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Assurance chômage : sortir de l’ambiguité

Dans son récent rapport public (https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-rapport-public-annuel-2021), la Cour des comptes consacre un chapitre à la situation et aux perspectives de l’assurance chômage. La situation financière est connue : la crise sanitaire l’a dégradée de manière spectaculaire, tant par la baisse des cotisations que par la prise en charge du chômage partiel, largement ouvert au demeurant. Alors qu’en 2019, le déficit du régime était limité à 1,9 Mds (avec il est vrai, une dette de près de 37 Mds liée aux déficits antérieurs), l’année 2020 se soldera par 17,4 Mds de déficit (avec une dette supérieure à 54 Mds) et la situation ne reviendra pas à l’équilibre en 2021, tant s’en faut.

La question traitée par la Cour des comptes porte surtout sur la clarification entre le rôle de l’Etat et celui des partenaires sociaux dans la gestion de l’assurance chômage. Selon la Cour, c’est cette clarification qui permettrait d’engager une réflexion sur la prise en charge de l’énorme dette accumulée et sur une trajectoire de rétablissement financier. La Cour ne cache pas sa préférence pour une scission de la dette, dont une part resterait à la charge du régime et une autre serait assumée par l’Etat, quitte à ce que celui-ci affecte une recette fiscale à son remboursement.

De fait, la question première est celle de la gouvernance.

Dans un temps pas si lointain, le régime d’assurance chômage était, avec les régimes complémentaires de retraite, une exception dans l’ensemble de la « sécurité sociale » au sens large. La sécurité sociale traditionnelle (assurances maladie, retraite et aide aux familles) est depuis longtemps gérée par les partenaires sociaux mais de manière formelle : ceux-ci ont très peu de pouvoirs, voire aucun, sur la définition des prestations et des ressources financières, où les impôts représentent une part significative. L’Etat décide de presque  tout. L’assurance chômage quant à elle était gérée par des partenaires sociaux qui en définissaient conventionnellement les prestations et le financement, exclusivement par cotisations, à charge pour l’Etat d’approuver au final le texte une fois négocié.

Tout a changé avec l’arrivée du Président Macron, qui a souhaité à la fois universaliser l’assurance chômage en l’ouvrant aux salariés démissionnaires et aux non-salariés (l’idée a fait flop, le système mis en place étant très restreint et peu généreux) et l’étatiser, au moins en partie : une part de financement par l’impôt (la CSG) a été introduite et les cotisations ne représentent plus aujourd’hui qu’un peu plus de 60 % des ressources du régime. De surcroît, la loi du 5 septembre 2018 a permis au gouvernement d’encadrer la négociation conventionnelle de l’assurance chômage, l’Etat pouvant prédéfinir la trajectoire financière qui doit ressortir de la négociation ainsi que l’évolution  des règles d’indemnisation. Le système s’est mis en route en 2018-2019 mais les partenaires sociaux ne sont pas parvenus à un accord sur la base de la feuille de route établie par l’Etat. Celui-ci a repris la main et défini lui-même une réforme des allocations en 2019. Celle-ci, suspendue pendant la crise sanitaire, va s’appliquer dans les mois qui viennent. Qui commande ?  Plus vraiment les partenaires sociaux…

La crise sanitaire a brouillé encore un peu plus la donne : l’Etat a imposé, sans concertation, des dépenses qu’il jugeait utiles, sans l’aval des partenaires sociaux ni même semble-t-il consultation.

La Cour, craignant sans doute que ce brouillage ne soit déresponsabilisant pour chaque partenaire, l’un et l’autre se rejetant la responsabilité d’agir pour redresser les finances du régime, souhaite une clarification des rôles sur la prise en charge des dépenses, la fixation des recettes et la définition des perspectives financières. Elle ne serait toutefois pas hostile à ce que l’UNEDIC rentre dans le champ de la LFSS (loi de financement de la sécurité sociale) pour que des prévisions pluriannuelles soient adoptées par le Parlement. Mesure-t-elle que cette intégration signifierait la fin de toute gestion paritaire de l’assurance chômage, dès lors qu’un vote du Parlement s’appliquerait à sa situation financière ?

Les partenaires sociaux quant à eux refusent cette intégration : un projet de résolution commune devait être rédigé en mars 2021 pour l’affirmer,  qui a, au final, capoté. Dans une note récente (janvier 2021), le Conseil d’analyse économique plaide, à l’inverse, pour cette solution, en élargissant même la vocation de la LFSS à la protection sociale : le CAE estime nécessaire de mieux articuler les prestations de chômage avec les prestations sociales destinées aux bas revenus et d’élargir le champ de l’assurance (indépendants et salariés du public).

Il est sans doute bien tard désormais pour protéger l’autonomie de décision des partenaires sociaux sur l’UNEDIC. Il est probable que l’Etat, qui a déjà pris la main, va la garder, sans pour autant donner davantage de sens à un système compliqué, comme le souhaiterait le CAE. Cette voie n’est pas nécessairement la plus protectrice pour les demandeurs d’emploi ni même la plus opportune pour l’Etat, qui va devoir s’occuper de la dette du régime et de son équilibre financier, avec toutes les difficultés jointes.