L’index d’égalité professionnelle : un outil incomplet

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L’index d’égalité professionnelle : un outil incomplet

Mise en place depuis 2018 par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel,  l’obligation d’établir un index d’égalité professionnelle a couvert progressivement la totalité des entreprises d’au moins 50 salariés. L’index repose sur 5 indicateurs, l’écart de rémunération, l’écart dans les augmentations annuelles et dans les promotions, les augmentations salariales au retour de congé de maternité et la présence des femmes dans les 10 plus hauts salaires de l’entreprise.

Aussi surprenant que cela paraisse, les résultats de l’index ne font pas l’objet d’une étude précise : le ministère se contente de publier la note globale des entreprises qui ont répondu (84 points sur 100 en 2020 et 85 en 2021). Il mentionne son insatisfaction sur deux items, les augmentations accordées au retour de maternité (pourtant une obligation légale) et la parité dans les 10 plus hautes rémunérations. Mais l’on ne saura pas quelles sont les notes obtenues dans le seul domaine de l’égalité salariale ni quels sont les écarts selon la taille des entreprises. Ce n’est guère sérieux.

A défaut de pouvoir commenter les résultats, une note de Terra nova de Janvier 2021 (L’index de l’égalité professionnelle : occasion manquée ou outil prometteur ?) se penche sur l’index lui-même.

Du côté positif, elle note qu’un tel outil marque une exigence non pas seulement de moyens mais de résultats, qui s’inscrit dans une logique contractuelle, puisqu’il existe depuis longtemps une obligation de négocier pour obliger les entreprises de plus de 50 salariés à établir un plan de réduction des inégalités entre les hommes et les femmes. Pour autant, la DARES a montré en 2018 que cette obligation n’était pas respectée dans 60 % de entreprises. En janvier 2018, dans une note pour l’égalité, le CESE (Conseil économique, social et environnemental) relève que 34% seulement des entreprises de 50 à 300 salariés qui sont tenues d’avoir un accord pour améliorer l’égalité professionnelle en disposent et que ces accords ou plans sont souvent vides, avec beaucoup de déclarations d’intention.  L’index vient donc rappeler une obligation oubliée en imposant une publication des chiffres établis sur une méthode commune, notamment pour ce qui est des écarts salariaux.

Du côté négatif, plusieurs observateurs avaient déjà noté que les catégories le plus souvent utilisées pour mesurer les inégalités salariales (par défaut, les 4 catégories socioprofessionnelles traditionnelles) sont trop larges, d’autant que s’applique au résultat un « coefficient correcteur » de 5 %.

De plus, l’indicateur des écarts de rémunération est calculé sur la base des salaires en équivalents temps plein, ce qui gomme une des causes majeures de l’écart salarial, celle liée au travail à temps partiel, apanage surtout féminin. Il est vrai que le travail à temps partiel est une demande des femmes et pas le résultat des politiques de l’entreprise. Cette dernière critique risque toutefois d’être majeure sur l’année 2020, puisque, si les salariés ont été massivement mis au chômage partiel, toutes les catégories de salariés n’ont pas été dans ce cas, ce qui peut fausser les résultats.

En outre, Terra nova note que, au final, malgré l’importance du critère de l’écart salarial, c’est  la note globale qui importe : c’est elle qui emporte des sanctions si elle est inférieure à 75 malgré l’établissement d’un plan de rattrapage de 3 ans après la première constatation. Or, la note globale est bizarrement composée. Les critères d’augmentation et de promotion annuelles comptent à eux deux presque autant que celui des écarts de rémunération (35 contre 40), alors qu’ils sont trop imprécis et donc peu révélateurs d’une politique d’égalité (pas de prise en compte de l’ampleur des augmentations ou des promotions). L’indicateur sur les augmentations servies aux femmes de retour de maternité rapporte lui aussi des points mais n’est pas plus précis : de plus, il s’agit d’un simple rappel de la loi. Celle-ci indique que les femmes dans cette situation doivent bénéficier des augmentations dont ont bénéficié les salariés de leur catégorie pendant leur absence ou, à défaut, de celles accordées à l’ensemble de l’entreprise.  En outre, l’application d’un seuil de tolérance pour certains critères corrigent indûment les résultats…Bref, Terra nova doute de la parfaite pertinence de l’index.

Quelles sont ses propositions?

Terra nova propose de remplacer le critère d’augmentation des rémunérations après congé de maternité par un indice mesurant la part des femmes dans les deux plus bas déciles de rémunération. L’index, construit actuellement sous le prisme du plafond de verre (présence des femmes dans les hautes rémunérations), doit mieux mesurer la « ségrégation professionnelle », c’est-à-dire la présence des femmes dans les métiers les moins rémunérés. Il doit aussi mesurer le recours au temps partiel, même si l’entreprise n’en est pas responsable, pour tenter de le limiter : est alors proposé un bonus pour les entreprises dans lesquelles la moyenne de recours à temps partiel par les femmes serait inférieure à celle du secteur économique considéré.

La proposition la plus ambitieuse (et la plus malaisée) consiste à encourager les entreprises à revoir les classifications professionnelles sur le fondement du principe « à travail égal, salaire égal ».

Ces propositions visent à lutter contre les deux causes majeures des écarts salariaux, qui ne sont pas prises en compte dans l’index : le temps de travail et la « ségrégation professionnelle », c’est à dire les inégalités entre hommes et femmes liés à leur présence inégale dans les différents métiers.

L’index tend en effet à faire penser que l’entreprise est en capacité de réduire les inégalités professionnelles et, en particulier, salariales. C’est sans doute vrai dans certains cas mais les écarts importants viennent d’ailleurs. Comme nous l’apprend l’Insee (Insee première, Ecarts de rémunération femmes-hommes : surtout le temps de travail et l’emploi occupé, juin 2020),  les écarts « bruts » de rémunération (28,5 %) passent à 16,5 % si l’on gomme l’inégalité des temps de travail et à 5,3 % pour un même emploi, si les effets de la ségrégation professionnelle sont annihilés. La mesure de l’Insee présente des incertitudes (des études récentes évoquaient 9 % et non 5 % d’inégalités inexpliquées) et, de plus, nul ne sait trop si ce solde s’explique  par des discriminations ou par une histoire individuelle. Une chose en sûre : comme le dit Jean-François Amadieu, directeur de l’Observatoire des discriminations, la vraie clef de l’égalité professionnelle appartient aux femmes elles-mêmes , par le choix d’un métier, auquel on peut ajouter  le partage des tâches domestiques et de la charge des enfants. C’est en ces domaines que l’action paiera.