Attention : l’évaluation des politiques publiques est une question politique

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Attention : l’évaluation des politiques publiques est une question politique

Le Conseil d’Etat publie son étude annuelle, consacrée cette année à l’évaluation des politiques publiques (Conduire et partager l’évaluation des politiques publiques).

Il rappelle d’abord l’utilité de l’évaluation : elle peut, dans un contexte marqué par la défiance, améliorer la qualité du débat public et fonder la délibération sur des faits ou sur des analyses. Puis le Conseil évoque les caractéristiques de cette évaluation : il note combien, en France, la « communauté évaluative » est diverse et non structurée et souligne la place qu’y occupent le pouvoir exécutif d’un côté, la Cour des comptes, sur laquelle s’appuie le Parlement, de l’autre ; il remarque ensuite que l’évaluation s’est récemment nettement développée en France, même si les chercheurs académiques ont moins de poids que dans des pays aux pratiques évaluatives plus avancées (Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne ou Suède) ; que, pour autant, certains domaines échappent davantage que d’autres à l’évaluation, notamment les politiques régaliennes ; surtout, que l’évaluation occupe une part insuffisante dans le débat public : la LOLF n’est pas parvenue à la mettre au centre du vote de la Loi de finances, la qualité des études d’impact qui accompagnent les projets de loi est insuffisante et les décideurs répugnent à soumettre à évaluation des points du programme sur lequel ils ont été élus ; enfin, l’exploitation des évaluations pour préparer ou éclairer les décisions est très limitée, même si, sur le long terme, l’évaluation a des effets.

Le Conseil souhaite que le Parlement joue un rôle plus actif et puisse davantage « passer commande » ; qu’il y ait davantage d’acteurs publics formés à l’évaluation, avec plus d’allers et retours entre le monde universitaire et la sphère administrative ;  que les collectivités produisent davantage de données et d’évaluations ; que les évaluations soient pilotées par des structures collégiales et pluralistes ; qu’elles soient systématiquement publiées, y compris sur les sites des diverses administrations, pour mieux concourir à influencer les décideurs.  Les études d’impact doivent obéir à des exigences plus strictes et être présentées en amont à des organismes publics d’évaluation. Enfin, les indicateurs de la LOLF devraient être retravaillés, afin de distinguer ceux qui s’appliquent à l’action des gestionnaires et ceux qui concernent les politiques menées.

Au final, le rapport constitue un bon rappel des avancées et des faiblesses de l’évaluation des politiques publiques en France. Ses propositions paraissent sages et de bon sens. Pour autant, l’analyse est trop peu incisive, même si elle souligne certaines contradictions entre l’engagement d’un élu sur un programme politique et l’évaluation des mesures prises ensuite sur ce fondement. En réalité, l’appartenance des élus à des familles idéologiques est peu compatible avec une évaluation qui se veut rationnelle et factuelle : on le voit dans le domaine de la justice, de la police, de la lutte contre la drogue… les élus comme les fonctionnaires  résistent à l’évaluation. De plus, l’évaluation demande souvent de quitter les politiques en demi-teinte pour des choix plus structurés et plus cohérents mais aussi plus engageants et plus coûteux. Enfin, institutionnellement, le Parlement n’est sans doute pas le mieux placé pour piloter cette évaluation alors que la majorité à l’Assemblée nationale est, par définition, toute acquise aux actions de l’exécutif tandis que celle du Sénat est hostile. Sans doute faut-il préférer que l’évaluation soit indépendante et multiforme plutôt que menée par des services publics (sauf en ce qui concerne la Cour des comptes ou l’Insee, connus pour leur indépendance), même si ceux-ci doivent y contribuer (production de données), passer commande et s’y intéresser. En tout état de cause, la question des obstacles à l’évaluation aurait dû être davantage étudiée : ce n’est pas tout à fait un hasard si les études d’impact ne sont pas de qualité ou si les indicateurs de la LOLF, élaborés sous l’égide du ministère des finances,  privilégient une vision de gestionnaires souvent peu intéressante.  Le  développement de l’évaluation des politiques publiques n’est pas seulement une question de moyens et de bonne volonté, comme semble le penser le Conseil, même si ces deux conditions doivent aussi être remplies. C’est une question politique, qui ne progressera que dans une société pluraliste et ouverte au débat, grâce à des institutions indépendantes du pouvoir et pas en son sein.