d’évaluation des établissements d’accueil,  cadre de référence pour l’évaluation de la situation des enfants en danger).

La Cour propose de supprimer le CNPE et l’AFA, de centraliser à la DREES la mission de production de statistiques, de donner au Haut Conseil pour la famille la mission consultative sur les textes exercée jusqu’alors par le CNPE. Elle propose  de s’appuyer sur le GIPED pour en faire un opérateur unique en charge de faire converger les pratiques locales.

L’avis de la Cour est sans aucun doute fondé. Cependant, ce référé, apparemment modeste, qui s’en tient à des remarques sur le fonctionnement des institutions nationales de protection de l’enfance, met en cause, sans trop le dire un effort, engagé depuis des années, de « renationalisation rampante » de la protection de l’enfance, compétence des départements.

Il est vrai que la mission de protection de l’enfance a toujours été partagée entre l’Etat et les départements : les juges pour enfants et les procureurs interviennent sur l’enfance délinquante et l’enfance en danger ; l’Education nationale est, en ce domaine, un partenaire incontournable ; la PMI, autre service départemental acteur de la protection de l’enfance, s’intègre dans la politique de santé ; enfin, la question des mineurs étrangers non accompagnés (et souvent non pris en charge par les départements) pèse sur la politique migratoire de l’Etat.

Cependant, il ne s’agit plus désormais de « partage » mais de pilotage. Depuis une quinzaine d’années, les constats des dysfonctionnements de la protection de l’enfance se multiplient et l’Etat souhaite améliorer le dispositif. La loi du 5 mars 2007 insiste sur la priorité que le service de l’ASE doit donner à la prévention et lui donne la charge d’évaluer, à titre principal, la situation des enfants en danger. La loi du 14 mars 2016 peut s’analyser également  comme une volonté de « reprise en main » par l’Etat de  services trop hétérogènes et trop peu attentifs au parcours des enfants confiés : la loi met l’accent  sur des évidences, nécessité de parcours stables, nécessité d’un « projet pour l’enfant », obligation de réexamen périodique des décisions, préparation effective des sorties et mise en place plus systématique d’un accompagnement après la majorité, jusqu’à 21 ans. Plus récemment, le Conseil économique, social et environnemental a relevé à nouveau, dans un rapport de juin 2018, les multiples transferts dont sont victimes, lors de leur prise en charge à l’ASE, les enfants, surtout les enfants « difficiles », souffrant de troubles psychiatriques ou de handicaps. Le rapport a soulevé une véritable émotion : il évoquait l’extrême précarité auquel sont exposés les jeunes qui ne bénéficient pas à leur majorité du « contrat jeune majeur »  (35 % des SDF de 18 à 24 ans sont d’anciens de l’ASE) et le gaspillage que représente une prise en charge coûteuse qui se termine par une mise à la rue.

Le gouvernement a un temps envisagé de légiférer à nouveau, notamment pour imposer aux départements les contrats jeune majeur. Il a fait ensuite un autre choix : il a nommé un secrétaire d’Etat à la protection de l’enfance, décidé de contractualiser avec les départements pour améliorer certaines pratiques, publié en octobre 2019 une « stratégie nationale pour la protection de l’enfance 2020-2022 ». Malheureusement, celle-ci est quasiment vide et les instances en charge de piloter nationalement l’action des Pouvoirs publics n’y parviennent pas. Le référé de la Cour acte donc à la fois de la nécessité de définir et d’imposer une politique nationale dans ce domaine mais aussi de l’échec des tentatives faites en ce sens. Le gouvernement n’a pas jusqu’ici trouvé la voie entre le respect de la décentralisation et une meilleure convergence des politiques pour l’enfance. Manifestement, la multiplicité des instances n’est pas, en tout cas, la bonne méthode et il faut trouver un mode de copilotage qui associent les départements.