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Vaccin contre la COVID: le malaise

Les grands laboratoires sont engagés, au niveau mondial, dans une sorte de course contre la montre pour fournir le plus rapidement possible un vaccin contre la COVID. Les laboratoires privés ont passé avec de nombreux Etats, qui veulent que leur population ait prioritairement accès à cette protection, des accords de financement qui « précommandent » des doses. Parallèlement pourtant, les Français, ou du moins une forte minorité d’entre eux, ne souhaitent pas être vaccinés. Ainsi, alors même que le risque d’une reprise de l’épidémie COVID menace à nouveau certains secteurs économiques, une élue de Marseille déclarait récemment que, si un vaccin apparaissait sur le marché, elle ne se ferait pas vacciner, pas plus qu’elle ne ferait vacciner ses enfants. Paradoxalement, contrairement sans doute à ce que pensent les responsables politiques, il n’est pas du tout certain que l’empressement des  Etats à financer les recherches vaccinales contre la COVID conduisent l’opinion publique à renoncer à sa méfiance. Celle-ci risque même d’en sortir renforcée.

Une méfiance indéniable envers la vaccination

 Selon une étude de l’Institut Gallup publiée en 2019 et réalisée, pour l’ONG britannique Wellcome, dans 144 pays auprès de 140 000 personnes, la France est le pays au monde le plus méfiant à l’égard de la vaccination : un Français sur trois ne croit pas que les vaccins soient sûrs (21 % en moyenne pour les pays étudiés), un sur dix ne croit pas important de faire vacciner ses enfants et 19 % pensent que la vaccination est inefficace. L’étude relativise quelque peu les résultats : les pays riches, surtout ceux qui disposent d’un bon système de santé, seraient dans l’ensemble moins favorables à la vaccination que les pays pauvres parce que la population y souffre moins de l’effet des maladies. Par ailleurs, en 2019, Santé publique France note, dans une analyse consacrée à la vaccination des jeunes enfants, que le ratio de 9 parents sur 10 qui accordent de l’importance à la vaccination de leurs enfants témoigne d’une augmentation de 5 points par rapport à 2018. L’Agence impute cette amélioration à la décision du gouvernement de passer à partir de 2019 de 3 à 11 vaccins obligatoires pour les bébés de moins de deux ans : en ce domaine, l’affirmation d’une forte conviction des pouvoirs publics serait efficace. Pour autant, l’étude Gallup lie la défiance des Français à celle qu’ils éprouvent envers les institutions, surtout la presse et le gouvernement, qui est particulièrement élevée. Elle note ainsi que, à la différence de ce qui se passe dans d’autres pays (Allemagne et Royaume-Uni par exemple), la défiance envers les vaccins est partagée en France par toutes les catégories sociales et n’est pas l’apanage des personnes à faible revenu.

Une étude précédente (London School of Hygiene and Tropical médecine, 2016) donnait des  chiffres différents (41 % des Français ne considéraient pas les vaccins comme sûrs, contre 17 % dans l’ensemble des pays étudiés) mais plaçait également la France en tête des pays méfiants. Là aussi l’étude rappelait la longue suite de crises sanitaires, y compris les erreurs, approximations voire dissimulations qui ont marqué la communication sur les vaccins : en minimisant, dans les années 90, les risques de la vaccination contre l’hépatite B tout en suspendant les campagnes en milieu scolaire, en échouant à convaincre en 2009, lors d’une campagne très énergique de vaccination contre la grippe H1N1, qu’il n’y avait aucune collusion économique avec les laboratoires, l’Etat a fait naître une méfiance qui s’est peu à peu enkystée, nourrie par ailleurs par la révélation de conflits d’intérêts de certains responsables.

