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France/Allemagne: pourquoi de tels écarts d’adhésion à la communauté nationale?

Comme chaque année, la parution du 12e baromètre de la vie politique du CEVIPOF fait redécouvrir des constats inquiétants sur le degré de confiance de la population envers les institutions. Depuis la 11e édition, les concepteurs de l’étude ont fait le choix d’élargir certaines questions à d’autres pays, en particulier l’Allemagne et le Royaume-Uni. La presse s’est fait l’écho des disparités de la confiance ressentie par la population selon les pays. Visibles dès les questions sur la confiance envers autrui (surtout concernant les personnes que l’on ne connaît pas), les différences se creusent sur l’appréciation du bon fonctionnement de la démocratie et sur la confiance envers les institutions et les hommes politiques.

Le site Télos, centre de réflexion d’économistes, de politologues, de juristes et de sociologues, a fait paraître, le 15 mars 2021, un très intéressant article (France-Allemagne, une fracture politique, par Elie Cohen, Olivier Galland et Gérard Grunberg https://www.telos-eu.com/fr/france-allemagne-une-fracture-politique.html) qui avance des explications sur les différences entre la France et l’Allemagne quant à la confiance envers les institutions et au sentiment d’appartenance à une communauté. On le sait, les Français éprouvent un bien plus fort sentiment de méfiance ou de rejet envers la politique (plus de 60 %) que les Allemands (32 %). En France, la confiance envers les institutions quelles qu’elles soient (gouvernement, Parlement, syndicats…) n’atteint jamais 50 % et peut baisser à 16 % (les partis) alors, que sur les 7 items proposés, les Allemands ressentent majoritairement de la confiance pour 5 d’entre eux (jusqu’à 70 % à l’égard du Conseil constitutionnel, qui occupe en Allemagne une place déterminante). Enfin, 45 % des Français contre 26 % des Allemands n’ont pas le sentiment d’appartenir à une communauté et seulement 28 % des Français (contre 54 % des Allemands) ont le sentiment d’appartenir à une communauté de langue, d’origine, de valeurs et de mode de vie.

Les auteurs de l’article imputent ces différences à l’histoire des deux peuples et à la conception différente qu’ils ont construite de la notion de communauté nationale. Ils font référence à un discours du philosophe allemand Fichte de 1807, qui a insisté sur la notion de communauté nationale, alors que la population allemande ne relevait pas alors d’un Etat uni mais partageait la même langue, la même origine, la même culture, la même mentalité. Plus tard, en France, E. Renan, quand il définira la Nation française, la verra non pas comme une communauté « naturelle », mais comme un choix volontaire des personnes de se rassembler et de vivre ensemble quelles que soient leurs différences. Le nationalisme allemand et le Républicanisme français s’opposent…La conception française de la nation, plus abstraite, moins charnelle, qui repose sur l’adhésion à des idées, réussit manifestement moins bien, aujourd’hui, à créer un sentiment d’appartenance. De plus, c’est, en France, l’Etat qui a fait la nation, avec la tradition intégrative de l’école, du service militaire et du modèle social. Aujourd’hui, la crise de l’Etat en ces domaines sape la confiance en la communauté nationale : l’échec des politiques publiques est interprété comme un échec de la République que l’on déplore tant les solutions paraissent, de ce fait, inaccessibles (cf. l’exemple du diagnostic de PISA sur l’éducation). En Allemagne, l’échec des politiques publiques ne sape pas la confiance en la communauté et nécessite, plus simplement et plus concrètement, des politiques correctrices (c’est ce que les Allemands ont fait quand leurs résultats Pisa se sont dégradés). Le diagnostic de l’article est très convaincant. Resterait à convaincre les Français de s’atteler aux réformes concrètes qui sont indispensables au pays sans porter continûment le débat au  niveau des principes républicains. L’évolution sera difficile…