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Universités, la transformation qui n’a pas eu lieu

Dans un contexte troublé par la pandémie où les universités sont quasiment fermées depuis des mois, l’Institut Montaigne publie un épais rapport (170 pages) intitulé Enseignement supérieur et recherche, il est temps d’agir. Le lien avec la COVID est fortuit (la rédaction du rapport avait commencé avant mars 2020) mais présent : l’Institut, qui plaide au premier chef pour que la France consacre à l’enseignement supérieur 2 % de son PIB (1,4 % aujourd’hui), considère que la crise des finances publiques liée à la crise sanitaire risque de sacrifier encore davantage ce secteur décisif pour le développement et la souveraineté du pays. Le rapport plaide pour un rapprochement des universités avec le modèle anglo-saxon, tant en termes de financement que de gouvernance. Tout le monde l’a sans doute oublié mais de telles propositions sont très proches de celles qui figuraient dans le programme 2017 du candidat E. Macron. Pourquoi celles-ci ont-elles eu si peu de suite?

 Sélection à l’entrée : une bonne décision insuffisamment accompagnée

 La seule réforme du quinquennat Macron sur les universités est la loi du loi mars 2018 sur l’orientation et la réussite des étudiants (loi ORE). La mesure est importante : elle met en place Parcoursup,  un dispositif de sélection : le terme est toutefois refusé, l’objectif affiché étant de classer les candidats en fonction de leur parcours et de mieux mettre en adéquation les profils et les formations, étant admis que tous les postulants doivent être admis quelque part.

La question de la sélection à l’université était posée depuis longtemps, compte tenu non pas vraiment de la capacité des filières de formation mais du taux d’échec des étudiants : en 2015, 27 % d’entre eux seulement obtenaient la licence en 3 ans et 12 % de plus en 4 ans. L’institution d’une sélection à l’entrée, demandée par des universitaires soucieux de faire jeu égal avec les formations supérieures sélectives, s’est longtemps heurtée à l’opposition des syndicats enseignants et étudiants majoritaires, qui réclamaient davantage de moyens pour accueillir tous les bacheliers candidats. Déjà contraint d’augmenter son effort compte tenu de la démocratisation des études (le nombre d’étudiants dans l’enseignement supérieur a été multiplié par 9 depuis 1960, sachant qu’aujourd’hui 6 sur 10 sont en université), l’Etat n’avait pourtant nulle envie de contribuer davantage.

Si la sélection s’est imposée en 2017-2018, c’est pour des raisons politiques : sans utiliser le terme de sélection, le projet du nouveau Président évoquait la « publication de prérequis » par formation et un « contrat de réussite » entre l’université et l’étudiant. S’y sont ajoutées des raisons conjoncturelles :  pour gérer l’afflux, le gouvernement socialiste précédent avait mis en place, pour l’accès aux filières universitaires, un tirage au sort dont l’absurdité a marqué les esprits. Parcoursup a fourni la seule réponse alors acceptable, d’autant que les précautions de présentation ont été infinies, avec en particulier l’imposition aux universités de quotas de boursiers et de bacheliers professionnels et technologiques et l’insistance sur la prise en compte des candidats sans propositions (41 000 en 2020).

Cependant, l’esprit de Parcoursup (accepter la sélection mais tenter d’en corriger les effets d’éviction) n’a pas été vraiment respecté. L’Etat y a sa part de responsabilité. La Cour des comptes (Premier bilan de la loi ORE, février 2020) lui fait deux reproches : d’abord l’insuffisance des efforts faits pour la mise en place au lycée d’une orientation véritablement structurée ; en second lieu, la mauvaise utilisation des crédits qui ont été prévus, après l’institution de Parcoursup,  pour augmenter les capacités d’accueil, qui auraient dû privilégier la création de places pour les bacheliers hors voie générale, particulièrement insuffisantes en Ile de France. Lors de la campagne présidentielle, E. macron avait promis 100 000 places supplémentaires, au final, il y en aura sans doute environ 30 000, pas toujours bien choisies.

De plus, Parcoursup a démontré combien les universités adhéraient parfois sans retenue au principe de sélection : or ce sont elles qui sont responsables de son application (la plateforme Parcoursup ne décide rien), souvent sur le fondement d’un algorithme de tri purement quantitatif (notes, lycée d’origine) et sans grande intervention humaine. La question s’est alors posée du caractère automatique de la sélection comme de la transparence et de l’équité des critères. Dans une décision du 3 avril 2020, le Conseil constitutionnel a imposé la publication des critères d’examen des candidatures et de la part qu’y prenaient les traitements algorithmiques. Le 3e rapport (février 2021) du Comité éthique et scientifique en charge de veiller au bon fonctionnement du système revient sur cette exigence sans doute mal respectée. Il demande, au-delà de l’exposé, souvent très général et peu éclairant sur les prérequis, une pondération par points des critères quantitatifs et qualitatifs utilisés pour offrir une meilleure prévisibilité aux candidats. La Cour des comptes quant à elle demande l’anonymisation du lycée d’origine, dont l’utilisation conduit à des discriminations, et son remplacement par l’écart entre la moyenne de contrôle continu et celle obtenue au baccalauréat. Il reste douteux que la règle inscrite dans la loi, selon laquelle la décision individuelle ne doit pas être prise sur le seul fondement d’un algorithme quantitatif mais après délibération de la commission d’admission, soit toujours respectée.