Par ailleurs, force est de constater que même le corps médical, notamment les médecins généralistes, éprouvent parfois des hésitations, voire des doutes. Certes, Santé publique France souligne, dans une enquête de 2019 menée auprès des généralistes, que 99,6 % d’entre eux disent être favorables à la vaccination « en général ». Mais un tiers déclare avoir des préventions contre certains vaccins et un quart n’était pas favorable à l’extension de l’obligation vaccinale pour les jeunes enfants. Surtout, la revue « Médecine », dans un article de 2017 (« Les médecins face à la crise de confiance dans la vaccination en France ») note que, face à la vaccination, 18 % n’éprouvent aucune hésitation, 68 % une faible hésitation, 11 % une hésitation « moyenne » et 3 % une forte hésitation : ce doute, qui paraît lié à la plus ou moins grande confiance envers les autorités de santé, les conduit, dans une proportion qui oscille entre 16 et 43 % selon le vaccin concerné, à ne pas recommander la vaccination au groupe cible désigné par les autorités sanitaires : les médecins contribuent ainsi  au médiocre taux de couverture vaccinale pour certaines affections, grippe saisonnière, rougeole en rattrapage chez l’adolescent, hépatite B chez l’adolescent ou méningite C chez le nourrisson. Il faut de même rappeler, sur les travaux du professeur Gherardi relatifs aux adjuvants aluminiques des vaccins, l’avis en demi-teinte du Conseil scientifique de l’Agence nationale de sécurité du médicament qui considérait un fine qu’ils n’étaient « pas déterminants », ce qui a, en réalité, conforté le scepticisme.

Une relation ambivalent des Français à la science  et à la recherche

 Le Cepremap (Centre pour la recherche économique et ses applications) a commenté en avril 2020 d’autres données fournies par l’enquête Gallup précitée, portant sur la relation des populations à la science.  La France là aussi  occupe une place à part dans l’ensemble des pays : si 2/3 des Français font partie des « enthousiastes » (les progrès de la science bénéficient à tous) et des « inclus » (ceux qui en attendent un bénéfice personnel), un tel pourcentage place la France en queue de peloton des pays d’Europe occidentale. Un quart des Français pense que le progrès scientifique ne leur apporte rien à titre personnel, au moins sur le court terme. La France se différencie ainsi des pays qui lui sont économiquement  proches pour ressembler à des pays moins développés.

Quant à l’opinion des Français sur les scientifiques, il est encore plus ambivalent : 90 % d’entre eux pensent que la recherche publique travaille dans l’intérêt de la société dans son ensemble. Mais 30 % n’ont pas confiance dans l’honnêteté des chercheurs, surtout en ce qui concerne le financement des recherches. La recherche privée suscite de ce fait une méfiance certaine : plus d’un tiers des répondants pensent que les chercheurs du secteur privé ne travaillent pas dans l’intérêt de la société toute entière.

Dans le contexte de l’épidémie COVID, cette défiance risque de susciter des difficultés spécifiques : les laboratoires pharmaceutiques sont des acteurs majeurs de la recherche de vaccins ou de médicaments et les produits proposés risquent alors de ne pas être spontanément acceptés. Quant aux recommandations gouvernementales, elles suscitent également une défiance certaine.

Une recherche sur les vaccins sans transparence, financée à l’aveugle par de l’argent public

 La recherche sur les vaccins passe par plusieurs phases : d’abord une phase de développement préclinique, qui s’effectue en laboratoire avec des tests sur les animaux et qui permet de définir les doses à administrer pour que le vaccin soit efficace (c’est-à-dire stimule les défenses immunitaires) mais sans effets nocifs et avec une bonne tolérance ; ensuite des essais cliniques sur l’homme, avec 3 phases portant sur des groupes de plus en plus importants de malades. Le vaccin doit ensuite obtenir une autorisation de mise sur le marché (en l’occurrence il s’agira sans doute en Europe d’une procédure centralisée coordonnée par l’Agence européenne des médicaments) qui évaluera sa qualité pharmaceutique, son efficacité et sa tolérance. En théorie, ces procédures prennent plusieurs années et au minimum de 18 mois à deux ans.

