L’impossible prévention des pandémies

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L’impossible prévention des pandémies

L’Organisation mondiale de la santé a, c’est son rôle, recherché depuis des mois quelle était l’origine précise de la pandémie de Covid-19. Dès le 26 mars 2020, elle a publié une note de synthèse, notant que le coronavirus concerné était présent chez des chauve-souris d’une espèce dite « fer à cheval » et qu’il était génétiquement proche du coronavirus responsable, en  2003, de l’épidémie de SRAS, lui aussi présent chez les mêmes chauve-souris. La note juge que le passage de l’animal a l’homme a eu lieu au dernier trimestre 2019, à un moment précis, notant également qu’une part importante des personnes contaminées au départ avaient fréquenté le marché de Wuhan qui vendait, à l’époque, à la fois des animaux sauvages et domestiques. Tout suggère, selon la note, une origine animale mais le traçage précis de l’infection, qui, dans les autres zoonoses, a toujours utilisé un hôte intermédiaire, civette, pangolin  ou volaille, n’est pas établi. Les experts de l’OMS ont donc souhaité conduire une mission en Chine pour identifier la chaine d’infection.

Pour avoir des chances de réussir, cette mission aurait dû avoir lieu très tôt après le départ de l’épidémie : or la première délégation de l’OMS qui s’est rendue en Chine en février 2019 n’a pu enquêter. Ensuite, la Chine a repoussé l’enquête sous divers prétextes, puis ergoté sur la composition de la délégation et imposé des noms. Elle a exigé que les investigations de l’OMS se fondent sur les informations existantes qu’elle mettra à disposition, exigence peu respectueuse de l’indépendance scientifique. La mission est actuellement en Chine mais il est douteux qu’elle parvienne à des résultats. Faible devant la Chine, l’OMS ne pouvait guère attendre l’appui de la communauté internationale qui, hormis les chercheurs, n’a cure d’une étude de ce type.

Améliorer la connaissance sur l’origine de la pandémie  

Sur le plan scientifique, l’on comprend l’intérêt qu’il y a à comprendre de manière précise comment le coronavirus présent dans des animaux sauvages « réservoirs », telles les chauve-souris, a pu se transmettre à l’homme. Certes, l’hypothèse privilégiée reste une transmission par l’entremise d’un hôte à la fois proche des hommes et en contact prolongé avec l’animal réservoir, singe, civette ou oiseau. Tous les scientifiques qui racontent l’histoire des maladies infectieuses émergentes, tel Arnaud Fontanet dans son cours au Collège de France de 2019, présentent ce schéma comme solidement établi, que ce soit dans le cas du SIDA, de la fièvre d’Ebola, du SRAS de 2003 ou du MERS-COV d’Arabie Saoudite en 2012-2013. Pour autant, il faudrait, pour le valider dans le cas précis du coronavirus de 2019, retrouver, chez un animal susceptible d’avoir joué ce rôle relais entre l’homme et les chauve-souris, un virus qui soit le proche parent de celui retrouvé chez les humains. Il faudrait également étudier le point de départ et les conditions de la contamination, qui n’a peut-être pas eu lieu à Wuhan. Les données chinoises  affirment que des virus ont été retrouvés sur les étals du marché mais pas chez les animaux qui y étaient vendus. De plus,  les soupçons un temps entretenus sur les pangolins ont été infirmés : les données mentionnant leur contamination au SARS-CoV2 concernent des pangolins saisis à la frontière de la Chine à 1000 km de Wuhan et qui n’y sont pas entrés. En outre, la zone de vie du pangolin ne recouvre pas celle des chauve-souris fer à cheval. Reste l’hypothèse du vison, qui reste à valider.

