Réforme de l’assurance chômage : l’Etat à contretemps

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Réforme de l’assurance chômage : l’Etat à contretemps

L’Etat remet en selle aujourd’hui une réforme de l’assurance chômage à épisodes, engagée depuis plusieurs années. En 2018, de premières mesures ont porté sur la gouvernance et le financement du régime ainsi que sur la définition de l’offre raisonnable d’emploi et les sanctions envers les demandeurs d’emploi. Puis, en septembre 2018, le gouvernement a demandé aux partenaires sociaux de négocier pour modifier la convention en vigueur. Les objectifs, définis aux temps heureux où la croissance semblait de retour, étaient de rechercher des économies pour accélérer le retour à l’équilibre du régime, de lutter contre les contrats courts en dissuadant les employeurs et les salariés d’y avoir excessivement recours et enfin d’inciter au retour rapide au travail en instaurant, pour certaines catégories, une dégressivité des droits. La négociation engagée sur ces thèmes a échoué et l’Etat a annoncé ses propres décisions en juin 2019. Celles-ci se sont heurtées par la suite soit au contexte de la crise sanitaire, soit à l’annulation de certaines dispositions par le Conseil d’Etat. Le gouvernement a donc engagé cet automne une nouvelle concertation et a défini en mars 2021 de nouvelles dispositions qui vont entrer en vigueur de manière différenciée dans les prochains mois.

L’esprit de cette nouvelle réforme est de reprendre, avec des adoucissements et des corrections, les mesures de juin 2019.

1° Le plan de juin 2019 instituait un bonus-malus des cotisations employeurs sur le recours aux contrats courts, sans toucher tous les secteurs, en épargnant le BTP et le secteur médicosocial, très consommateur de contrats courts compte tenu d’un taux d’absentéisme élevé. En novembre 2020, le Conseil d’Etat a annulé la mesure, qui aurait dû intervenir par décret et non par arrêté. Le projet est aujourd’hui repris : les premières modulations de cotisation auront lieu en septembre 2022 à partir d’une période d’observation qui commencera en juillet 2021. Il n’est pas certain que la mesure atteigne ses objectifs.

2° En 2019, la dégressivité des allocations chômage a été décidée pour les cadres (le revenu mensuel brut visé atteint 4500€) qui, après 6 mois de chômage, connaissaient une baisse de 30 % de leur indemnisation. La mesure a été suspendue lors de la crise sanitaire. Aujourd’hui, la dégressivité va s’appliquer à partir de juillet 2021 mais au bout de 8 mois et non de 6 : cependant le délai baissera si la situation économique s’améliore. L’on comprend mal l’utilité de cette mesure : la dégressivité n’a jamais prouvé son efficacité et, en période de crise, son utilisation choque.

3°Dans la réforme de 2019,  la durée de travail préalable qui ouvre droit à indemnisation avait été allongée de 4 à 6 mois. De même, les règles de « rechargement » de l’assurance chômage, qui permettaient à un demandeur d’emploi qui n’avait pas totalement épuisé ses droits de les recharger au terme d’une nouvelle période de travail même courte (150 heures), obéissaient à la même règle des 6 mois. Pendant la crise sanitaire, la mesure n’a pas été appliquée. La réforme actuelle revient à la réforme antérieure mais pas avant l’amélioration de la situation économique (mesurée en fonction du nombre des demandeurs d’emploi sans activité et du nombre de déclarations préalables à l’embauche). En attendant, la période de 4 mois de travail pour accéder à l’indemnisation est maintenue.

4° La réforme de 2019 modifiait enfin le calcul de l’allocation chômage, calculée sur un salaire de référence antérieur : pour celui-ci, on passait de « Rémunérations perçues les 12 derniers mois /nombre de jours travaillés » à « Rémunérations perçues les 24 derniers mois /nombre de jours de la période ». Ces nouvelles règles, très dures (annulées au demeurant par le Conseil d’Etat pour rupture d’égalité entre les demandeurs d’emploi parce qu’elles avaient un impact très différent selon les cas de figure), seront appliquées à compter du 1er juillet 2021 mais avec un assouplissement : l’impact en sera atténué par l’institution d’un plancher de jours non travaillés pris en compte qui évitera de trop gros écarts entre assurés.

Malgré les assouplissements constatées, la réforme est jugée inopportune parce qu’elle survient dans une situation instable où l’on craint une forte augmentation du chômage. Les modifications sont sévères pour les jeunes et les intérimaires et tous ceux qui alternent périodes de chômage et d’activité, tandis que les mesures concernant les entreprises sont d’application tardive. Elle risque d’être « pro-cyclique », renforçant les effets de la crise au lieu de les corriger. En janvier 2021, le CAE, Conseil d’analyse économique (Repenser l’assurance chômage, règles et gouvernance), demandait précisément une réforme qui baisse l’indemnisation en période économique favorable et l’augmente sinon et souhaitait une meilleure coordination des politiques de soutien des revenus des personnes en activité réduite. Pour des raisons d’affichage politique (concrétiser les réformes d’assurance chômage voulues en 2017 et 2918), le gouvernement reprend ses projets antérieurs, au risque d’être à contre-courant et de sacrifier une population vulnérable