Fin juillet 2020, quelques mois après le début de l’épidémie COVID, l’OMS estimait que 139 vaccins potentiels en étaient au stade du développement et 26 au stade des essais cliniques.

Les Etats et l’Union européenne ont en effet cherché à accélérer la recherche et la mise au point d’un vaccin en passant des accords de préfinancement avec les laboratoires pharmaceutiques qui leur présentaient un dossier jugé crédible. Ainsi, la Commission européenne a passé en juillet 2020 un accord avec Sanofi et GSK (ces laboratoires ont également passé des accords avec le gouvernement britannique et avec les Etats-Unis), puis, en août 2020, a signé aussi avec Janssen Pharmaceutica. Des discussions sont engagées avec d’autres laboratoires. La France, l’Allemagne l’Italie et les Pays-Bas ont parallèlement signé avec le laboratoire AstraZeneca. La Chine et la Russie produisent leur propre vaccin tandis que les Etats-Unis soutiennent particulièrement le laboratoire Moderna.

Cette volonté de rapidité emporte des conséquences qui soulèvent l’inquiétude : dans de nombreux cas, accélération des recherches par superposition des phases (lancement des tests cliniques alors que l’étude de développement n’est pas complètement validée, lancement de la production alors que les phases de tests cliniques ne sont pas achevées), ce qui ne permet pas de garantir la qualité de la démarche ; risque de brutal coup d’arrêt de la recherche lors d’un incident, comme cela a été récemment le cas pour le projet le plus avancé, celui d’AstraZeneca ; inégale transparence des protocoles d’essais cliniques, même à l’égard des Etats qui participent au financement, Moderna faisant cependant exception : les laboratoires se défendent en expliquant qu’ils ne veulent pas divulguer leurs protocoles mais, de ce fait, la puissance publique paye en aveugle ; exigences publiques insuffisantes sur le taux d’efficacité des vaccins, au point que, selon les experts, la crainte existe que l’efficacité des vaccins mis sur le marché soit faible (le vaccin ne protégerait qu’un pourcentage limité de la population, ou n’empêcherait que les formes sévères de la maladie, ou ne serait pas protecteur sur la durée…) ; risque enfin de mise en place d’une procédure accélérée d’évaluation des projets par les autorités publiques, comme c’est déjà décidé aux Etats-Unis pour le vaccin Pfizer et comme l’Union européenne semble l’envisager (cf. Stratégie de l’Union européenne concernant les vaccins contre la COVID 19, 17 juin 2020), ce qui serait très imprudent.

Les députés du Parlement européen se sont plaints, en septembre, de l’opacité des négociations menées entre la Commission et les laboratoires pharmaceutiques, pointant même la présence dans l’équipe de négociation de personnes en situation de conflits d’intérêts. Ils soulignent que le coût supporté par l’Union européenne n’est pas connu et que l’on peut légitimement craindre un gaspillage d’argent public.

Au-delà, les processus à l’œuvre sont de nature à renforcer la défiance des populations envers les vaccinations, les laboratoires pharmaceutiques et les recommandations sanitaires des autorités publiques, notamment en France. Cette défiance risque en effet d’être alimentée, lors de l’administration du vaccin, par des intolérances ou des effets nocifs mal étudiés, par la déception sur l’efficacité de la protection, par la multiplicité des produits et la difficulté de les comparer. Enfin, les laboratoires pharmaceutiques peuvent être accusés d’avoir tiré un profit excessif de la situation en obtenant des pouvoirs publics des financements de manière insuffisamment éclairée, ce qui risque de conforter l’accusation latente d’une collusion d’intérêt permanente entre les décideurs publics et « Big Pharma ».

Au final, les Etats occidentaux ont cédé à la panique et n’ont pas su maîtriser leurs relations (commerciales) avec les laboratoires. Ils auraient dû agir de manière concertée, transparente et rigoureuse, en refusant d’entrer dans le jeu de la compétition. Ils ne pourront pourtant restaurer la confiance de l’opinion publique qu’à ce prix.

Pergama, le 27 septembre 2020