Union européenne : l’intelligence géostratégique fait défaut

Openlux: la presse peut-elle réveiller l’Union?
16 février 2021
Cour des comptes: retour sur les parcours de soins
24 février 2021

Union européenne : l’intelligence géostratégique fait défaut

Le 20 décembre dernier, l’Union européenne acceptait de signer avec la Chine, après des années de négociation,  un accord de principe sur les investissements européens en Chine et l’ouverture des marchés européens aux produits chinois. La Chine accepte les investissements européens dans les secteurs de l’automobile, des télécommunications, des services financiers, en allégeant certaines contraintes imposées jusqu’ici – obligation d’association à une entreprise chinoise ou transfert de technologie – de manière différenciée selon les cas. L’Europe s’engage quant à elle à s’ouvrir aux investissements chinois dans le secteur des énergies renouvelables (avec un plafond de 5 %).

Seuls les communiqués officiels sont positifs : les autres commentaires soulignent  que, sur le plan purement technique, tout ce qui est important est flou. La Chine a ainsi promis une meilleure transparence sur les subventions publiques aux entreprises sans s’engager ni à y renoncer ni à les diminuer ni à clarifier la question des subventions « indirectes » qui faussent les marchés : quel est alors l’intérêt ? Elle s’est engagée à ne pas adopter d’attitudes discriminatoire envers les entreprises et à renforcer la prévisibilité et l’équité du traitement des demandes d’autorisation, engagements bien évidemment non contraignants. Aucun mécanisme de sanction n’est d’ailleurs prévu en cas de manquement aux engagements pris. Sont remis à plus tard les précisions sur le dispositif de protection des investissements et le mécanisme de règlements des conflits. L’accès des entreprises étrangères aux marchés publics chinois est passé sous silence. Les règles de la concurrence restent donc totalement asymétriques.

Sur les conditions plus politiques (la ratification des conventions de l’OIT contre le travail forcé pour lutter contre les camps de travail des Oïgours et les engagements pris sur le développement durable), les formules utilisées, modèle de langue  de bois, témoignent des réticences indépassables du pouvoir chinois. « La Chine fera des efforts soutenus en vue de la ratification des conventions » de l’OIT (qu’est-ce que « faire des efforts pour ratifier » ?) et, grande nouvelle, promet de respecter l’accord de Paris, sans autres précisions. Officiellement, c’est déjà le choix politique que la Chine affirme suivre : sa ligne ne se modifie pas. Le véritable progrès, ce serait de reconnaître que la réalité est autre et qu’il faut corriger les pratiques.

Sur le plan international, le président Macron voit dans cette signature précipitée, présentée juste avant l’arrivée au pouvoir du nouveau Président des USA,  Jo Biden, l’affirmation d’une Europe souveraine. Si la souveraineté se résume à aider l’Allemagne à placer ses voitures, à montrer sa faiblesse à un partenaire non fiable qui ne respecte aucun droit humain et à éviter de s’allier avec des puissances plus importantes pour définir, dans les domaines d’intérêt commun, une position harmonisée, on y est, effectivement. En termes géopolitiques, l’Union, qui s’est tant plainte de l’unilatéralisme de Trump, agit comme lui, au grand ravissement de la Chine, qui aime engranger des victoires symboliques : elle montre qu’elle n’est pas si isolée que cela et qu’elle a encore des partenaires à embobiner.

Et que dire du déshonneur du voyage à Moscou du Haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère venu rappeler la Russie au respect des droits de l’homme au moment même où les autorités ont expulsé, sans l’avoir prévenu, des diplomates occidentaux qui auraient participé à une manifestation en faveur de Navalny ? Les pays européens ont des positions divergentes sur les relations avec la Russie. L’ampleur des sanctions à prendre va occuper bien des réunions. Soit l’Union met de l’ordre dans ses propres rangs (mais comment le pourrait-elle ?), soit elle devra se contenter de faire de la figuration. Mieux vaudrait alors être discret. Elle ne parvient pas en tout cas à se positionner dans un jeu compliqué dont elle a l’air d’ignorer les règles. Il ne sert vraiment à rien de répéter, contre l’évidence, qu’il faut parler avec Poutine, comme le ressasse notre président depuis 4 ans. On ne parle à Poutine que si vous résistez et qu’il ne peut vous écraser. Longtemps fustigée pour sa « naïveté » à l’égard des pouvoirs totalitaires, l’Union annonçait s’être ressaisie. Pour l’instant, ce n’est pas le cas : elle n’a ni stratégie claire, ni cohésion interne ni alliés, juste de vagues envies d’affirmer certaines valeurs, mais pas trop fort.