Redresser les finances publiques : d’abord, parler méthode.

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Redresser les finances publiques : d’abord, parler méthode.

Le 4 décembre 2020, le Premier ministre a confié à une commission présidée par Jean Arthuis le soin de proposer une stratégie de redressement des finances publiques ainsi que de nouveaux outils de pilotage : le rapport, rendu en mars, propose une réforme de la gouvernance que le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre.  Le gouvernement paraît donc vouloir s’orienter vers une politique de redressement des comptes publics après la crise sanitaire. De fait, en avril 2021, le programme de stabilité transmis annuellement au Conseil de l’Union européenne et à la Commission européenne repose sur un scénario de retour progressif à un déficit public inférieur à celui d’avant crise (2,8 points de PIB en 2027 pour 9 points en 2021), à un niveau censé stabiliser la dette. Ces perspectives de redressement ont soulevé des doutes. Pourquoi ?

Quelle situation des finances publiques aujourd’hui ?

 En 2020, selon les comptes des administrations publiques établis par l’INSEE, le déficit public est de 212 Mds, soit 9,2 % du PIB. Les causes en sont connues : pour l’Etat (déficit de 159 Mds), hausse des dépenses (presque 8 % dans l’année) due aux actions de soutien de l’économie et du revenu des personnes, et baisse des recettes (- 6 %) compte tenu de la baisse de l’activité ; avec 49 Mds de déficit, les administrations de sécurité sociale sont également, en 2020, fortement déséquilibrées : toutes les branches ont été impactées par l’effondrement des recettes. L’UNEDIC (qui supporte 2/3 du soutien à l’activité partielle) et l’assurance maladie ont en outre supporté un surcroît de dépenses.

En conséquence, la dette publique 2020 atteint, avec 2650 Mds, 115 % du PIB.

En 2021, le programme de stabilité ne table pas sur une amélioration de la situation des finances publiques, malgré une prévision de croissance de 5 % proche des prévisions émises au niveau mondial. Il est vrai que, comme le souligne une note de l’OFCE (Perspectives économiques 2021-2022, 14 avril 2021), un tel chiffre ne doit pas dissimuler le maintien d’une certaine faiblesse de l’activité, encore inférieure de 3,7 % à celle de 2019. En tout état de cause, la stratégie gouvernementale consiste à maintenir à un haut niveau, en 2021, les mesures de soutien à l’économie. Les finances publiques restent donc, cette année-là, très sollicitées.

Prévu à -9 % du PIB dans le pacte de stabilité présenté en avril 2021, le déficit public 2021 passerait à – 9,4 % en juin 2021 avec les nouvelles dépenses de soutien inscrites dans le projet de loi de finances rectificatives de juin 2021, qui aggrave de 46 Mds le déficit de l’Etat. La dette dépassera donc sans doute fin 2021 118 % du PIB.

 Quels choix stratégiques sur le plus long terme ?

 Après une année 2022 qui serait également une année de transition (une croissance à 4 %, une forte baisse des mesures de soutien et une réduction du déficit public à 5,3 %), le scénario de long terme du gouvernement (2022-2027) est marqué par plusieurs choix.

D’abord une annulation rapide, dès 2024, de l’écart entre PIB réel et PIB potentiel, la croissance atteignant ainsi son niveau maximum très peu de temps après la crise. Le gouvernement table ainsi sur l’absence de nouvelles difficultés conjoncturelles. Le Haut-conseil des finances publiques valide ce choix, s’agissant d’un scénario prévisionnel de long terme, même s’il est peu évitable que des difficultés conjoncturelles interviennent. Les prévisions gagnent de ce fait en lisibilité : le solde public se confond dès 2024 avec le solde structurel (soit le déficit qui perdure même quand une économie tourne à son potentiel) : or c’est la seule notion qui importe puisqu’elle mesure un déséquilibre structurel et donc durable, plus difficile à réduire en tout cas ;

 Ensuite le gouvernement table sur une augmentation constante du PIB potentiel (soit à partir de 2022 + 1,35 % annuels, niveau d’augmentation d’avant-crise) : le gouvernement table donc sur l’absence d’effets durables de la crise sanitaire sur le potentiel de production, à l’inverse de ce qui s’est produit après la crise de 2008. Cette prévision est optimiste : les effets de la crise sur l’emploi et l’investissement seront peut-être plus longs à résorber que prévu et l’environnement international peut-être plus défavorable ;

 Troisième choix stratégique, le gouvernement entend, à compter de 2023, baisser tendanciellement les dépenses publiques. Hors mesures d’urgence et de relance, il fixe une norme de leur progression en volume (0,7 % par an à partir de 2023), qui concernerait l’Etat mais aussi les dépenses locales et de sécurité sociale. De ce fait, le programme de stabilité prévoit de passer d’un ratio de dépenses publiques de 61,3 % du PIB en 2021 à 56 % en 2022 et à 53,1 % en 2027. Le déficit public baisserait de 4,4 à 2,8 points pendant cette même période, en dessous du seuil de 3 % du PIB fixé par les critères de Maastricht, à un niveau permettant de stabiliser, sinon encore de réduire, la dette publique.

