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Openlux: la presse peut-elle réveiller l’Union?

Le Monde a publié cette semaine les résultats d’une enquête réalisée avec 16 autres médias internationaux sur les activités financières du Grand-duché du Luxembourg. L’enquête a été réalisée sur la base de documents publics, le registre du commerce et des sociétés et le registre des bénéficiaires effectifs qui doit, aux termes de la réglementation européenne, répertorier les « bénéficiaires ultimes » de ces sociétés.

Il ressort de cette enquête des faits très inquiétants : 124 000 sociétés commerciales sont immatriculées au Luxembourg, dont la très grande majorité (90 %) ne sont pas contrôlées par des luxembourgeois. Parmi elles, près de la moitié (55 000) sont des holdings financières « offshore »,  sans bureaux ni salariés, qui possèdent 85 % des actifs des entreprises luxembourgeoises, soit plus de 6500 Mds. Cet argent représente essentiellement des participations financières détenues dans d’autres entreprises situées dans le monde entier. Des centaines de multinationales ont ainsi une filiale au Luxembourg, pas toujours répertoriée dans les documents officiels. Certaines de ces sociétés gèrent en outre de l’agent sale, qui vient de la mafia ou de la pègre russe. De plus, plus de la moitié des sociétés installées au Luxembourg n’ont pas de bénéficiaire effectif identifiable, en violation des règles de transparence européenne.

Des centaines d’artistes, de familles aisées, de sportifs et d’hommes politiques placent donc leur argent au Luxembourg. 15 000 Français possèdent des sociétés au Luxembourg, dont  56 % résident en France : le total des actifs français atteint 100 Mds. Des fonds d’investissement utilisent les sociétés basées au Luxembourg pour acheter des biens immobiliers prestigieux.

Pourquoi le Luxembourg est-il si attractif ? Essentiellement pour des raisons fiscales :  la fiscalité est basse voire inexistante et de plus, certains investisseurs bénéficient de régimes fiscaux préférentiels. Ainsi, la vente d’une participation située dans une holding au Luxembourg n’est pas taxée et les profits tirés des investissements ne le sont pas non plus tant qu’ils restent au Luxembourg. Sont exonérées également les successions en ligne directe des personnes qui deviennent résidents luxembourgeois.

En principe, pour les résidents français, la création d’une société luxembourgeoise ne serait légale que si celle-ci avait une activité réelle et concrète au Luxembourg. Dès lors que la société est une coquille vide sans lien autre que financier avec son propriétaire, le fisc considère qu’il y a fraude. Mais cette règle ne semble pas s’appliquer quand le ressortissant français prend une participation dans une holding financière qui permet d’investir dans d’autres entreprises parce qu’il est difficile de considérer que cette activité n’est pas concrète.

Le Luxembourg attire donc l’argent parce qu’il est un des plus grands paradis fiscaux dans le monde. Sur le plan moral, sur le plan politique, l’on mesure bien le caractère scandaleux des pratiques révélées : des entreprises ou des familles utilisent la compétence d’avocats et de financiers pour échapper à l’impôt alors que les entreprises ou ménages modestes le supportent. Cela accroît les inégalités et nourrit un sentiment d’injustice.

Le seul point qui reste insuffisamment clair dans l’enquête est la ligne de partage entre l’optimisation fiscale et la fraude délibérée, afin que les mesures de lutte puissent être prises. L’on mesure mal dans quelle mesure le fisc devrait ou pourrait s’intéresser à certains comptes.

Au final, ce qui est surtout gênant, c’est la relative indifférence qu’a suscitée l’enquête. L’Europe ne se soucie guère aujourd’hui des paradis fiscaux qui prospèrent en son sein et méconnaît l’amertume que suscite cette situation. La justice fiscale est pourtant une des conditions de la cohésion nationale. Proclamer son attachement à une Europe des valeurs et tolérer un tel paradis fiscal, ce n’est pas compatible. Que fait l’Union?