Réforme de l’Education prioritaire : à suivre de près

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Réforme de l’Education prioritaire : à suivre de près

Le ministre de l’Éducation nationale n’a jamais caché son ambition de réformer l’Éducation prioritaire, qui repose, jusqu’à aujourd’hui, sur une politique nationale de réduction des écarts de réussite scolaire liés à l’origine sociale des élèves. Le choix des écoles et collèges qui relèvent de cette politique se fait actuellement sur des critères qui allient revenus des familles, pourcentage d’élèves boursiers et d’élèves en retard et proximité avec un quartier prioritaire de la politique de la ville. Ces critères permettent de différencier deux types de réseaux (écoles et collège), les REP et les REP +, ces derniers étant particulièrement défavorisés. Les établissements bénéficient d’aides et de moyens supplémentaires, réduction du nombre d’élèves, rémunération supplémentaire des enseignants sous forme de prime, droit de ceux-ci à un avancement accéléré et accès à une formation, augmentation de la dotation horaire permettant des pratiques pédagogiques différentes et un travail en équipe, dotation plus importante également de personnels non enseignants, financement d’actions éducatives spécifiques.

En 2018, la Cour des comptes a dressé un bilan sévère des résultats obtenus par cette politique, qui concerne 20 % des élèves et coûte 1,4 Mds : les effets sont très faibles et, selon les disciplines, les écarts au collège avec les autres établissements restent de 20 à 35 %, soit bien au-dessus des résultats attendus. Les moyens alloués sont insuffisants, la stabilité des équipes enseignantes n’est pas assurée, le pilotage local insuffisant. La Cour proposait déjà alors de donner davantage d’autonomie aux établissements, de mieux aider les établissements les plus en difficulté (le réseau REP +) mais aussi de prendre en charge les élèves répondant à certains critères scolarisés en dehors des réseaux actuels REP, en modulant davantage les aides entre établissements, ce qui éviterait les effets négatifs de la labellisation REP et les effets de seuil entre établissement relevant de l’EP et les autres.

Le rapport Mathiot Azema publié en novembre 2019 sur la réforme de l’Éducation prioritaire reprend ces propositions : il propose de maintenir les établissements du réseau REP + qui accueillent une population qui en a sans conteste besoin. En revanche, pour éviter le caractère binaire de l’attribution (ou pas) de l’étiquette REP, il propose de remplacer le réseau REP, qui couvre parfois des établissements qui n’en ont pas besoin et néglige des zones qu’il devrait intégrer (petites villes en déclin, zones rurales éloignées), par un « réseau de priorité académique » défini au niveau régional et local en fonction des difficultés constatées. De fait, le constat de la grande hétérogénéité du réseau REP et, surtout, celui selon lequel 70 % des élèves défavorisés sont scolarisés hors Éducation prioritaire invitent à mettre plus de souplesse dans le dispositif.

Le Ministère annonce aujourd’hui, en décembre 2020, une expérimentation dans 3 Académies mettant en place cette réforme à la rentrée 2021. Dans ces Académies, les réseaux REP et REP + ne seraient pas modifiés, au moins provisoirement pour ces derniers : leur avenir est examiné dans le cadre d’un « Grenelle de l’Éducation » en cours et d’éventuelles mesures pourraient être mises en œuvre à la rentrée 2022.

A la rentrée 2021, serait mis en place, au bénéfice, semble-t-il d’établissements ne relevant pas de l’Éducation prioritaire, lycées professionnels, écoles dites orphelines (rattachées à un collège ne relevant pas de l’EP) mais aussi collèges et écoles rurales, un contrat local d’accompagnement de 3 ans leur accordant certaines aides. Les critères seraient nationaux (critères sociaux mais aussi critères d’isolement) ou locaux, définis alors par les recteurs (climat scolaire, taux de décrochage, éloignements de certains équipements…).

Dans cette présentation, tout est flou, comme en témoigne l’audition de la secrétaire d’Etat chargée de l’Éducation prioritaire devant la Commission de l’Éducation du Sénat en décembre 2020 : les critères de choix, les moyens accordés lors de l’expérimentation (l’on ne sait si le coût en sera pris ou non sur les crédits actuels de l’EP), les établissements intégrés (les établissements catholiques en feraient partie, sans certitude).  L’on ne sait même pas si des établissements du réseau REP seront intégrés dans l’expérimentation, alors que la réforme est censée les concerner à terme. Il semble que non…L’on ne comprend pas bien non plus le calendrier de l’expérimentation, puisque le contrat d’accompagnement local est censé durer 3 ans mais que l’évaluation sera faite au printemps 2022, soit très rapidement.

Sans doute la réponse à ces questions sera-t-elle précisée plus tard mais la réforme, engagée pourtant depuis plusieurs années, avance extrêmement lentement. Or, la question des efforts à faire pour réduire les écarts sociaux dans l’Éducation est urgente depuis des années.

L’on ne peut être hostile à la déconcentration des politiques publiques et à la prise en compte par les autorités locales des spécificités des établissements. Reste que ce n’est pas la culture de l’administration française (encore moins celle de l’Éducation nationale) et que le passage de l’application mécanique de critères nationaux à une évaluation locale des difficultés et à la définition de réponses adaptées sera difficile : il ne faudra pas pour autant manquer à l’équité, pas non plus trop élargir les objectifs, qui devront rester centrés sur les écarts de réussite scolaire, enfin travailler avec les établissements pour moduler les aides et choisir les actions les plus efficaces. Quel sort sera fait aux établissements défavorisés relevant du réseau REP ?  Les aides données au réseau REP + seront-elles améliorées ? L’on ne sait. A suivre donc, mais de près.