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Finances sociales, le naufrage

La préparation de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2021 est l’occasion de mesurer l’ampleur des conséquences de la crise sanitaire sur les finances sociales. En 2020, le déficit prévisionnel  du régime général et du FSV (fonds de solidarité vieillesse, qui prend en charge des dépenses de solidarité en vieillesse) serait sans précédent : selon les derniers chiffres (plusieurs évaluations se sont succédées), il atteindrait 46,6 Mds, l’essentiel touchant la branche maladie (32,2 Mds). Au plus fort de la crise de 2010, ce déficit avait atteint seulement 28 Mds.

Ce déficit résulte majoritairement (à 32,5 mds) de la baisse des recettes et, pour la branche maladie, de dépenses supplémentaires : certes, les dépenses de médecine de ville ont fortement baissé, mais les conséquences de l’épidémie ont nécessité des moyens supplémentaires et, sur l’année, les mesures adoptées au Ségur de la santé ont déjà un coût.

 Au-delà du régime général, le régime d’assurance chômage, déjà en déficit, connaîtra une perte 2020 supérieure à 20 Mds : l’augmentation s’explique par 4 Mds de perte de recettes, 4 Mds de hausse de dépenses d’indemnisation et par plus de 8 Mds de prise en charge du chômage partiel. Les régimes complémentaires de retraite sont également en situation difficile (-5,5 Mds en 2020).

Les régimes complémentaires vont puiser dans leurs réserves mais cette situation ne peut durer et ils devront rechercher un équilibre financier nouveau, par baisse de la valeur du point de retraite ou recettes supplémentaires.  Le régime d’assurance chômage supportait déjà une dette importante, déjà considérée comme insoutenable par la Cour des comptes, qu’il espérait stabiliser voire réduire. Elle va monter à 65 Mds en fin d’année, représentant un an et 8 mois de recettes de temps ordinaire. Il sera difficile de supporter ce montant, d’autant qu’il risque d’augmenter encore, avec une reprise de l’activité très progressive et un chômage en hausse. Les Pouvoirs publics ont également accepté, pour faire face, d’augmenter la dette du régime général : dans un premier temps augmentation du plafond d’endettement autorisé ; puis transfert à la CADES (caisse d’amortissement de la dette sociale, dont la durée de vie est prolongée de 9 ans, jusqu’en 2033) d’un montant maximal de 136 Mds : reprise des déficits passés du régime général et du FSV, reprise des déficits prévisionnels de 2020 à 2023, en y intégrant celui du régime agricole pour la vieillesse, reprise enfin par la CADES des dotations maladie destinées à aider les hôpitaux à réduire leur dette.

A court terme, la situation est donc gérée. L’inquiétude toutefois porte moins sur le présent que sur l’avenir. La loi de financement de 2021 comporte des prévisions financières de moyen terme assises sur des hypothèses économiques élaborées avant que ne survienne la deuxième vague COVID. Déjà, en septembre 2020, le Haut Conseil des finances publiques jugeait le « rebond » prévu pour 2021 « volontariste » (un PIB en croissance de 8 %, ce qui correspond à un « rattrapage partiel » de l’activité perdue en 2020) et s’inquiétait de l’augmentation massive de la dette publique. Avec bon sens, il soulignait que, dans un contexte de croissance potentielle affaibli, la réduction du déficit serait plus difficile, ce qui comporte le risque d’une nouvelle augmentation de la dette inquiétante. De fait, même avec des hypothèses considérées comme optimistes, le déficit 2021 du régime général et du FSV serait de 27 Mds et celui de 2024 atteindrait encore 24 Mds. Si ces hypothèses ne sont pas atteintes, le déficit s’aggravera et la dette avec.

Il est pour autant loisible de se demander pourquoi une crise violente mais ponctuelle emporte des conséquences pluriannuelles qui semblent interminables. D’une part, l’étude des crises passées (cf. le rapport de la Cour des comptes d’octobre 2020 sur l’exécution des LFSS) montre que l’activité ne se rétablit toujours que lentement (certains scenarios économiques envisagent même une perte définitive de la croissance potentielle), d’autre part, selon l’analyse éclairante des déficits prévisionnels figurant dans le rapport sénatorial relatif à la LFSS, l’augmentation structurelle des dépenses (dont celles du Ségur) empêchera le retour à l’équilibre. La sécurité sociale doit en effet affronter une augmentation inévitable de ses charges (en maladie comme en vieillesse) dans un contexte d’affaiblissement de ses recettes, le pire scénario qui soit.

Autre facteur inquiétant, malgré l’ampleur de la reprise de dette par la CADES, le plafond de reprise autorisé (92 Mds pour les déficits de 2020 à 2023) ne permettra pas de couvrir les déficits tels qu’ils sont actuellement prévus.

En tout état de cause, si le déficits perdurent sans perspective de rétablissement des comptes, le financement de la protection sociale par la dette atteindra ses limites. Il faudra bien, un jour ou l’autre, envisager des mesures dites structurelles, avec la difficulté d’y procéder dans une situation sociale fragilisée.