Soutien à l’économie et à l’emploi : la crise impose son tempo

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Soutien à l’économie et à l’emploi : la crise impose son tempo

Les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire sur le moyen terme ont fait l’objet d’une étude de la Banque de France publiée en juin 2020 (https://publications.banque-france.fr/projections-macroeconomiques-juin-2020). Les projections tablent pour 2020 sur un recul du PIB supérieur à 10 %, avec un rattrapage étalé dans le temps, le niveau d’activité de fin 2019 n’étant retrouvé que mi-2022. Malgré l’hypothèse d’une levée des mesures sanitaires mi-2021 liée à l’arrivée d’un vaccin, la Banque de France considère que la France va subir des défaillances d’entreprises, une chute de l’investissement, une dégradation de l’emploi et une réduction de son potentiel d’activité qui ne pourront être surmontées que progressivement. En termes d’emploi, elle projette un taux de chômage de 11,5 % mi-2021 qui décroîtrait ensuite à 9,7 % fin 2022. Les autres projections, celle de l’Etat dans la loi de finances rectificative du 30 juillet 2020, celle de l’UNEDIC, organisme de gestion de l’assurance chômage, ne sont pas très éloignées de ces chiffres.

Pour autant, la Banque de France, l’UNEDIC et le Haut Conseil des finances publiques soulignent tous les grandes incertitudes de ces projections. Celles-ci n’intègrent ni l’effet des mesures d’aide aux entreprises contenues dans la dernière loi de finances, ni, a fortiori, l’impact du plan de relance à venir qui doit être présenté fin aout. Surtout, les prévisionnistes reconnaissent que des scénarios plus favorables ou, à l’inverse, plus sombres, ne sont nullement exclus. Paradoxalement, le soutien apporté aux entreprises depuis le début de la pandémie empêche de mesurer leur situation précise. Le redressement dépend  de plus de trop de variables (reprise de la consommation, situation sanitaire, environnement international…) pour que son rythme puisse être défini à l’avance.

Face à cette situation, le gouvernement a présenté une stratégie en deux temps : d’abord des mesures de soutien à l’économie contenues dans la loi de finances rectificative du 30 juillet, ensuite un plan de relance à venir qui doit être dévoilé fin août.

Dans une note de juillet 2020 qui a inspiré les esquisses actuelles du plan de relance (« Une stratégie face à la crise » http://www.cae-eco.fr/IMG/pdf/cae-note057.pdf, par P. Martin, J. Pisani-Ferry, X. Ragot), le Conseil d’analyse économique souligne l’approche différente choisie par l’Allemagne et la France. L’Allemagne a choisi d’annoncer un plan complet de 130 Mds dès le 4 juin (hors les crédits aux entreprises, dont le montant est bien supérieur), avec des aides à l’activité économique et un soutien à la consommation sous forme d’une baisse temporaire de la TVA. La volonté est de rassurer précocement les acteurs, avec, selon le CAE, l’inconvénient d’un coût élevé si la croissance revient plus rapidement que prévu. La France aurait au contraire choisi d’échelonner les annonces pour tenir compte de l’évolution de la situation, au risque d’insécuriser les entreprises et la population. En réalité, comme personne n’y voit clair dans l’avenir, la stratégie échelonnée n’a guère que des inconvénients et paraît plus brouillonne.

Des plans successifs, multiformes et compliqués

Présenter simplement le dispositif gouvernemental relève du tour de force, tant les mesures sont multiples et techniques. Simplifions.

L’on sait que, pendant le confinement, le gouvernement a mis en place un financement public du dispositif de chômage partiel du personnel des entreprises en arrêt ou réduction d’activité, un fonds de solidarité pour les TPE, un mécanisme de prêts de trésorerie garantis par l’Etat à hauteur de 300 Mds et un fonds de 20 Mds destiné à augmenter la participation financière de l’Etat dans des entreprises stratégiques.

La loi de finances rectificative du 30 juillet 2020 :

1°abaisse à 60 % la prise en charge publique de l’indemnité de chômage partiel (qui reste fixée à 70 % du salaire, la différence étant à la charge des employeurs) sauf pour les secteurs les plus touchés par la crise (sport, hôtellerie, culture, transports aériens…) et pour ceux qui ont subi une chute très forte du chiffre d’affaires ;

2°prolonge le dispositif de report de charges fiscales et sociales ;

3°met en place un plan de soutien de 4,5 Mds pour les collectivités territoriales pour pallier les baisses de recettes mais aussi pour les aider dans leurs efforts en faveur de la transition écologique, de la rénovation du patrimoine et de la résilience sanitaire ;

4°met en place des plans sectoriels de 45 Mds pour le tourisme, le secteur culturel, l’automobile et l’aéronautique, le bâtiment, les start-up… : ces plans combinent de manière différenciée des exonérations fiscales et sociales et des remises de dette, des prêts, des aides à l’investissement (action de BPI France pour le renforcement des fonds propres, création d’un Fonds pour l’avenir de l’automobile et d’un fonds pour l’investissement aéronautique, abondement des fonds pour l’innovation technologique). L’avenir est pris en compte : l’augmentation du bonus écologique et de la prime à la conversion encourage l’achat de véhicules propres, des fonds sont prévus pour la recherche (batteries, avion du futur…), enfin l’aide au BTP comporte un plan de développement de l’apprentissage et une aide accrue à la rénovation thermique des bâtiments publics…

Le Haut Conseil des finances publiques chiffre l’effort total à 134 Mds (indépendamment des 327 Mds de prêts garantis) dont seulement 57 auraient une incidence sur le déficit public.

