Politique du logement : depuis 2017, ni vision, ni choix

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Politique du logement : depuis 2017, ni vision, ni choix

La parution du rapport de la Fondation Abbé Pierre (L’état du mal logement en France, 2021 »)  est, en ce début d’année, l’occasion de faire un bilan : bilan de l’impact de la crise sanitaire sur les mal-logés, bilan de l’offre de logements neufs mais aussi bilan plus global de la politique du logement. Ce rapport n’est pas, en effet, à tonalité seulement « caritative». Certes, il abonde en exemples douloureux : basculement dans la précarité de personnes jusqu’alors protégées ou accentuation des difficultés des mal-logés ; engorgement des dispositifs d’hébergement ; inadéquation des réponses : pas de RSA pour les moins de 25 ans et un dispositif DALO (droit au logement opposable) qui s’applique vraiment mal ; arbitraire des pratiques préfectorales ou policières, qu’il s’agisse des exilés harcelés ou de la prévention des expulsions, sachant, il est vrai, que les consignes ministérielles, en ce dernier domaine, n’ont pas été suffisamment impérieuses.

Pour autant, le rapport dépasse ces thèmes : il est critique à l’égard des choix gouvernementaux dans le domaine du logement, social ou privé. Il regrette les faiblesses du plan en faveur du « logement d’abord » au bénéfice des personnes sans domicile fixe et celles du volet logement du plan de relance. Il dresse donc un bilan des conséquences de la crise mais aussi, plus largement, des choix effectués depuis 2017 qui en amplifient les effets, dans un domaine pourtant majeur pour l’économie et pour la lutte contre la pauvreté.

Une crise de l’offre, conjoncturelle ou durable ?

Pour 2020, les constats sont incontestables : le « stat info » du ministère de la transition écologique de janvier 2021 confirme la baisse de la construction de logements. Loin du seuil des 500 000 logements annuels souvent présenté comme correspondant aux besoins du pays, 381 000 constructions ont été autorisées en 2020 (-15 % par rapport à l’année précédente) et 376 000 mis en chantier (- 7 %). La baisse, qui concerne toutes les régions, impacte le logement privé comme le logement social. Dans ce dernier secteur, alors que le Pacte d’investissement signé en avril 2019 entre l’Etat, la CDC, les organismes HLM et Action logement prévoyait annuellement la construction de 110 000 logements sociaux, il manquera 10 000 à 20 000 constructions nouvelles en 2020.

La baisse n’est-elle imputable qu’à la crise sanitaire et au fait que 2020 a été une année de renouvellement des équipes municipales et de réexamen des projets ? Autrement dit, la baisse est-elle ponctuelle ? Les acteurs du secteur craignent que les élus soient de moins en moins favorables à la densification de leurs villes et donc aux programmes neufs qui, pour l’essentiel, contribuent à une extension de la tache urbaine. S’agissant plus particulièrement du secteur social, ces réticences se cumulent avec d’autres facteurs : restrictions financières imposées aux organismes HLM par l’Etat, et absence, surtout, d’un discours politique fort favorable au logement social. De fait, la baisse 2020 des logements sociaux financés s’inscrit dans une tendance enclenchée dès 2017 : de 122 600 logements en 2016, l’on est passé en 2019 à 105 400 (Source : bilan 2019 des logements aidés, ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires). La crise de 2020 n’est pas seule en cause.

Quoi qu’il en soit, la ministre du logement s’est engagée sur un nouvel accord avec les organismes HLM pour que 250 000 logements sociaux soient financés dans les deux ans.

Tenue ou non, cette promesse est apaisante. Les responsables politiques veulent atteindre des objectifs quantifiés de constructions neuves  : ils pensent que cette politique permettra de résorber la « file d’attente » des demandeurs de logement social : le rapport de la Fondation Abbé Pierre montre que celle-ci est passée, entre 2001 et 2019, de 1 à 2,2 millions de ménages. Parmi ces demandes, 1,4 million n’émanent pas de personnes déjà logées dans le parc social et 50 % ne sont pas satisfaites depuis plus d’un an. En Ile de France, les délais d’obtention d’un logement social atteignent 3 ans. Construire apparaît donc un moyen de sortir de la crise, même si le parc social en France est un des plus développés d’Europe.

