Limiter les expulsions locatives, un rapport de plus

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Limiter les expulsions locatives, un rapport de plus

Dans le cadre de la COVID, le gouvernement a craint le développement des expulsions locatives lié à l’accroissement des difficultés financières de catégories vulnérables. Il s’est employé à les prévenir, essentiellement par la prolongation, en 2020 et 2021, de la trêve hivernale jusqu’en juillet. Une instruction du 2 juillet 2020 du ministre en charge du logement demande en outre aux préfets d’éviter les expulsions « sèches », sans proposition de relogement adapté ou, du moins, d’hébergement, ce qui relativise fortement l’ambition. De fait, en 2020, les expulsions ont baissé, sans doute moins de 3500 contre 16 000 en 2018 et 16 700 en 2019.

Depuis 30 ans, depuis la loi Besson du 31 mai 1990, la prévention des expulsions est intégrée dans les politiques sociales. Le rapport parlementaire remis, à sa demande, au Premier ministre en décembre 2020, Prévenir les expulsions locatives tout en protégeant les propriétaires, recense  8 lois intervenues depuis lors pour améliorer un dispositif qui n’est pas complètement dénué d’efficacité mais qui marche mal. Le rapport de 2020, curieusement, ne contient aucun chiffre. Il faut aller les chercher ailleurs, dans une note du 7 janvier 2020 du Centre d’observation de la société (CAS) qui compile depuis 2000 les statistiques du ministère de l’Intérieur et de la justice sur les expulsions :  tous les chiffres sont à la hausse, ce qui traduit une intensification de la crise du logement. Les assignations en justice sont passées, de 2000 à 2018, de 105 000 à près de 150 000, dont 120 000 suivies de décisions d’expulsion et de 70000 commandements à quitter les lieux. Le nombre de ménages expulsés de force est passé, pendant la période, de 5900 à 16 000. Reste que, en 2018, dans l’écart entre les commandements à partir et les expulsions effectives, l’on ne sait quelle est la part des personnes qui ont évité l’expulsion grâce aux procédure mises en place (aides financières ou relogement) et celle de ceux qui sont partis d’eux-mêmes, sans attendre l’expulsion, et qui se sont retrouvés de ce fait à la rue ou dans des logements provisoires.

D’innombrables rapports, dont ceux de la Fondation Abbé Pierre, ont dénoncé l’insuffisance du dispositif de prévention malgré l’inflation des textes. En 2014, un rapport inter-inspections rédigé dans le cadre de la MAP (modernisation de l’action publique), Évaluation de la prévention des expulsions locatives, mettait déjà l’accent sur la mobilisation trop tardive des dispositifs d’intervention, sur l’excessive multiplication des enquêtes, sur le manque de coordination des diverses instances, sur le déficit de gouvernance au niveau national et local et la carence de moyens. A la suite de ce constat, une instruction de 2017 aux préfets a défini des orientations censées apporter des réponses. Le rapport de 2020 constate sobrement que « l’application de ce texte a été très inégale ». On reprend donc l’ouvrage, faute d’avoir traité correctement le problème il y a 7 ans.

Les 53 propositions du récent rapport porte, comme le précédent, sur l’amélioration d’un dispositif trop complexe, peu lisible et dont les moyens doivent être renforcés : trop d’acteurs interviennent, trop peu en amont, mal coordonnés, souvent méconnus des personnes concernées, avec une disparité de moyens. Le rapport fait le constat de l’engorgement des tribunaux et d’une instruction défaillante des jugements. Enfin, il complète son bilan par une analyse des difficultés de relogement dans le secteur social et des moyens à mobiliser pour mieux les dominer. La lecture du rapport est désespérante tant, dans le détail, l’ensemble des dispositifs paraissent dysfonctionner. L’impératif de simplification et de bonne coordination des dispositifs est évident, de même que celui d’une intervention précoce, le temps jouant contre la prévention. Pour autant, il existe aussi des causes profondes (insuffisance du logement social, incapacité à maîtriser les prix du logement privé, insuffisance des moyens humains des services publics) auxquelles il sera encore plus difficile d’apporter des solutions. La France ne manque pas d’évaluations des politiques qu’elles mènent : elle manque de volonté pour réagir. Plus le problème dure, plus les solutions seront difficiles à mettre en place.