Quant au plan de relance d’août, il devrait atteindre au moins 100 Mds et comporter plusieurs volets :  à hauteur de 40 Mds, des mesures favorables à l’industrie, dont une baisse des impôts de production de 20 Mds étalée sur 2021 et 2022 ; 20 à 30 Mds de mesures destinées à la rénovation des bâtiments, aux transports propres, à l’énergie ; 20 Mds enfin pour l’aide aux jeunes et à la formation et 20 Mds également  pour le soutien aux familles modestes.

Un seul objectif : empêcher l’affaissement du pays

Dans sa note précitée, le CAE plaide pour une politique portant à la fois sur l’offre et sur la demande, sur la production et sur la consommation, avec pour seul objet de retrouver à horizon d’un an le niveau d’activité de fin 2019 et de résorber le déficit d’emplois à la fin 2021. C’est bien le sentiment que donne la présentation de la politique de soutien de l’Etat aux entreprises, avec des mesures « anti-faillites » (maintien du dispositif de chômage partiel, apports de fonds propres,  exonérations de charges, prêts à certaines entreprises comme Renault ou Air France), des aides plus durables (baisse d’impôts pour les entreprises) destinées à encourager l’investissement, des aides forfaitaires temporaires pour l’embauche des jeunes et des dispositifs de relance de la consommation pour les personnes modestes. Le gouvernement joue de toute la gamme des outils disponibles, avec l’espoir d’encourager la relance à court, moyen et plus long terme.

Son mérite est de réagir pour empêcher l’effondrement économique du pays, risque qui, pour reprendre les termes de la note du CAE, lui paraît plus grave que celui de l’augmentation de la dette.  Il sera difficile, dans un pareil contexte, de ne pas consacrer de l’argent public à maintenir en vie des canards boiteux ou, à l’inverse, à aider des entreprises qui n’en ont pas besoin.  Le CAE considère que le jeu en vaut la chandelle, parce qu’il veut éviter à tout prix une réduction durable des capacités productives du pays et un chômage élevé et persistant.

Le plan suffira-t-il alors même que l’économie française a été touchée plutôt plus durement que d’autre pays ? Par définition, le CAE le valide puisqu’il l’a inspiré. Certains économistes (G. Giraud) le considèrent comme très insuffisant, surtout pour les petites et moyennes entreprises. Peu d’experts en réalité se risquent à en évaluer les effets…Sans connaissance du contexte, comment juger ? La vraie critique est que ce plan traduit des choix court-termistes et une absence de vision de l’avenir.

 L’emploi : des mesures de pure opportunité

 Le volet pour l’emploi des jeunes est aujourd’hui le mieux connu de tous puisqu’il a été présenté le 23 juillet : il attribue aux entreprises jusqu’à fin janvier 2021, une aide forfaitaire pouvant aller jusqu’à 4000 euros pour toute embauche en CDI ou CDD de 3 mois au moins d’un jeune de moins de 25 ans ; il majore les aides aux entreprises qui accueillent des apprentis ou des personnes en contrat de professionnalisation ; il annonce 100 000 places de plus en service civique ; il prévoit d’offrir 200 000 formations qualifiantes pour les jeunes ; enfin, pour les jeunes en difficulté éloignés de l’emploi, il réinvente les contrats d’insertion dans le secteur privé avec 60 000 « contrats initiative emploi »,  alors que le principe en avait été abandonné en 2017 au profit des « Parcours emploi compétences » destinés au seul secteur non marchand. Il renforce aussi le dispositif de Garantie jeunes, qui met en place, pour des jeunes très déshérités, un parcours d’accompagnement vers l’emploi  avec versement d’un « équivalent-RSA ».

Le gouvernement espère ainsi développer les embauches (à hauteur de 450 000) et, en offrant, en complément, des places d’accueil en formation, en service civique ou en contrat d’insertion,  offrir des solutions à la génération qui arrive sur le marché du travail  et aux jeunes laissés en déshérence par la crise.