Il est également important de savoir si le coronavirus est apparu pour la première fois en 2019 ou s’il a déjà provoqué de brèves flambées infectieuses. La revue Nature a publié en février 2020 une étude du laboratoire de virologie de Wuhan rapprochant le SARS-COV 2 d’un autre virus prélevé sur des chauve-souris fer à cheval dans le Yunnan. Au même moment, les réseaux sociaux ont redécouvert la maladie de 6 mineurs chinois dans le Yunnan en 2013, avec des atteintes pulmonaires qui auraient été identiques à celles notées lors de la COVID-19. La maladie aurait donc pu circuler à bas bruit, là ou ailleurs, pendant des mois, sinon des années, avant de flamber à Wuhan, ce qui, selon les spécialistes, expliquerait la grande stabilité du virus les premiers mois de l’épidémie puisqu’il était déjà adapté à l’homme. Il est légitime que l’OMS tente de répondre à ces interrogations.

L’établissement de la vérité : un intérêt géostratégique et de santé publique 

 Si l’OMS réussissait à établir ce qui s’est passé, la connaissance scientifique y gagnerait mais pas seulement. En premier lieu, la Chine serait dissuadée de répandre des hypothèses fantaisistes sur l’origine de l’épidémie : le virus aurait été importé par des militaires américains qui ont séjourné à Wuhan à l’automne 2019 ou par des produits surgelés, et l’apparition de l’épidémie aurait été simultanée dans plusieurs régions de Chine, ce qui sous-entend une intention malveillante.

L’on a pu mesurer avec la présidence Trump les dégâts causés par l’instrumentalisation de la science par la politique : certes la méthode est ancienne et la Russie soviétique hier comme le Brésil actuel en sont des adeptes. Mais le mal s’amplifie si le mépris des vérités scientifiques s’accompagne, comme aujourd’hui,  d’explications complotistes. Les réseaux sociaux en effet les crédibilisent, les peuples y trouvent une explication simple à leurs malheurs, le repli sur la nation ou la communauté d’appartenance en est pleinement légitimé et la bonne gestion des crises passe au second plan, car elle implique, au lieu d’accuser des ennemis, de reconnaître ses erreurs et d’assumer ses décisions.

L’établissement de la vérité sur l’origine de la COVID-19 mettrait également fin à des soupçons latents dont certains scientifiques se font l’écho, avec, il est vrai, prudence, en tout cas sans certitude (cf. l’enquête de France Culture du 14/01/2020 « L’OMS percera-t-elle le mystère de l’origine du virus ? »). Il ne serait pas exclu que le laboratoire P4 de Wuhan ait réussi à mettre en culture le virus, peut-être celui trouvé dans le Yunnan en 2013, ou à le reconstituer pour étudier sa capacité à infecter d’autres cellules que celles de son hôte réservoir. Si, par négligence, il y avait eu un « accident » permettant la libération du virus, cela expliquerait que l’on ne trouve pas l’animal qui a joué le rôle de relais amplificateur. Il est vrai que l’hypothèse est peu probable, parce que le virus s’est avéré plutôt stable pendant les 6 premiers mois de l’épidémie, et parce que les laboratoires ne travaillent pas en général sur des virus entiers et vivants. Mais mieux vaudrait lever le doute.

De plus, si l’OMS reconstituait le calendrier des premières contaminations, la question de l’insuffisante vigilance de la Chine pourrait être ouvertement posée : la mise en accusation par les autorités publiques chinoises, début janvier 2019, de médecins de Wuhan qui avaient annoncé publiquement l’arrivée un nouveau SRAS montre que les autorités chinoises ont au départ refusé de voir et refusé de prévenir, ce qui a retardé les mesures qui auraient pu ralentir la propagation des infections. Si, de plus, il s’avère que la Chine a négligé de signaler des cas antérieurs datant de 2013, elle porte une lourde responsabilité dans l’expansion de la pandémie. Les autres pays ne seraient pas pour autant exonérés de toute responsabilité : la France a ainsi, comme le souligne le rapport de l’Assemblée nationale sur l’impact, la gestion et les conséquences de l’épidémie de COVID-19, perçu dès janvier 2020 les signaux faibles du début de la pandémie. Le diagnostic de l’arrivée d’une crise sanitaire potentiellement grave a été posé le 26 janvier 2020 par Santé publique France. Pour autant, à part les indispensables commandes de masques, aucune décision essentielle n’est prise, malgré une situation italienne dramatique aux frontières. Les premières mesures fortes ne datent que de mi-mars, et encore sont-elles prises en urgence. L’incapacité à voir l’arrivée d’une crise n’est pas propre aux régimes totalitaires…

