Union européenne, le respect de l’état de droit progresse, un millimètre après l’autre

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Union européenne, le respect de l’état de droit progresse, un millimètre après l’autre

Dans la décennie qui vient de s’écouler, certains pays de l’est européen (pour l’essentiel la Hongrie et la Pologne) ont mis au pas les autorités en charge de contrôler le pouvoir politique, adopté des mesures liberticides et voté des lois accordant ou refusant des avantages aux citoyens sur des critères ethniques ou d’orientation sexuelle. La Hongrie a ainsi « réformé » la justice et réduit les pouvoirs de la Cour constitutionnelle. La presse a été encadrée et asservie, des universités étrangères ont été fermées, l’action des ONG en faveur des migrants criminalisée. En Pologne, des actions identiques ont été menées pour contrôler la justice et mettre à l’index les homosexuels.  Au-delà, de forts soupçons de corruption pèsent sur les proches du pouvoir qui, dans ces pays, détourneraient les fonds européens à leur bénéfice. Les autorités européennes ont réagi en actionnant, en 2017 et 2018, contre ces deux pays,  l’article 7 du traité de l’Union, en vertu duquel un tiers des États membres, la Commission européenne ou le Parlement à la majorité des 2/3 peuvent proposer au Conseil de constater, par une majorité des 4/5e, qu’il existe un risque de violation grave  des valeurs énumérées à l’article 2 du traité (respect de la dignité humaine, liberté, démocratie, égalité, état de droit, respect des droits de l’homme, y compris des droits des minorités). Cependant, le Conseil, une fois saisi de cette proposition, n’a jamais statué. La suite du processus (les textes prévoient qu’après le premier vote du Conseil, si la situation n’évolue pas, la Commission ou un tiers des États membres demande au Conseil de prononcer des sanctions, ce qu’il peut faire à l’unanimité, hors le vote du pays concerné, parmi lesquelles la suspension du droit de vote du pays au Conseil) n’a donc jamais pu se dérouler. L’on peut au demeurant douter de son bon aboutissement compte tenu de l’exigence d’unanimité,  alors que les pays incriminés sont solidaires entre eux. Certes, la Cour de justice de l’Union européenne a reconnu les violations systématiques du droit par la Pologne  (arrêt LM du 25 juillet 2018 ), admis la recevabilité d’une procédure en manquement contre la Pologne au motif qu’une loi polonaise violait le principe d’indépendance des juges puis ordonné en décembre 2018 le rétablissement dans leurs fonction des juges écartés : mais au final, la crise créée par la violation de l’état de droit dans certains pays de l’Union n’a induit aucune réponse politique et ces violations continuent sans être freinées.

L’on a pu espérer, dans la période récente, que la situation allait évoluer.

D’abord, la Commission européenne a publié fin septembre son premier rapport sur l’état de droit. Le Commissaire à la Justice qui l’a présenté a insisté sur l’augmentation des tensions en ce domaine, mis en cause la situation en Hongrie et en Pologne et réclamé un mécanisme de conditionnalité des aides européennes au respect de l’Etat de droit. Las…Il suffit d’ouvrir le rapport pour déchanter. Les pays sont évalués au regard de quatre critères, avancés pour répondre à la critique formulée par les pays « illibéraux » selon laquelle l’Union n’est pas capable de définir la notion d’état de droit de manière précise  : ces critères sont l’indépendance du système judiciaire, la lutte contre la corruption, l’équilibre des pouvoirs institutionnels et le pluralisme. L’état de droit ne recouvre donc pas le respect des droits et libertés fondamentaux, violés par la politique migratoire de ces pays et la mise en œuvre de discriminations sur motifs ethniques ou sexuels. C’est une déception. En outre, le rapport « veut engager le dialogue » et la langue utilisée est lisse comme celle des bureaucrates : on retient que les manques relevés sont vraiment bien préoccupants.

Seconde lueur d’espoir, l’accord du Conseil européen du 21 juillet 2020 qui a adopté le plan de relance et le budget à long terme de l’Union a voté une clause présentée comme instaurant une conditionnalité du versement des aides européennes au respect de l’état de droit. Le texte de juillet laisse pourtant perplexe : « Les intérêts financiers de l’Union seront protégés conformément aux principes généraux inscrits dans les traités de l’Union, en particulier les valeurs énoncées à l’article 2 du TUE. Le Conseil européen souligne par ailleurs l’importance que revêt le respect de l’état de droit. Compte tenu de ce qui précède, un régime de conditionnalité visant à protéger le budget et Next generation UE (à savoir l’outil mis en place pour gérer les fonds du plan de relance) sera introduit ». On a connu des phrases plus limpides. Nul engagement ferme ici, contrairement à ce qui a été dit.

Il n’est donc pas étonnant que la Hongrie et la Pologne, qui ne se sont pas élevées contre le texte de juillet, se mobilisent aujourd’hui quand les choses deviennent sérieuses et bloquent l’adoption du budget pluriannuel 2021-2027 pour parvenir à leurs fins, l’abandon de toute conditionnalité des aides. Le débat va se solder, soit par des négociations qui aboutiront à un texte disant tout et son contraire, soit par le raidissement des chefs d’Etat excédés que certains pays profitent de l’Europe tout en l’insultant et en foulant aux pieds ses valeurs. Dans ce cas, il serait possible de décider que, au final, le plan ne s’appliquerait qu’aux pays qui acceptent la conditionnalité, comme c’est le cas de certaines décisions antérieures. La dernière solution est la plus souhaitable, mais la première est la plus probable.