Pourtant, la question est loin de n’être que quantitative et peut-être même s’agit-il d’un contresens que de le penser.

Des questions structurelles jamais résolues

La crise du logement en France est de très longue date : elle n’a pas cédé à l’effort indéniable de construction de logements, sociaux ou pas, entrepris depuis 15 ans. De fait, le pays ne manque pas de logements.  Mais il manque de logements accessibles.

L’offre nouvelle n’est pas adaptée à la demande : les constructions financées par des prêts très aidés, accessibles aux personnes modestes qui représentent la majeure partie de la  demande de la file active, n’en représentent, depuis des années, qu’un pourcentage limité (28,4 % de 2010 à 2019 selon le Bilan 2019 des logements aidés du Ministère en charge du logement). De plus, pendant cette même période, seuls 40 % des logement sociaux ont été construits dans les zones A et A Bis du territoire où le marché du logement est tendu. Si l’on croise ces deux indicateurs, en 2019, 13 % seulement des logements sociaux construits ont été réservés aux personnes modestes en zone tendue…Même si les choix officiels sont désormais de recentrer l’offre sur de telles zones, toutes les régions bénéficient peu ou prou de l’effort de construction sociale neuve et, surtout, une proportion importante de la population peut avoir accès au logement social : 60 % si l’on s’en tient aux logements les plus courants, 77 % si l’on intègre les logements sociaux financés par les PLS, prêts locatifs sociaux, qui admettent un seuil de ressources relativement élevé. L’étiquette « logement social » est large, couvrant une offre hétérogène à la qualité très inégale et aux loyers dispersés et qui ne répond pas aux urgences constatées.

Cette analyse par l’accessibilité financière est d’autant plus importante que le marché du logement est soumis à de très fortes inégalités territoriales de prix : le ministère a publié en 2020 la carte des loyers par communes, qui montre un écart allant de 5,4 à 31 euros au M2. Or, quand le logement du secteur privé devient inabordable, comme il l’est devenu en zones tendues (région parisienne, Côte d’azur ou grandes métropoles), la demande se reporte massivement sur le secteur social. La pression sur ce secteur s’amplifie alors d’autant plus que, compte tenu de l’avantage relatif fort que représente un loyer social, le taux de rotation y fléchit : il est sans doute inférieur à 8 % aujourd’hui et à 5 % en Ile de France alors que, dans le secteur privé, il atteint 25 %.

Cette situation a de graves conséquences : l’accès au logement social est une foire d’empoigne où les concurrents qui en ont le moins besoin sont ceux qui ont le plus de chances d’y parvenir et où ceux qui en ont un besoin crucial (personnes mal logées ou SDF, jeunes, ménages très modestes) ne le peuvent pas.

Certes depuis quelques années, les pouvoirs publics ont encadré les décisions d’attribution : mais le dispositif de cotation des demandes en fonction de critères définis par les textes défini par la loi Elan du 23 novembre 2018 ne sera obligatoire que fin 2021 ; quant aux dispositions de la loi « Egalité et citoyenneté́ » de 2017 qui imposent des quotas de relogement (25 %) pour les bénéficiaires  DALO et les demandeurs les plus modestes en dehors des quartiers prioritaires, elles ne sont pas respectées[1]. Un rapport de juin 2020 établi par des associations et des universitaires (« Les difficultés d’accès au logement social des ménages à faibles ressources ») montre que, même si 50 % des attributions sont destinées à des ménages aux ressources inférieures au seuil de pauvreté[2], la probabilité d’accès au logement social croit avec les revenus, les personnes aux faibles revenus subissant, de plus, des délais plus longs : leurs dossiers sont jugés non recevables, ne sont pas présentés en commission d’admission ou sont jugés non prioritaires, le système de « priorisation » étant, de toute façon, saturé.

