Concours réservés : la préférence pour l’inégalité?

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Concours réservés : la préférence pour l’inégalité?

Le Président de la République souhaite compléter le vote de la loi confortant le respect des principes de la République, qui s’attaque à « l’islamisme » sans se préoccuper des causes de son apparition dans la société française,  par des mesures d’égalité des chances. Comme tous ses prédécesseurs, il a cherché à « relancer l’ascenseur social », en ouvrant davantage la fonction publique aux jeunes issus de catégories sociales défavorisées. Le projet est d’ouvrir des concours réservés, sur critères sociaux, pour l’accession à 6 écoles de la haute fonction publique, ENA, INET (administrateurs territoriaux) ou École des hautes études en santé publique.

La préoccupation est ancienne : la conception d’une fonction publique qui favoriserait l’ascension sociale a conduit en 2005 à l’institution du PACTE (parcours d’accès aux carrières de la fonction publique territoriale, hospitalière et de l’Etat), qui permet à̀ des jeunes de faible qualification d’accéder sans concours à des emplois de catégorie C, après un contrat en alternance. Le succès a été très modeste et très peu de candidats sont recrutés par cette voie. A partir de 2006, l’institution de classes préparatoires intégrées (CPI) dans toutes les écoles de service public, pour préparer aux concours de catégorie A, est allée dans le même sens : la volonté́ est d’aider des étudiants modestes, choisis sur critères sociaux, en leur accordant un soutien pédagogique spécifique et une aide financière. L’ambition est plus large et le succès a été meilleur : chaque année, quelques centaines  d’élèves de « classes CPI » intègrent par cette voie la fonction publique. La loi du 27 janvier 2017 a, de même, généralisé les concours d’accès dits « de troisième voie », qui complètent, depuis 1981, les traditionnels concours externes (ouverts aux étudiants) et internes (ouverts aux fonctionnaires d’un corps inférieur) et qui sont réservés aux candidats ayant travaillé dans le secteur privé  ou ayant eu un mandat d’élu ou de responsable associatif.

Chaque fois, la mesure a voulu retrouver la vocation originelle de la fonction publique : souvenir d’une IIIe République mythifiée, celle-ci a longtemps été présentée comme ayant permis à des personnes modestes, sur critères de mérite, de progresser socialement, voire d’accéder à des emplois supérieurs. Cette ambition a été par la suite complétée par une volonté d’ouverture à des profils différents (les troisièmes concours en 1981) ou à des cultures différentes (les CPI de 2006 sont choisis sur critères sociaux mais les candidats qui viennent des « quartiers » sont privilégiés). Cette volonté de diversification (la fonction publique serait un monde trop fermé, endogène, insuffisamment au fait des évolutions de la société) se double alors d’un objectif de « discrimination positive », qui entend compenser des handicaps liés à l’origine sociale.

Pour autant, pour que ces voies d’accès soient effectivement utilisées, il faut veiller aux modes de sélection : les CPIstes ont du mal à entrer à l’ENA et ce n’est pas totalement de leur fait. Dans les écoles de la haute fonction publique, même quand les épreuves de culture générale ont été supprimées, la connivence sociale reste importante et certaines qualités (modération, prudence, balancement des arguments, maîtrise de toute spontanéité) sont excessivement valorisées, au détriment de l’énergie, de l’enthousiasme, de la conviction. Réserver des voies d’accès particulière est alors une bonne réponse.

Que penser de la mesure prévue aujourd’hui ? Du bien, sans hésitation, d’autant qu’en l’occurrence elle se double d’un soutien à la préparation et d’une amélioration de l’aide financière accordée jusqu’alors aux CPI. De plus, la mesure demande un investissement important aux candidats, qui sont loin de profiter simplement d’un quota.  Il existe sans doute encore des théoriciens traditionnels de la « méritocratie » qui s’y opposeront,  convaincus qu’ils sont que tous les individus doivent être traités de manière uniforme, sans tenir compte, de leur appartenance ethnoculturelle ou de leur sexe. Mais ils se raréfient et c’est tant mieux.

Les vraies interrogations sont ailleurs. La discrimination positive mise en place en France n’a pas d’efficacité : la politique des ZEP, la politique de la ville, la politique des quotas pour les femmes ou les handicapés ont amélioré certaines situations mais n’ont pas réellement changé les choses. Il est vrai que l’Éducation prioritaire échoue parce qu’elle n’a pas disposé de suffisamment de moyens ni suffisamment axé ses efforts sur la pédagogie et les apprentissages. Sur la politique de la ville, certains sociologues pensent qu’il vaudrait mieux aider les habitants à « sortir du ghetto » plutôt qu’aider les territoires. Ils pensent aussi parfois (tel le sociologue Renaud Epstein) que les habitants ont moins besoin d’aides financières que de « considération » et de pouvoir « prendre en main leur vie » (« empowerment »), se retrouver décideur et non assisté.

Quant aux mesures de discrimination positive concernant les étudiants (classes de CPI ou élèves boursiers admis en grandes écoles), la solution est vraiment d’ampleur trop limitée. Le vrai problème est-il d’admettre quelques élèves dans des écoles à effectifs restreints ou de se préoccuper des dizaines de milliers d’autres issus de catégories encore moins favorisées ou moins informées qui se retrouvent dans des voies de garage, mal orientés et insuffisamment suivis ? La voie la plus efficace pour développer les boursiers dans les grandes écoles ne serait-elle pas de développer et de requalifier la voie technologique avec des passerelles vers des classes préparatoires ? Peut-on laisser tel quel l’enseignement universitaire, qui devrait prioritairement avoir cette vocation de promotion sociale et qui reste en déshérence, et ne s’intéresser qu’aux écoles sélectives ? Avec de telles mesures, l’on est dans le soupçon (la certitude ?) de mesures d’affichage, utiles à quelques-uns mais au final, compte tenu de l’ampleur des inégalités entre jeunes, quelque peu dérisoires et manipulatrices.