Surtout, la mission de mieux accompagner la réussite des étudiants « fragiles » semble bien être passée au second plan : le plan Étudiants 2017 prévoyait, pour les « oui, si » de Parcoursup, des crédits permettant la mise en place d’accompagnements, tutorat et personnalisation des parcours (modules supplémentaires ou allongement de la formation). Les résultats, mesurés par la Cour des comptes et par la Direction de l’Évaluation, de la prospective et de la performance (Réussite et assiduité en première année de licence, octobre 2020), sont en demi-teinte. La DEPP souligne en 2018-2019 une augmentation de 4 points de passage en deuxième année de licence par rapport à 2016 mais reconnaît que la plus grande part tient aux effets de structure, la population des étudiants ayant précisément évolué du fait de la sélection de Parcoursup. La Cour des comptes souligne quant à elle le faible nombre d’étudiants qui bénéficient des dispositifs d’individualisation recommandés.

Une autonomie limitée, voire fictive, et qui l’est restée

Le candidat E.Macron a promis en 2017 de donner aux universités « une autonomie réelle ». Rien n’a changé en ce domaine.

Le terme d’autonomie est très ambigu dans le domaine universitaire : utilisé dès la loi Faure de 1968, qui confère aux universités un statut d’établissement spécifique doté d’instances élues en charge de  fédérer les « facultés » disciplinaires, le terme marque une sorte de révérence plus que la reconnaissance de pouvoirs propres. Quand la loi Savary de 1984 prévoit la signature d’un contrat entre l’Etat et l’université pour financer certains projets, elle donne à l’autonomie un peu de contenu, même si le contrat a toujours porté sur une part très limitée du budget. Pour autant, si les universités sont « gérées démocratiquement », les textes qui leur reconnaissent une « autonomie administrative et financière » (article L711-1 du Code de l’Éducation) sont un peu au-dessus de la main. Certes, la loi LRU (Libertés et responsabilités des universités) du 10 août 2007 a donné de vraies souplesses de gestion : elle a permis au Président de recruter des personnels contractuels (CDD ou CDI) pour toutes les fonctions, y compris l’enseignement et la recherche, autorisé le transfert à l’université du patrimoine immobilier et, surtout, délégué aux universités la gestion de la totalité de leur budget, incluant la masse salariale (75 % de l’ensemble), sous réserve des règles de la LOLF, respect d’un plafond d’emplois et d’un plafond de masse salariale.

La responsabilisation était réelle en termes de gestion et certaines universités ont d’ailleurs eu du mal à anticiper les contraintes, liées en particulier à la prise en compte du GVT dans les prévisions budgétaires, d’où quelques situations de déficit parfois préoccupantes dans les années 2010, en nombre limité toutefois, et surtout, des plans d’économie qui ont heurté les personnels.

Pour autant, l’association des universités européennes place la France parmi les pays dont les universités sont, en 2017, les moins autonomes. De fait, si elles peuvent faire appel à des fonds privés ou développer leurs ressources propres, telle la formation continue, les universités restent très dépendantes du financement de l’Etat : or, si la dépense d’éducation pour le supérieur augmente, la dépense moyenne par étudiant baisse en France compte tenu de l’augmentation constante du nombre des étudiants, atteignant en 2018 son plus bas niveau depuis 2007 (cf. L’état de l’enseignement supérieur et de la recherche, Ministère de l’enseignement supérieur, 2020). Surtout, depuis 2013, l’écart s’accroît entre le coût d’un étudiant en université (proche de 10 000 euros par an) et celui d’un élève de classe préparatoire aux grandes écoles (près de 16 000 euros par an). D’où des plaintes récurrentes sur l’insuffisance de l’encadrement des universités et le sentiment, sans doute fondé, de choix socialement inégalitaires.

Surtout, l’autonomie aurait impliqué (les débats préparatoires à la loi LRU l’évoquent constamment) une évaluation efficace et une exigence d’amélioration des performances. Or, le rôle du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, qui a remplacé plusieurs institutions précédentes, ne fait pas consensus, le ministère étant demandeur d’évaluations permettant de différencier la répartition des moyens, tandis que les universitaires ne veulent que d’une évaluation « d’accompagnement ». Le Haut Conseil est, de fait, critiqué pour ses rapports tièdes, qui évaluent peu les enseignements et n’abordent pas franchement la question des marges de progression.

De toute façon, l’évaluation est peu ou pas utilisée. Si les universités élaborent des critères de performance, présents notamment dans les « contrats de site » signés avec l’Etat et les regroupements territoriaux d’établissements prévus par la loi Fioraso de 2013, leur impact sur l’attribution de financements est faible. L’Etat verse, sur critères historiques, une dotation de service public couvrant 75 % du budget des universités et le reste est composé de ressources propres, parmi lesquelles les financements sur projets (ainsi des PIA, programmes d’investissement d’avenir)  sont limités.

