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Vaccination contre la COVID : un ratage signifiant

Pendant longtemps, jusqu’à fin 2020, les critiques portées contre l’Union dans ses relations avec les fabricants de vaccins ont porté, outre sur l’absence de transparence des contrats passés, sur le risque de gaspillage d’argent public : les commandes ont été passées avant même que les vaccins soient prêts et reconnus par les autorités sanitaires, sans que l’on sache trop où l’on allait ni quel serait le vaccin le plus efficace.  Désormais, les critiques sont en grande partie inverses : l’Europe aurait été trop lente, lente à négocier et lente à signer. Elle s’est comportée  comme si elle commandait paisiblement un bien ordinaire et de long terme, où le choix devait être mûri et consensuel avec le meilleur rapport qualité/prix et, si possible, passé avec des laboratoires « européens », alors que les pays qui ont vu la question comme une urgence absolue et négocié dans cet esprit ont gagné la course, même s’ils ont pris aussi des risques bien plus importants.

Donner à l’Union européenne la responsabilité de la sélection des laboratoires et des négociations sur le prix et les commandes de vaccins était certainement une bonne idée : personne ne peut raisonnablement soutenir qu’il aurait mieux valu négocier pays par pays. Les conditions sont toujours meilleures envers les gros clients et l’Union pouvait également prétendre à une meilleure mutualisation des compétences face aux laboratoires. De plus, ce choix témoigne d’une saine préférence pour la solidarité : il devait éviter que les pays européens riches raflent la mise aux détriments des autres. C’est sans doute ce raisonnement qui a convaincu les quatre pays qui, au départ, avaient commencé à négocier en groupe et s’apprêtaient à signer un contrat avec AstraZénéca, la France, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas, à rejoindre l’Union quand celle-ci a décidé (déjà tard, dans la deuxième partie de juin 2020) de centraliser les négociations.

L’Union n’a jamais rattrapé son retard initial : elle a signé en août avec AstraZénéca, en septembre avec Sanofi (qui aujourd’hui n’est plus dans la course pour 2021), en octobre avec la filiale européenne de Johnson et Johnson (le vaccin devrait être approuvé en mars 2021), en novembre avec une entreprise allemande Curevac (le vaccin est encore aujourd’hui en phase de développement) et, enfin, toujours en novembre, avec les deux sociétés américaines pourtant les plus avancées dans leurs recherches, Pfizer et Moderna. Il est clair que l’Europe a voulu privilégier des entreprises européennes sans égard pour l’avancement des recherches des différentes entreprises. De plus, elle avoue avoir négocié, ce qui, dans n’importe quel autre contexte, aurait été porté à son crédit, et avoir préféré les vaccins les moins chers.  Comme le soulignent deux économistes dans un remarquable article de La Tribune (Que révèle l’échec européen du vaccin, 11 février 2021), le raisonnement est, en l’occurrence, économiquement absurde : mieux valait payer cher les chances d’avancer le redressement économique que de vacciner à bon marché mais tard. L’article souligne également que les USA et le Royaume-Uni ont accepté de financer les grands laboratoires mais aussi les entreprises plus petites de biotechnologies qui gravitent dans le secteur, à la différence de l’Europe, ce qui a sécurisé le processus. L’argent doit moins compter en période de guerre et, dans ce cas, c’est le résultat qui doit prévaloir: l’Europe a eu du mal à le comprendre.

La préférence pour les entreprises situées en Europe a été poussée jusqu’à l’absurde : la presse s’est fait l’écho des vaines demandes d’une entreprise de biotechnologies spécialisée dans les vaccins, Valneva, située à Nantes, pour obtenir un contrat avec l’Europe lui permettant de financer ses recherches : elle ne l’a pas obtenu parce que son usine de production est au Royaume-Uni et, de ce fait, a signé un contrat avec ce pays qui, de ce fait, bénéficiera de sa production, sans doute en fin d’année.

La situation s’avère donc difficile en Europe (il y a pour l’instant clairement pénurie de vaccins, même si l’on peut espérer que la situation se débloque dans le courant du printemps), d’autant que le vaccin AstraZénéca au départ n’a pas été retenu pour la vaccination des personnes âgées, qu’il a été critiqué pour ses effets secondaires et que le laboratoire a manqué à sa parole en satisfaisant prioritairement les demandes britanniques. En affirmant que si les contrats avaient été signés plus tôt l’Europe aurait été livrée aussi plus tôt, les laboratoires Pfizer et Moderna ont accru le malaise : la Présidente de la Commission a présenté quelques excuses mais rejeté la faute sur la difficulté des laboratoires à produire massivement (de fait, Pfizer a rencontré des difficultés de production), difficulté indéniable mais qui n’explique pas les médiocres résultats de l’Union : le Royaume-Uni a vacciné début mars plus de 31 % de sa population, les Etats-Unis 16 % et les pays européens, selon leur degré de performance interne, entre 8 % (Danemark) et moins de 5%, la France étant parmi les derniers. Après la pénurie de masques, celle des vaccins conduit à des situations pathétiques : des personnes très âgées qui ne peuvent dans certaines zones être vaccinées alors qu’elles sont prioritaires, et des vaccins AstraZénéca réservés aux personnel soignant qui dorment ailleurs, faute de demandes.

Le gouvernement français, en tout cas, n’avoue rien et, selon les règles très suivies de la mauvaise communication politique, multiplie les messages rassurants. Il est vrai que nombre d’autres pays européens connaissent la même situation. Pour autant, la résilience en France est faible et la méfiance envers les pouvoirs publics très ancrée… Par ailleurs, force est de constater que l’ambition d’une Europe souveraine reprenant en mains avec efficacité la lutte contre les épidémies est durablement altérée : dès lors que certains pays européens paniqués par la pénurie, telles la Hongrie et la Slovaquie, commandent des vaccins russes, l’échec est patent.