Prévention des risques professionnels : l’étiolement d’une réforme essentielle

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Prévention des risques professionnels : l’étiolement d’une réforme essentielle

En 2018,  le Premier ministre a demandé à une députée, C. Lecocq, de réfléchir sur l’amélioration de la prévention des risques professionnels : l’objectif était de mieux mesurer les résultats obtenus en ce domaine et de les améliorer, car ils n’apparaissaient pas satisfaisant. Le constat contenu dans la lettre de mission soulignait l’excessive complexité des dispositifs existants et la multiplicité des organismes responsables, avec des carences en termes de coordination. Le rapport remis en juillet 2018, intitulé France Santé Travail, proposait une révolution institutionnelle : partant du constat selon lequel le système actuel n’est pas lisible et, de ce fait, mal compris, surtout des TPE et PME, le rapport proposait la création d’une entité unique spécifiquement chargée de la prévention des risques professionnels et dotée de structures régionales.  On y aurait retrouvé, au niveau national, les agences qui travaillent sur l’amélioration des conditions de travail et, au niveau régional, le regroupement des agents des CARSAT aujourd’hui affectés à la prévention des AT/MP ainsi que les services de santé au travail placés auprès des entreprises. Le rapport proposait l’institution d’une cotisation unique de prévention (un effort financier devrait être fait pour que la prévention se développe) et d’un guichet unique en ce domaine.  L’offre de services aux entreprises devait être accessible et homogène et couvrir le suivi individuel de certains salariés, le maintien en emploi des salariés victimes d’un accident ou d’une maladie, le conseil en prévention et la formation. Ces propositions étaient simples , lisibles, structurantes.

Que devient ce projet ambitieux deux ans et demi après ? Il a été demandé aux partenaires sociaux d’engager une négociation sur l’amélioration de la prévention des risques professionnels. Après des délais interminables, un accord national interprofessionnel (ANI) sur la santé au travail a été signé en décembre 2020 qui devrait être transcrit dans la loi début 2021.

On peine à y trouver les quelques mesures concrètes qui y figurent, tant elles sont noyées dans une logorrhée ampoulée, habituelle, il est vrai, dans de tels documents. A toutes les pages, la prévention des risques professionnels est encensée, c’est bien le moins. Les conséquences pratiques de cette apologie sont minces : la traçabilité des conséquences d’une exposition aux risques chimiques est améliorée puisqu’elle se poursuivra pour les salariés quittant l’entreprise, tout au long de leur vie ; la formation des salariés et des élus du personnel à la prévention des risques professionnels est améliorée ; les risques psycho-sociaux sont mentionnés et mieux décrits ; une cellule est créée au sein des services de santé au travail pour pallier les risques de désinsertion professionnelle, jusqu’ici insuffisamment traités ; les services de santé au travail nommeront des médecins généralistes « correspondants » pour réaliser certains actes : il est vrai que ce qui est présenté comme un rapprochement entre les spécialistes de la santé au travail et la médecine de ville est en fait une gestion de la pénurie ;  enfin, sur le point essentiel de la dispersion des efforts et de leur faible lisibilité, une cellule sera en charge de coordonner les acteurs de prévention sur un même territoire : le choix n’est pas de passer à une autre logique d’organisation mais de créer une nouvelle strate pour coordonner les autres, solution médiocre dès lors que chaque structure suit prioritairement sa propre logique. Enfin un cahier des charges est défini pour les services de santé au travail : pour autant, quand un service manque de moyens et de compétences, comme c’est le cas pour de tels services faute de médecins du travail en nombre suffisant, lui imposer un cahier des charges, c’est un emplâtre sur une jambe de bois.

L’on ne peut être opposé aux améliorations obtenues. Pour autant, elles sont ponctuelles. Tout ça pour ça…Tout ça pour ne pas s’attaquer aux carences actuelles de la prévention, pour ne pas réorganiser un système dont on sait qu’il n’est pas performant, pour maintenir le statu quo en l’améliorant sur quelques marges. Ont joué dans ce choix le souci des patrons de garder la main sur les services de santé au travail, le souci des syndicalistes de maintenir tels quels les organismes de sécurité sociale qu’ils codirigent et le refus de tous de réfléchir sur le fond du problème. Ou comment et pourquoi on ne réforme pas…