Les logements sociaux sont donc attribués non pas en fonction des besoins mais en fonction du risque que prend le bailleur. Que deviennent alors les personnes non admises ? Elles restent dans le secteur privé, au prix d’une dégradation de leurs conditions d’habitat et d’un taux d’effort démesuré, qui atteint 40 % de leurs ressources, sans que les aides personnelles suivent puisque le loyer pris en compte est plafonné.

Lors de la campagne présidentielle de 2017, le candidat Macron voulait « un choc d’offre » dans les zones tendues pour y faire baisser les prix, alors que l’outil est manifestement inopérant si les prix ne sont pas maîtrisés. Il voulait également, à juste titre cette fois, confier aux intercommunalités la compétence d’établissement du PLU (plan local d’urbanisme), pour contrer les tentations malthusiennes de certains maires. Il n’a fait ni l’un ni l’autre et n’a pas non plus tenté d’agir sur les prix en étendant l’encadrement des loyers en vigueur à Paris et Lille et auquel des dizaines de villes sont candidates pour 2021 : faute d’une volonté politique énergique, cet encadrement s’applique encore difficilement, 40 % des annonces à Paris étant encore illégales. Au final, quelle a donc été la politique du logement de ces dernières années?

Des choix essentiellement marqués par la recherche d’économies.

Depuis 4 ans, la priorité a été de réduire les dépenses de l’Etat dans le domaine du logement: du constat que, malgré leur importance, les aides personnelles au logement (APL et allocation logement) ne parvenaient pas à résoudre la crise, voire (conclusion très loin d’être partagée par tous les experts) contribuaient à la hausse des prix, le gouvernement a tiré la conclusion qu’il fallait les baisser. Il a ensuite renoncé à pénaliser les allocataires (qui l’avaient été depuis 20 ans par l’insuffisante réévaluation des barèmes) préférant réduire le loyer de solidarité versé aux organismes HLM et donc, par ricochet, les aides personnelles versées aux locataires. Ces décisions ne peuvent pas ne pas avoir eu d’impact sur l’autofinancement des organismes et l’engagement de nouvelles constructions, même si celui-ci n’a pas été radical : dans un rapport de prospective financière (Perspectives, l’étude sur le logement social,2020), la Banque des territoires juge que, malgré la crise et la baisse de leurs ressources, les organismes HLM devraient être capables, sur le long terme, de construire 100 000 logements par an, du moins si la crise sanitaire actuelle est temporaire. Reste que  la baisse de leurs ressources ne les a pas incités à s’engager. Quant aux ponctions répétitives opérées sur « Action logement », l’organisme qui collecte la contribution des employeurs au logement, pour l’obliger à financer les aides personnelles à la charge de l’Etat, elles sont choquantes : la vocation de cet organisme est de construire des logements sociaux et intermédiaires, pas de servir de porte-monnaie pour alléger la charge des pouvoirs publics.

De même, originellement, la réforme de « contemporéanisation » des aides personnelles mise en place en ce début 2021 (le calcul de l’aide tient désormais compte des ressources du dernier trimestre connu et non de celles de N-2) visait un objectif d’économies. Le paradoxe est que, en période de crise sociale, la disposition s’avère favorable aux locataires compte tenu de la baisse des revenus d’activité…

S’ajoutent à ces choix l’absence, dans le plan de relance de l’automne 2020, de toute disposition concernant l’offre de logements, hormis celles qui concernent les aides à la rénovation énergétique des bâtiments. S’ajoute aussi la faiblesse récurrente de l’action de l’ANAH, agence nationale d’amélioration de l’habitat, dans la prise en charge des travaux de rénovation de logements privés, sous condition, pour les propriétaires, de les louer ensuite à prix modéré.