L’adoption du modèle anglo-saxon : une promesse déraisonnable 

Le candidat E. Macron, pour concrétiser l’ambition d’universités puissantes (il entendait « créer des universités de niveau mondial » grâce à une politique de regroupements volontaires), avait promis aux présidents d’université qu’il n’y aurait pas de dégradation du financement par étudiant pendant le quinquennat. Les données actuelles ne permettent pas de mesurer la réalisation de cet engagement mais celle-ci est peu probable, compte tenu de la démographie étudiante, même si les budgets successifs du quinquennat témoignent d’une augmentation des crédits.

Tout comme l’Institut Montaigne, le futur président évoquait également un financement sur résultats :  comme indiqué ci-dessus, on en est loin, surtout sur les critères évoqués lors de la campagne présidentielle, « ouverture sociale » des universités ou « qualité de leur insertion professionnelle ».

Le projet de diversification des  ressources prôné par le candidat semble lui aussi avoir été abandonné.  Le rapport de la Cour des comptes remis en 1978 sur ce sujet (« Les droits d’inscription dans l’enseignement supérieur public ») n’a eu aucune suite. Sans être hostile, la Cour juge qu’une telle décision n’est pas de nature à renflouer les finances des universités :  alors que les besoins sont estimés à 10 Mds, soit une augmentation annuelle de 1 Mds pendant 10 ans, une augmentation de 30 % des droits ne rapporterait que 100 millions par an. Surtout, la Cour ne veut pas laisser les droits à la libre appréciation des établissements : elle souhaite conditionner la décision à une politique cohérente nationalement et propose une augmentation différente selon les cycles ainsi qu’une modification du système des bourses pour prévoir un niveau ne donnant droit qu’à l’exonération des droits.

De même, les engagements du candidat E. Macron à modifier le mode d’évaluation des universités, à les laisser libres de « déployer leur offre de formation » (allègement du cadrage national ?) et libres de recruter leurs enseignants n’ont pas reçu le moindre début d’application.

Cet échec, ou plutôt ce renoncement, n’est pas surprenant. Le modèle des universités américaines sous statut associatif (ou, du moins, des plus prestigieuses d’entre elles, les universités américaines étant très diverses) exerce une fascination certaine sur les décideurs, qui envient leur gouvernance resserrée, leur aisance financière, leur stratégie pour défendre une réputation d’excellence et attirer les meilleurs enseignants, leur liberté totale d’ouverture et de fermeture de postes, la sélection sévère de leurs étudiants. Mesurent-ils que l’aisance ne vient pas seulement des droits d’inscription mais aussi des contrats de recherche que les enseignants chercheurs doivent impérativement décrocher par eux-mêmes, que la concurrence domine le marché, que l’évaluation des enseignants et des formations, faite en interne, est féroce, que les contrats qui les lient à l’université peuvent ne pas être reconduits ?

Un tel modèle est difficilement transposable à des universités françaises paupérisées, gouvernées par des « parlements » bavards et corporatistes, où l’enseignement, parfois très traditionnel sur la forme et sur le fond, est de valeur très inégale, où les activités de recherche sont elles aussi très inégalement investies ? Ce qui devrait inquiéter les décideurs, c’est la médiocrité  d’une part des universités, leur difficulté à s’adapter à de nouvelles missions (on le voit avec les accompagnements promis aux étudiants à la suite de la loi ORE), la faiblesse de leurs performances, la baisse de leur attractivité internationale, l’inégale motivation des enseignants. Comment s’attaquer à cette situation, sans même mentionner le bilan, probablement peu flatteur, de la « continuité pédagogique » durant la pandémie ? La revalorisation du contrat entre les universités et l’Etat, la définition, le suivi et la prise en compte, pour obtenir des financements sur projets, d’indicateurs de performance tenant compte de la plus-value apportée par l’établissement à un public d’origine diverse, un nouvel intérêt pour la pédagogie, des exigences d’implication et de temps de travail à l’égard du corps enseignant, la préoccupation d’une insertion professionnelle mieux réussie, un système d’aides sociales plus favorable, l’acceptation aussi d’une distinction entre des universités vouées à la formation et d’autres qui peuvent concourir en recherche, autant d’engagements plus utiles que les proclamations creuses concernant la liberté de fixer les droits d’inscription ou la première place que doit conquérir la France dans tel ou tel domaine de prestige.

 

Les programmes élaborés lors des élections présidentielles veulent faire rêver les électeurs : ils sont faciles à écrire (ils ne s’encombrent pas d’une préoccupation de faisabilité) mais contribuent, élection après élection, à consolider la défiance de la population envers le pouvoir politique. Les candidats doivent être ambitieux : mais leurs programmes doivent permettre un progrès effectif dont ils pourront rendre compte, pas remuer le vide, sinon, ils favorisent le statu quo, à l’exact opposé de ce qu’ils prétendent vouloir.

Pergama, le 14 avril 2021