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Insee : vers une mesure plus exacte de la redistribution

L’Insee a réuni un groupe d’experts pour définir la meilleure méthode de mesure de la redistribution et donc des inégalités. Leur rapport vient d’être publié en ce mois d’avril 2021. La principale recommandation est d’ouvrir le plus largement possible le champ de mesure de la redistribution, en dépassant les éléments jusqu’ici pris en compte : aujourd’hui, pour mesurer la redistribution, l’Insee compare les « revenus de marché » (revenus du travail ou du capital) aux revenus disponibles intégrant le paiement des cotisations sociales et des impôts directs et la perception des prestations sociales, réduites le plus souvent au champ des allocations familiales et des minima sociaux. Il mesure ensuite l’évolution du rapport interdéciles entre les deux types de revenus, qui, en France se réduit fortement, marquant que l’écart entre catégories sociales se resserre après prélèvements et versement des prestations.

Le rapport d’experts propose d’une part d’intégrer à la mesure le paiement des impôts indirects comme la TVA et les droits d’accise sur l’alcool et le tabac, d’autre part de tenir compte des prestations fournies par la protection sociale (santé) et les services publics (Éducation nationale et enseignement supérieur). La logique plaide pour cette intégration : la mesure de la redistribution est faussée si l’on prend en compte le paiement des impôts et des cotisations sociales sans mesurer l’impact des prestations que financent ces prélèvements.

La proposition se traduit concrètement par la construction, sur le modèle du tableau économique d’ensemble de la comptabilité nationale qui ventile les revenus de la production entre les entreprises, les ménages, les administrations publiques et le reste du monde, d’un tableau distributionnel d’ensemble construit, pour les ménages, par déciles de revenus.

Les résultats, établis sur 2016, sont les suivants : avant redistribution, en ne tenant compte que des revenus primaires, les 10% les plus aisés reçoivent 30,1% du revenu national et les 10% les plus modestes 2,1%. Le ratio inter déciles est de 14. En tenant compte des transferts et en y intégrant une valorisation monétaire des services rendus par les administrations publiques, les 10% les plus aisés reçoivent 19,9% du revenu national contre 6,4% pour les 10% les plus modestes, soit un ratio inter-décile de 3.

Par ailleurs, l’intégration des services publics amplifient la redistribution : la méthode traditionnelle de la redistribution chiffre à 40 % de la population ceux qui en sont bénéficiaires, la nouvelle méthode augmente ce chiffre à 70 %.

Une comparaison des résultats avec ceux des États-Unis montre l’ampleur des différences : après redistribution, les 10 % les plus aisés aux USA gardent 40 % du revenu national. La différence n’est pas liée aux prélèvements mais aux prestations sociales et aux prestations en nature (santé, logement, éducation).

Quelle que soit la méthode, la mesure des inégalités par les revenus monétaires ou non monétaires est, on le sait,  incomplète : le rapport souligne qu’elle ne permet pas de prendre en compte les effets du cycle de vie et les perspectives qu’ont certains ménages modestes (étudiants par exemple) de progresser tandis que d’autres ne connaîtront pas de mobilité sociale. Elle ne prend pas en compte la mobilité intergénérationnelle ni les transferts de capitaux (héritage), ni non plus les inégalités de santé (les personnes modestes reçoivent davantage de transferts en ce dernier domaine mais ne sont pas pour autant dans un meilleur état de santé) ou d’éducation.

De plus, la construction d’un système de mesure des inégalités et de la redistribution repose inévitablement sur des conventions.   Ainsi le système proposé, pour établir une comparabilité correcte, augmente-t-il les revenus des personnes propriétaires de leur logement en y ajoutant un loyer fictif et impute-t-il aux salariés toutes les cotisations sociales, même dites « patronales ». L’imputation des taxes sur la consommation ou du bénéfice des dépenses d’éducation  aux différents types de ménages repose sur l’utilisation d’outils statistiques. Au final, le résultat obtenu est sans doute bien plus exact que le système trop partiel précédemment usité. Mais il devient aussi plus abstrait, s’éloignant de la prise en compte du revenu disponible monétaire, qui était plus tangible, parce que plus quotidien.