Il n’est pas certain que les quelques mesures envisagées aujourd’hui dans l’avant-projet de loi 4D[3], à savoir le renforcement de l’obligation d’utiliser des critères de cotation des demandes d’attribution de logements sociaux, la délégation aux bailleurs de l’obligation de respecter les quotas prévus en faveur des demandeurs les plus modestes, la généralisation de la délégation des aides à la pierre aux collectivités ou intercommunalités, la responsabilité donnée aux métropoles quant à la mise en place de l’encadrement des loyers, soient suffisamment marquantes pour redresser ce constat.

Reste malgré tout à souligner un effort réel, même s’il est insuffisant, en deux domaines : la course de rattrapage engagée pour créer des places d’hébergement  compte tenu de la hausse continue des besoins d’une part ;  la poursuite, inégale, incertaine et parfois chaotique du programme « Logement d’abord » d’autre part.  Malheureusement, ces deux orientations ne sont pas totalement compatibles.

La lecture de la loi de finances 2021 montre ainsi que les crédits consacrés à l’hébergement d’urgence ont augmenté de 44 % de 2017 à 2021 : selon la Cour des comptes (référé du 20 octobre 2020 au Premier ministre sur « La politique en faveur du logement d’abord »), 300 000 personnes sont sans domicile début 2020, soit le double du chiffre avancé en 2012. Le dispositif d’accueil n’a donc cessé de s’étoffer, offrant désormais 260 000 places, d’inégale qualité toutefois. Pour autant, il ne parvient pas à suivre : 80 000 SDF entrent chaque année dans le logement mais 100 000 nouvelles personnes se retrouvent à la rue.  L’effort fait continue donc à s’accompagner d’un recours massif aux nuitées d’hôtel (49 400 en 2019, 61 400 en 2020) que le ministère de la solidarité voudrait à toutes forces résorber en 2021, tant il s’agit d’une offre inadaptée aux besoins.

Parallèlement, la politique officiellement suivie est celle du plan 2018-2022 « Logement d’abord », qui consiste à abandonner la réinsertion par étapes des SDF et à les faire prioritairement accéder à un logement autonome ou accompagné. La Cour des comptes, qui en a dressé le bilan, note que l’élan des premières années semble émoussé et que les résultats chiffrés sont en deçà des attentes : il aurait fallu, dit-elle, réussir à inverser les priorités et moins développer l’hébergement d’urgence pour ne s’attacher qu’aux solutions pérennes. Or, la pression des besoins a maintenu les vieilles habitudes et l’hébergement d’urgence se développe, faute que l’on puisse offrir directement des  logements adaptés et faute d’une politique de prévention des expulsions suffisamment déterminée. Selon la Cour, la loi devrait, pour inverser cette logique, imposer des priorités absolues de relogement aux bailleurs, organiser la sortie du logement social des occupants qui dépassent un certain plafond de ressources, transformer massivement les places d’hébergement en vrais logements. Las…le logement social est engorgé…

A lire le référé, le lecteur ressent un sentiment d’impuissance : si la chaine du logement n’a ni fluidité ni souplesse, comment espérer des solutions ? Que faire, sauf d’abord revoir les aides à l’investissement locatif dans le secteur privé, plus grand monde n’ayant de doute sur leur injustice et leur inefficacité ? Encadrer autoritairement les prix, concentrer tous les efforts sur les zones tendues, mener une politique plus audacieuse sur le foncier, imposer la résorption du mal logement en inversant les choix d’attribution ? Ces choix, énergiques parce que tardifs, seraient-ils acceptables ?

La vérité est que, depuis 5 ans, il n’y a pas de politique du logement autre que d’urgence. De ce fait, la situation se dégrade et l’exaspération monte. C’est un point noir du bilan Macron et il serait temps de s’en préoccuper.

Pergama 16 février 2021

 

 

[1] En 2018, le taux au niveau national est de 16 % et à Paris de 8 %.

[2] Le seuil de pauvreté est de  1063 euros en 2018 pour une personne seule

[3] Déconcentration, différenciation, déconcentration, décomplexification