Or, ces crises sanitaires vont se répéter : les coronavirus ont attaqué l’homme trois fois depuis 20 ans. Les virus de la grippe se sont depuis 100 ans plusieurs fois recombinés avec des virus animaux et deviennent plus agressifs. Arnaud Fontanet, cité supra, note que dans la période récente une crise infectieuse plus ou moins grave a eu lieu tous les 5 ans.  L’enquête de l’OMS est cruciale pour que la prévention des nouvelles crises doit mieux coordonnée.

 Surtout, s’attaquer aux causes profondes de la pandémie

 En avril et mai 2020, après la sidération de la pandémie et du confinement, les débats d’idées ont fusé : en France, ils ont porté sur l’impréparation du pays et le pilotage des services publics, en particulier la santé ;  sur le rôle des pouvoirs publics, du crédit et de la dette dans le soutien à l’activité économique ; sur l’accroissement des inégalités sociales lié au confinement et les écarts de mortalité ; sur l’importance de l’école pour les enfants ; sur la  recherche d’un meilleur équilibre entre protection de la santé publique, respects des libertés individuelles et maintien de l’activité économique ; sur le rapatriement de certaines activités stratégiques pour la sécurité du pays, fabrication des médicaments ou des masques ; enfin, sur les exigences à formuler, dans le plan de relance, pour une économie plus verte. Nombre de ces débats ont été jusqu’à maintenant peu productifs : mais ils ont eu lieu.

A l’époque, dans le foisonnement des analyses, des virologues, des biologistes et des épidémiologistes ont souligné le rôle des activités humaines dans le développement des maladies infectieuses émergentes. Il nous faut inventer, disaient-ils, une autre relation avec la nature : évitons de mettre à mal, par la déforestation ou la chasse, l’écologie d’espèces qui sont des réservoirs de virus inconnus et potentiellement dangereux; interdisons le commerce international d’animaux sauvages ; veillons aux facteurs qui risquent d’aggraver les pandémies, concentrations humaines excessives et élevages intensifs de volailles ou de bétail et réduisons la multiplicité vibrionnaire de nos déplacements. Dans sa conférence au Collège de France citée ci-dessus, l’épidémiologiste Arnaud Fontanet souligne les risques qui menacent le monde : certaines épidémies nées en Afrique ont gagné ensuite la planète entière (le SIDA) et, même si des épidémies à forte létalité sont encore contenues sur certaines zones (ainsi la fièvre jaune, cantonnée à l’Afrique), leurs vecteurs (certains moustiques) gagnent l’Europe.

Or, la durée de la crise de la COVID-19 empêche aujourd’hui les pays et les sociétés touchés de se projeter sur l’avenir, au-delà de la vaccination. Depuis la fin de l’été et la conviction que la crise va durer encore des mois, nos sociétés se recroquevillent sur elles-mêmes et vivent sur le court terme. Nous ne préparons pas la prochaine crise sanitaire et, à vrai dire, le sujet n’est même pas évoqué.

Resterait, pour ce faire, des obstacles à dominer : s’il est vrai que, depuis quelques décennies, la préoccupation écologique a renforcé la valeur de la parole scientifique, les dirigeants refusent de lui être subordonnés. L’action politique comporte certes d’autres dimensions mais les scientifiques ne doivent plus rester aux marges des décisions publiques.

L’on mesure en outre la résistance des milieux agricoles à l’interdiction des élevages intensifs et la difficulté de protéger la biodiversité.

Enfin et surtout, la dimension internationale de ces crises est décourageante. C’est prioritairement en Afrique, en Amérique latine, en Asie qu’il faut protéger l’environnement. Or, nous manquons d’institutions internationales et d’outils pour mener cette action. L’OMS pourrait nous en faire prendre conscience mais sa faiblesse est pathétique. Qui en parle, que quelques tribunes isolées ?

Pergama, le 27 janvier 2021