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Le 5e risque: vers une non-création? (28/09/2020)

La loi du 7 août 2020 relative à la dette publique et à l’autonomie ajoute une branche « autonomie » au régime général de la sécurité sociale et prévoit que le gouvernement remet au Parlement, avant le 15 septembre 2020, un rapport sur les modalités de mise en œuvre du nouveau risque, notamment l’architecture juridique et financière nécessaire et les modalités de gouvernance de cette nouvelle branche. Le rapport Vachey a donc été remis au Parlement mi-septembre. Il n’a pas été publié (personne ne comprend pourquoi) mais, naturellement, il a fuité et son contenu est largement commenté.

Disons le tout de suite : il existe un abîme entre l’annonce gouvernementale, volontairement percutante, de la création d’un « cinquième risque » rattaché à la sécurité sociale, qui semble annoncer une centralisation de la gestion du risque concerné et une simplification de son financement, et la teneur du rapport Vachey, qui choisit de maintenir, pour une large part, le dispositif complexe existant, en termes d’organisation et de financement.

Rappelons l’existant pour ce qui concerne la dépendance des personnes âgées : le coût public de ce risque, qui atteint, hors participation des personnes et de leur famille, 21,6 Mds en 2018, est partagé pour l’essentiel entre la Sécurité sociale, qui prend en charge des dépenses de soins spécifiquement identifiées soit en ville (pour les personnes dépendantes à domicile), soit dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD)  et mène une action sociale à l’égard des personnes âgées ; les départements, qui financent l’hébergement en EHPAD, quand la personne ne peut le faire pour des raisons financières, ainsi que la prestation d’aide à la dépendance (allocation personnalisée d’autonomie, APA), qui représente une aide en nature versée tant à domicile qu’en établissement, dont l’essentiel consiste en une aide humaine modulée selon les besoins de la personne ; enfin la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), établissement public de l’État, qui prend en charge une part de l’APA et finance des services innovants ou des actions de modernisation.

Pour ce qui concerne la dépendance des personnes handicapées (les dépenses publiques se montent alors à 44,7 Mds), les prestations et leur financement sont tout aussi éparpillées : la sécurité sociale, branche maladie, finance les pensions d’invalidité et les unités d’accueil des personnes lourdement dépendantes ainsi que les établissements d’aide par le travail et les établissements médico-sociaux pour enfants ; elle mène également une action sociale à l’égard des personnes concernées ; la branche famille verse une allocation d’éducation des enfants handicapés (AEEH) ; les départements payent les frais d’hébergement des personnes handicapées quand c’est nécessaire ainsi que, comme pour les personnes âgées dépendantes, des prestations d’aide en nature permettant d’aider les personnes dans leur vie quotidienne (essentiellement la PCH, prestation de compensation du handicap) ; quant à l’Etat, il prend en charge les revenus de remplacement (AAH, allocation aux adultes handicapés et allocation supplémentaire d’invalidité sous condition de ressources) ; enfin,  la CNSA supporte une part de la PCH et une part du financement des établissements et services.

Face à cette dispersion organisationnelle et financière,  que propose le rapport Vachey, qui s’inscrit dans la perspective non seulement de la création d’un nouveau risque de sécurité sociale mais aussi d’une amélioration, promise depuis des années, des prestations et services en faveur des personnes dépendantes, dont le ministre de la santé chiffre (de manière modeste) le coût à 1 milliard ?

Le rapport part du principe inscrit dans la loi d’août 2020, selon lequel c’est la CNSA qui gérera le risque autonomie au niveau national. Pour autant, il ne propose de transformer ni son statut ni la composition de son conseil d’administration : un établissement public de l’Etat gérera donc la 5e branche de la sécurité sociale…ce qui ne correspond pas tout à fait au modèle traditionnel de ce mode de couverture des risques sociaux, même si celui-ci a perdu une grande part de sa portée.

Le rapport ne propose pas non plus de regrouper sous l’égide de la CNSA tous les financements consacrés à la dépendance mais, il est vrai, envisage le transfert d’une part importante d’entre eux, parmi lesquels l’AAH, l’AAEH pour les enfants, l’ASI, le financement des établissements d’aide par le travail. Les pensions d’invalidité resteraient en dehors, de même que tous les dispositifs d’accès à l’emploi des personnes handicapées. Au demeurant, la portée de ce regroupement financier n’est pas évidente dès lors que les CAF devraient continuer  par exemple à attribuer l’AAH et l’AEEH puisque la CNSA n’a pas de services de gestion des prestations… Au niveau local, la dualité actuelle entre les ARS, qui décident des dépenses relevant de l’assurance maladie, et les départements, qui gèrent leurs propres prestations, perdurerait. Les effets en seraient atténués toutefois par la signature d’un « contrat départemental pour l’autonomie » signé par les deux organismes qui organiserait l’offre d’établissements et de services sur le territoire. De même, la tarification duale des établissements d’hébergement, qui sépare aujourd’hui les soins (l’ARS est l’autorité de tarification) et l’hébergement (le département décide de son prix), devrait disparaître, les ARS donnant délégation aux départements pour fixer la tarification des établissements.

Quant aux mesures permettant de financer l’amélioration promise du système, le rapport ouvre le choix entre de très nombreuses solutions (affectation d’une part croissante de CSG, réduction de niches sociales et fiscales, 2e journée de solidarité…), sans choisir, ce qui laisse le problème entier.

A lire ces propositions, le 5e risque sera donc, pour l’essentiel, une étiquette. L’établissement censé gérer le risque réunirait dans son budget des financements nouveaux qui lui seraient transférés mais, comme il n’a pas de mains (ni de réseau de caisses locales), ce sont les services et caisses qui délivrent actuellement les prestations qui continueront de le faire. La coordination locale entre les ARS, services de l’Etat, et les départements serait renforcée et la tarification des établissements s’unifierait davantage, ce qui est bien. Pour autant, structurellement, l’organisation resterait inchangée. L’on a alors du mal à comprendre comment le maintien, pour une très large part, de l’organisation actuelle permettra de lutter contre les écarts territoriaux, comme la loi l’annonçait (elle promettait une « prise en charge universelle et solidaire ») : aujourd’hui, selon les lieux, les écarts entre les taux d’attribution des prestations ou entre le montant des prestations en nature sont importants, sans que les différences sociodémographiques des territoires suffisent à les expliquer. Elles tiennent aux différences de pratique des services des départements, de l’assurance maladie ou des maisons de l’autonomie. Qui les unifiera ? Le 5e risque, une coquille creuse ? C’est un risque.