Rapport Stora : la démarche historique vaut mieux que des excuses

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Rapport Stora : la démarche historique vaut mieux que des excuses

Pour favoriser la réconciliation entre les peuples français et algériens, le Président de la République a confié l’été dernier à un historien, Benjamin Stora, la rédaction d’un rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie.

Ce rapport  d’une centaine de pages, rendu en février 2021, répond exactement à la commande : face à des « mémoires antagonistes » mais qui sont de part et d’autre douloureuses, le rapprochement est difficile. La seule solution est de raconter cette histoire, de l’analyser, de reconnaître les faits, de commémorer certaines dates et d’en parler. C’est ce que fait le document, qui d’abord raconte l’histoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, d’autre part aborde les relations entre les deux pays depuis l’indépendance.

Le rapport souligne les vérités encore taboues : pas seulement l’institutionnalisation de la torture ou les déplacements massifs de population rurale algérienne pour priver de soutien les combattants indépendantistes, mais aussi les divisions entre les mouvements nationalistes et les exécutions sommaires entre Algériens, voire les disparitions d’ « européens ». Il souligne la nécessité d’analyser la nature de la colonisation : maintien de la population indigène dans un état d’infériorité juridique, économique et sociale, fracture entre les « pieds noirs » aveugles à cette réalité et les Français de métropole qui en sont choqués, mais aussi phénomène complexe, qui admet l’émergence d’une élite et permet « une modernité par effraction » (termes du Président Bouteflika). Contre cette colonisation, se mobiliseront en tout cas bien des intellectuels, des journalistes et des religieux. Stora souligne combien l’Algérie et la France continuent de « se toucher » : juifs d’Algérie qui ont gardé la nostalgie de leur pays d’origine, harkis meurtris à jamais, immigrés et enfants d’immigrés de double appartenance, proximité de certains intellectuels, flux des livres de souvenirs.

Le rapport montre aussi le cheminement bizarre des relations entre les deux pays, de la coopération sans chaleur à la reconnaissance progressive par les Français des crimes commis, en passant par la loi de 2005, vite reniée, sur les aspects positifs de la colonisation. Le rôle de Jacques Chirac, qui a évoqué avec simplicité, sans périphrases,  l’histoire telle qu’elle s’est déroulée, celui d’Emmanuel Macron, qui a reconnu les circonstances de la mort de Maurice Audin sous la torture, sont bien mis en lumière.

Le rapport a été mal accueilli. Au fond, il ne sert à rien, ont dit toutes les parties intéressées, celle qui exige des excuses et celle qui refuse d’en présenter. Il est vrai que les propositions sont sans éclat : création d’une Commission mémoire et vérité, menée à bonne fin des débats engagés puis abandonnés sur le partage des archives, leur ouverture, les déchets nucléaires du Sahara, les mines dispersées aux frontières, transformation en lieux de mémoire des camps d’internement ou journée d’hommage aux morts.

En fait il y a maldonne, comme en témoigne la réaction sotte de l’Elysée affirmant qu’il n’y aurait, à la suite de ce rapport, « ni repentance  ni excuses mais seulement des actes symboliques », tandis que l’Algérie, de manière tout aussi simpliste, regrette de n’avoir pas entendu un discours solennellement anticolonial et une contrition pour les crimes commis. Le message du rapport Stora (qui ne refuse pas les excuses mais ne les juge pas vraiment utiles si l’histoire joue son rôle) est différent : il prône simplement le travail de mémoire, la commémoration, l’absence de complaisance, la reconnaissance de toutes les souffrances, le partage des analyses, la complexité des phénomènes. Cette ouverture et ce travail n’ont pas eu leur place après la guerre ni même longtemps après : la France a occulté l’analyse, l’Algérie a vécu sur le mythe d’une glorieuse guerre d’indépendance menée par une armée idéalisée. Puis s’est produite une « communautarisation » des mémoires, colonisation honnie contre  refus de repentance. Croire que la seule reconnaissance des crimes commis (tout à fait présente chez Stora et que personne désormais ne nie) suffirait à “réconcilier” les peuples serait naïf. Le travail à engager est de plus longue haleine, il impose « de ne pas rester prisonnier du passé » et de mettre des distances avec celui-ci, tout en le prenant pour ce qu’il est, avec ses cruautés, ses ignominies et aussi ses ambivalences. Revenir sur la simple problématique des excuses montre que ni le gouvernement français ni le gouvernement algérien ne veulent, en réalité, faire aboutir l’effort de rapprochement et cesser d’instrumentaliser l’histoire.