ENA, une réforme inachevée

Justice des mineurs: une réforme qui irrite, pour de bonnes et de mauvaises raisons
5 mars 2021
Vaccination contre la COVID : un ratage signifiant
5 mars 2021

ENA, une réforme inachevée

Le projet de réforme de l’ENA annoncé en avril 2019 et qui a donné lieu à l’élaboration du rapport Thiriez publié début 2020 a, de l’avis de tous, fait long feu. Pour autant, le gouvernement a publié, le 22 décembre 2020, un arrêté modifiant le règlement intérieur de l’école : les objectifs de la formation évoluent tout comme les épreuves du concours de sortie.

Le règlement intérieur met en avant, pour former les élèves, une approche par les compétences, déjà présente dans le précédent règlement mais de manière moins centrale. Le stage effectué dans les entreprises est valorisé, avec une « mission » effectuée au sein d’une PME et non au sein d’une grande entreprise, pour que le stage se rapproche du terrain.. Surtout, le programme des thèmes étudiés, au lieu de se présenter comme une liste (rédaction juridique, analyse financière), s’organise en « compétences socles » (budgétaire, juridique, ressources humaines) et compétences-métiers présentes dans chacune des trois grandes familles de métiers identifiées (conception, mise en œuvre et évaluation des politiques publiques, pilotage des transformations, exercice des missions essentielles de l’Etat comme négocier, gérer les crises, ou dialoguer). Les épreuves anciennes portaient pour une large part sur la rédaction de notes thématiques (juridiques, budgétaires…). Les épreuves nouvelles valorisent davantage des mises en situation, avec en outre un rapport d’audit collectif et un rapport d’expertise individuel.

Les épreuves du concours d’entrée devraient parallèlement être réformées dans le même sens : réduction du nombre des épreuves, mises en situation individuelles et collectives pour vérifier des capacités différentes de celles des « bons élèves » d’IEP.

Ces approche insistent donc sur les savoir-faire et sur leur application concrète à des situations professionnelles. La réforme prend ainsi position dans un débat ancien sur les critères de sélection des fonctionnaires, savoirs et capacité de réflexion d’un côté,  compétences techniques et comportementales propres à des métiers de l’autre.  A vrai dire, le débat a été tranché depuis un moment : la réforme récente du concours des IRA va dans le même sens en minorant le poids de la vérification des connaissances  et en valorisant l’analyse d’une situation et la capacité à formuler des propositions réalistes.

Quelle appréciation sur cette réforme ? Sur le principe, on ne peut qu’être favorable. Les fonctionnaires doivent apprendre ce qui est vraiment difficile : réagir pendant une crise, négocier avec des interlocuteurs hostiles, faire avancer un projet, élaborer des priorités dans le domaine des ressources humaines. Ce sont ces compétences qui les rendront utiles. Pourtant, la réforme suscite un regret et une crainte : le regret, c’est qu’elle est trop centrée sur la scolarité des élèves sans remettre en cause le principe même du classement de sortie. Il existe une forme d’incohérence de ce fait dans la démarche : les compétences ont une part d’inné (ce qui ne signifie pas qu’elles ne doivent pas être enseignées) et les emplois doivent être adaptés au profil des élèves et à leur appétence pour tel ou tel domaine et métier. La seule manière de procéder est un système qui allie candidatures individuelles aux emplois proposés et choix par les responsables des ministères employeurs. Quant à la crainte, elle est que les apprentissages métiers, qui privilégient les techniques et parfois les recettes, écrasent tout esprit critique. Les études de cas, les audits, l’évaluation des résultats obtenus par rapport aux objectifs fixés ne sont pas l’alpha et l’oméga de la vie des fonctionnaires. Parmi les critiques formulées contre les énarques, l’éloignement du terrain et des préoccupations des interlocuteurs de l’Etat ou des personnels ne sont pas les seules reproches. Le conformisme et l’uniformité sont également malfaisantes. Comment lutter ? Certes, la réforme prévoit que  les enjeux de l’action publique seront abordés, dont la transition écologique et la lutte contre les inégalités, ce qui peut provoquer des analyses moins consensuelles. Mais il faut veiller à ce que l’apprentissage des outils et méthodes ne domine pas tout. Les échanges internationaux, le brassage des élites, les échanges d’idées, la connaissance de la société peuvent renforcer l’esprit critique. Il ne faudrait pas que l’apprentissage des savoir-faire tourne trop en rond.