Justice des mineurs: une réforme qui irrite, pour de bonnes et de mauvaises raisons

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Justice des mineurs: une réforme qui irrite, pour de bonnes et de mauvaises raisons

La loi du 26 février 2021 a ratifié l’ordonnance du 11 septembre 2019 abrogeant l’ordonnance de 1945 et portant réforme de la justice des mineurs. La principale mesure de la réforme est d’instituer une procédure en deux temps, censée accélérer le jugement des mineurs délinquants, avec une dissociation entre la reconnaissance de la culpabilité, qui doit avoir lieu  dans un délai de trois mois après la fin de l’enquête, et la sanction prononcée ensuite, lors d’une seconde audience, après un deuxième délai compris entre 6 et 9 mois, mis à profit pour suivre le mineur et prendre des mesures éducatives temporaires.

Par ailleurs, la loi a souhaité, pour respecter la Convention internationale des droits de l’enfant, fixer un seuil d’âge pour faire jouer la responsabilité pénale (13 ans), jusqu’alors associée à une « capacité de discernement » librement appréciée par le juge.

Comment juger d’une telle réforme ?

Au titre des points positifs :

1° les textes (le nouveau « code de la justice pénale des mineurs ») réaffirment les principes traditionnels de la justice des mineurs, spécialisation, atténuation de la responsabilité, primauté des mesures éducatives sur les peines ;

2° en fixant à 13 ans le seuil de responsabilité pénale, la loi respecte mieux les textes internationaux ;

3° la césure de la procédure et la volonté de raccourcissement des délais sont plaidables : l’esprit de la justice des mineurs imposant de ne pas prononcer de sanctions éducatives ni de peines sans avoir une connaissance suffisante de la personnalité et de sa situation du mineur, la période avant jugement était, dans le système précédent, trop longue (presque 18 mois en moyenne). Ce délai enlevait de sa signification à la déclaration de culpabilité et à la sanction, surtout quand le mineur était, entretemps, devenu majeur. De plus le prononcé rapide de la culpabilité permet aux victimes, dès la reconnaissance de responsabilité, de faire valoir leur droit à réparation ;

4° le nouveau texte améliore la protection : meilleur encadrement du recours à la détention, notamment provisoire, pour la limiter (le nombre de mineurs détenus a augmenté de 11 % depuis 2015, avec 80 % de détention provisoire, alors que les chiffres de la délinquance restaient stables) ; relèvement du seuil de peine encourue pour décider d’un placement sous surveillance électronique ; assistance d’un avocat lors d’une audition libre d’un mineur ; possibilité de recours à un « adulte approprié » pour accompagner le mineur tout au long de la procédure si les titulaires de l’autorité parentale ne peuvent le faire ;

5° enfin, dès avant l’adoption de la réforme de la justice des mineurs, la loi du 29 mars 2019 avait assoupli les dispositions relatives aux centres éducatifs fermés, souvent cités comme le symbole du délaissement de l’éducatif pour le répressif et qui, de fait, accueillent de plus en plus de jeunes jugés difficiles sans réussite probante : les centres doivent s’ouvrir davantage sur l’extérieur et des possibilités d’accueil provisoire à l’extérieur être mises en place.

Inversement, les critiques sous nombreuses, qui émanent souvent des professionnels de la protection et de la justice des mineurs :

1° la définition de la réforme par ordonnance, certes validée par la décision 2019-778 du 21 mars 2019 du Conseil constitutionnel, a choqué : il est vrai que le recours à l’ordonnance a été précédé d’un rapport qui a permis de comprendre les grandes orientations suivies ; le recours aux ordonnances permet également de se dispenser des longueurs, voire de la démagogie, des discussions parlementaires et le calendrier parlementaire n’aurait sans doute pas permis l’adoption de rla éforme sans recours à une ordonnance. Pour autant, il faudrait mieux veiller au respect des principes : les ordonnances devraient être réservées aux sujets techniques, pas aux sujets sensibles sur lesquels le gouvernement redoute les objections et veut imposer ses conceptions;

2° l’affirmation dans la loi des principes traditionnels de la justice des mineurs est quelque peu formelle : l’évolution des textes rapprocherait lentement la justice des mineurs de celle des majeurs et la réforme est accusée d’accentuer ce mouvement jugé sournois. Ainsi, la réforme prévoit des exceptions à la césure des procédures (avec une « audience unique ») pour les mineurs déjà connus ou ayant commis des faits graves. Ce dispositif remplace un système de comparution immédiate déjà prévu mais les conditions de recours sont désormais moins strictes, ce qui accroît la sévérité en cas de récidive. C’est le parquet (qui doit, en théorie, être lui aussi « spécialisé » pour traiter des mineurs mineurs mais ne sera pas voué exclusivement à cette tâche) qui orientera les mineurs vers l’audience unique ou la procédure en deux temps. Par ailleurs les délais très courts de l’audience de culpabilité risque de renforcer la sévérité des juges. Surtout, la réduction des délais s’accorde mal avec la pénurie de personnel éducatif censé prendre en charge les mineurs avant le prononcé de la sanction : c’est surtout ce manque de moyens qui irrite les professionnels, qui auraient voulu qu’on y remédie et voient dans la loi un procédé pour s’y adapter ;

3° quant au seuil de responsabilité pénale, il peut être ignoré si le juge établit que l’enfant de moins de 13 ans était doté de discernement. Soit pour contourner les principes, soit pour ne pas appliquer mécaniquement des seuils d’âge, les textes prévoient souvent que le juge peut, à condition de motiver sa décision, ignorer la règle et décider au cas par cas : ainsi, entre 16 et 18 ans, le juge peut depuis longtemps décider de ne pas prendre en compte l’atténuation de responsabilité à condition de motiver sa décision tout comme il pourra ignorer le seuil d’âge de 13 ans ;

4° enfin, des interrogations perdurent sur le rôle bénévole « d’adulte approprié », système en réalité prévu pour les mineurs non accompagnés : qui le remplira ?

Au final, sur de tels textes, le jugement est difficile : les dispositions sont compliquées à décoder, le diable est toujours dans les détails et il est, surtout, dans les pratiques effectives et l’application des textes. Ainsi, certains prédisent que les délais inscrits dans la loi sont inapplicables et ne seront pas respectés et que, compte tenu de la faiblesse des actions de prévention et de la peur sociale à l’égard de la délinquance des jeunes, la sévérité des juges  continuera à s’accroître, avec une propension à l’enfermement. C’est bien aux résultats qu’une telle réforme devra être jugée mais il est douteux qu’elle puisse être un jour considérée comme un texte améliorant la qualité de la justice des mineurs.