Sur l’effort de formation en alternance, l’augmentation des places en  service civique ou la Garantie jeunes, l’appréciation ne peut être que favorable, si tant est que les places soient effectivement offertes et que la qualité soit maintenue : ces dispositifs ont fait l’objet d’évaluations positives. Les premiers améliorent les qualifications. Quant à la Garantie jeunes, elle favorise effectivement l’insertion durable de jeunes en grande difficulté. L’appréciation n’est pas identique pour l’aide à l’embauche dans le secteur privé, qu’il s’agisse de jeunes « ordinaires » ou d’emplois d’insertion. Toutes les études démontrent un effet d’aubaine massif : seules les entreprises qui voulaient déjà embaucher le font, avec, parfois, un léger effet d’anticipation. C’est d’ailleurs ce constat (et le faible taux d’insertion durable des jeunes en difficulté, meilleur toutefois, il est vrai, en secteur marchand que non marchand) qui avait conduit à l’abandon des contrats aidés par l’Etat en 2017. Ici, l’effet d’aubaine sera accentué puisque la prime bénéficiera à tout jeune payé jusqu’à 2 SMIC, même s’il est embauché en CDD si celui-ci dépasse 3 Mois. L’Etat subventionnera les entreprises pour gagner quelques mois sur l’amélioration de la situation de l’emploi. On ne sait plus ce qui l’inspire : la crainte que les jeunes s’engagent dans leur vie active par le chômage ou l’entrée dans une période préélectorale.

Par ailleurs, quelle est la cohérence entre un tel plan et le maintien des perspectives de réforme de l’assurance chômage, en partie suspendue pendant la crise sanitaire ? Certes, certaines dispositions de la réforme (notamment l’allongement à 6 mois de la durée minimale de travail pour accéder au chômage comme pour « recharger » les droits en cas de reprise du travail) ont été récemment assouplies (le décret du 29 juillet 2020  les fixe à 4 mois). Pour autant, la dégressivité des allocations versées aux cadres et la modification du mode de calcul de l’allocation, qui pénalisera surtout les personnes qui reprennent de petits jobs, ne sont que suspendues jusqu’au 1er janvier 2021. Peut-on, en période de croissance du chômage et alors qu’on permet aux entreprises, en toute connaissance de cause, de profiter d’effets d’aubaine sur les embauches, pénaliser durement les chômeurs ?

Une  « réorientation de la croissance » trop discrète

 Peut-on profiter de la crise pour imposer des réformes structurelles ?

La réduction des impôts de production, qui frappent les entreprises sans lien direct avec leurs bénéfices, est considérée comme un bon outil pour réduire l’écart de compétitivité-prix avec l’Allemagne dont le système fiscal ne comporte pas ce type d’impôt : c’est en tout cas l’analyse du CAE dans une note de juin 2019 («Les impôts sur (ou contre) la production » http://www.cae-eco.fr/Les-impots-sur-ou-contre-la-production), qui souligne surtout les effets nocifs de la Contribution sociale de solidarité des sociétés (CSSS), qui pèse sur le CA, qui réduirait la productivité et aggraverait le déficit commercial. Certes, en période de crise, il est sans doute vain d’espérer que la réduction de tels impôts aura des effets de restructuration de la production : elle aura surtout un effet d’allègement de charges. Mais le projet a du sens.

Il n’en est pas vraiment de même du volet « écologique » du plan d’urgence. Il y est à nouveau question de respecter les objectifs de la stratégie bas carbone grâce à la rénovation énergétique des bâtiments, au développement du fret ferroviaire, au plan anecdotique sur les trains de nuit, à des mesures sur l’énergie.  Pour autant, le gouvernement se contente de vanter la transition écologique comme un levier de croissance, en en espérant des centaines de milliers de créations d’emploi. La question de l’éventuelle incohérence entre ces perspectives et les autres mesures du plan (la conditionnalité des aides à l’industrie automobile et au transport aérien à un « virage écologique » a été plus que limitée) n’est jamais soulevée et l’écologie n’est pas considérée comme un principe d’action dominant les choix politiques mais comme une activité économique comme une autre. Surtout, aucune réflexion ne s’esquisse sur les raisons de l’échec précédent des objectifs affichés : or, les experts jugent insuffisants les montants annoncés. En particulier développer un fret ferroviaire aujourd’hui agonisant suppose une vraie réorganisation des livraisons en entreprise…

Dans son second rapport annuel, paru en juillet dans une relative indifférence , le Haut conseil sur le climat regrette le manque de fermeté  du pilotage de la Stratégie bas carbone et l’absence d’une vision transversale, certains secteurs (l’agriculture) n’étant même pas engagés dans une trajectoire bas carbone. Apparemment, cela va continuer.

 

Au final, l’on ne peut accuser le gouvernement d’inaction face à la crise économique et sociale qui s’annonce. Par prudence, il a fait le choix de définir toute une gamme d’outils qui peuvent en atténuer les conséquences. Certains d’entre eux (la baisse des impôts de production, le développement de la formation des jeunes, les dotations à des fonds de recherche ou d’investissement) s’inscrivent dans la ligne des choix politiques d’origine du Président de la république et ont du sens. La plupart sont dictés par l’urgence, avec l’ambition de revenir le plus vite possible au statu quo ante, sans vision de l’avenir. La crise donne son tempo et le bilan du Président en portera la marque.

Pergama, le 8 août 2020