Projet de loi 4D: tout ça pour ça

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Projet de loi 4D: tout ça pour ça

Le projet de loi dit 4D (relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant plusieurs mesures de simplification de la vie publique locale) a été adopté en Conseil des ministres le 12 mai dernier. Son histoire est longue : le Président de la République avait annoncé, lors de la conférence de presse du 25 avril 2019 où ont été évoquées les conclusions à tirer du « Grand débat » post Gilets jaunes, un « nouvel acte de décentralisation ». Le projet a donné lieu à plusieurs épisodes de concertation, échanges, propositions. Une réforme constitutionnelle a été préparée, puis abandonnée. Le débat a été recentré sur les modalités et la nature de transfert de nouvelles compétences (logement social, transition écologique, transports, d’autres encore) et le droit à différenciation (possibilité d’attribuer par la loi des compétences spécifiques à une collectivité ou d’en adapter les conditions de mise en œuvre). En décembre 2020, le projet s’est enrichi d’un volet « simplification ». Puis l’on a annoncé qu’il pourrait être abandonné.  Un projet officiel est désormais déposé.

Que contient le projet de loi ?

Le premier objectif de différenciation se décline par l’attribution de nouveaux droits, tel celui donné aux communes de définir le nombre de membres du Conseil d’administration des CCAS (Centre communal d’action sociale) ou de fixer les redevances dues lors de l’occupation provisoire du domaine public pendant des travaux. Faute d’une réforme constitutionnelle, il ne s’agit donc nullement d’accorder aux collectivités un droit général à la différenciation dans l’exercice de leurs compétences mais d’assouplir telle ou telle réglementation précise, ce qui n’a pas le même impact.

Les délégations de compétences entre collectivités sont facilitées mais, à y regarder de près, imposent la mise en œuvre d’une longue procédure de concertation avec les autres collectivités de la région.

Des transferts de compétences de l’Etat sont possibles, à la demande des collectivités, dans le domaine des transports (tronçons de routes nationales, petites lignes ferroviaires…), de la santé (possibilité de financement des investissements des établissements de santé), de la lutte contre la pauvreté (les départements volontaires peuvent participer à une expérimentation de recentralisation du RSA et le département exerce désormais, en lieu et place du préfet, la tutelle des pupilles de la Nation), de l’Education (une expérimentation est lancée pour donner aux départements pouvoir d’instruction aux gestionnaires de collège, qui sont des fonctionnaires d’Etat), de la culture (possibilité de subventionner la création d’un cinéma d’art et d’essai). Là encore, la loi donne un sentiment de pointillisme.

Pour ce qui est de la déconcentration, les préfets reçoivent de nouveaux droits : ils deviennent le représentant territorial de l’Adème et président le CA des Agences de l’eau, ce qui ne changera pas non plus la face du monde.

Quant aux simplifications, le partage des données entre administrations est facilité et les collectivités, leurs groupements et établissements publics peuvent faire aux associations des dons mobiliers.

Cette liste à la Prévert n’est pas exhaustive, il faudrait parler des règles concernant les alignements d’arbres et les conduites de gaz, de l’amélioration du contrôle des SEM locales ou de mesures concernant l’Outre-mer qui sont, dans le même esprit, des mesures limitées d’ajustement du droit dans des domaines très précis.

Comment juger un tel texte ? Comme le note le Conseil d’Etat dans son avis du 6 mai 2021, il ne modifie ni les équilibres institutionnels ni la répartition des compétences, alors même que, dans de nombreux domaines, une clarification s’imposerait. Les principes de différenciation, de simplification et de déconcentration, sont déclinés en une foule de mesures techniques de faible enjeu, avec un effet de distorsion entre les ambitions affichées et leur réalisation. Le projet veut mettre fin à l’irritation ponctuelle des élus territoriaux quand ils constatent que, dans tel ou tel domaine, ils doivent se plier à une réglementation rigide ou inappropriée. Pour autant, en l’occurrence, une démarche énumérative est impuissante : pour avoir un impact, un projet de différenciation ou de simplification doit résulter d’une philosophie d’ensemble clairement énoncée puis appliquée, loi après loi, texte après texte, sur une longue période.

Quant aux mesures de décentralisation (ou de recentralisation), si l’on met à part le transfert des routes nationales, la plupart sont anecdotique et certaines sont ahurissantes :  ainsi, le projet répartit entre les collectivités la compétence relative à la transition énergétique : aux régions la planification et la coordination, aux départements, les dispositions qui, en ce domaine, concernent la santé, l’habitat, la lutte contre la pauvreté, aux communes, la transition énergétique locale. Est-il utile de complexifier ainsi l’attribution d’une compétence ? Le Conseil d’Etat propose, avec sagesse, d’ajouter simplement la transition énergétique à la liste des compétences que les collectivités exercent librement. L’Etat a du mal à être simple…

Jugeant le texte utile mais soulignant l’insuffisance de son ambition, le Sénat annonce des améliorations : demande de transfert de la médecine scolaire aux départements, possibilité pour les grandes intercommunalités de choisir leurs domaines de compétences, renforcement des compétences des Régions sur l’emploi et l’économie. L’on verra si les amendements permettent d’améliorer la cohérence et la portée du texte. Il reste néanmoins inquiétant que, sur un sujet institutionnel majeur (les collectivités, leurs compétences et les moyens de les exercer) l’Etat ait si peu à dire.