Quel crédit accorder à de tels engagements ?  

 Passons sur le volontarisme dont témoignent les prévisions de croissance après 2022 : certes les sorties de crise ont toujours été lentes et les handicaps du pays qui freinent l’augmentation de la croissance potentielle n’ont pas disparu, qu’il s’agisse du bas ratio population active occupée / population en âge de travailler, de la faiblesse de l’industrie, du déficit de compétences de la population ou de l’insuffisance de l’innovation et de la recherche. Pour autant, la crise sanitaire est spécifique :  la politique de soutien aux entreprises pendant la crise a empêché jusqu’ici des faillites massives ou une trop forte dégradation de l’emploi, la consommation devrait être soutenue compte tenu de l’épargne accumulée et l’effort de relance devrait permettre d’accélérer la reprise.

Le risque du scénario est plutôt dans la prévision de baisse des dépenses publiques.

La norme de progression annuelle des dépenses publiques est basse (+ 0,7 % en volume) : de 2008 à 2019, période qui a connu un réel effort de maîtrise (deux réformes des retraites, gel du point d’indice de la fonction publique, contrainte sur l’évolution de ONDAM, baisse des dotations aux collectivités), la croissance annuelle a été de 0,8 %. Il faudrait, pour crédibiliser une évolution à 0,7 %, dresser la liste des réformes à entreprendre et chiffrer leur impact.

Le programme de stabilité évoque la reprise de la réforme des retraites, mais le projet reste aujourd’hui imprécis et, en fin de mandat, politiquement risqué. En outre, la norme de 0,7 % s’étendant aux collectivités et à l’ensemble de la protection sociale, des outils spécifiques devraient être mis en place pour l’imposer à ces secteurs. Faute d’annonces précises, l’on peut craindre ce que l’on appelle la politique du rabot, dans laquelle toutes les dépenses sont concernées plus ou moins indistinctement, ce qui est faiblement efficace, pénalise des secteurs qui ne devraient pas l’être et représente le contraire d’un choix politique.

Dans ces conditions, le programme de stabilité 2021 rappelle fâcheusement les annonces de 2017 : la loi de programmation 2018-2022 prévoyait, sur 5 ans, de baisser les dépenses publiques de 56,1 à 51,6 points de PIB en faisant passer le solde public de 2,8 à 0,3 points et le solde structurel de 2,1 à 0,8. Pour atteindre ces résultats, l’effort à fournir était colossal mais, déjà, il n’était pas documenté : réduction des effectifs publics sans plus de précision et promesse de « meilleure efficacité de la dépense publique » sans véritable contenu. Le gouvernement annonce aujourd’hui que le débat sur les dépenses à diminuer aura lieu pendant la campagne présidentielle. Ce n’est pas sérieux : propice aux promesses démagogiques et mal étudiées, la période ne se prête pas à la construction d’un plan d’austérité.

Quel intérêt de changer les outils de gouvernance ?

 Le gouvernement table sur la mise en place de nouveaux outils de gouvernance pour appuyer l’effort de redressement des finances publiques, voire y contraindre.

Sur le bilan des règles actuelles, le rapport de mars 2021 de la Commission pour l’avenir des finances publiques (Nos finances publiques post-Covid-19 : pour de nouvelles règles du jeu) comme celui de la Cour des comptes de novembre 2020 (Pour une réforme du cadre organique et de gouvernance) sont d’accord :  les règles européennes, sans doute aujourd’hui caduques, ont été mal respectées ; en France, la loi de programmation pluriannuelle des finances publique, indicative, n’a pas de crédibilité ; les divers exercices de programmation (dont le programme de stabilité) ne sont ni articulés avec ce document ni  entre eux ; les prévisions de long terme ne se sont jamais réalisées ; la gestion des dépenses publiques s’effectue, en réalité, dans un cadre annuel voire infra-annuel ; enfin, les finances publiques sont éclatées et il est très malaisé d’en prendre une vision globale :  le cadrage des décisions budgétaires des collectivités territoriales est spécifique ; certains régimes de sécurité sociale ne rentrent pas dans le champ de la loi de financement de la sécurité sociale ; enfin, pour ce qui concerne le budget de l’Etat, malgré les ambitions de la LOLF, les crédits inscrits dans les « missions » sont loin de récapituler l’ensemble des dépenses consacrées à une politique : il faudrait regrouper des comptes dispersés pour y parvenir.

Pour redresser les comptes publics, les deux rapports prônent le renforcement d’une vision pluriannuelle qui deviendrait applicable à l’Etat, aux collectivités et aux dépenses sociales. L’outil en serait soit une norme d’évolution des dépenses, soit, comme le propose la Cour, la fixation d’« enveloppes » de dépenses larges exprimées en milliards. Les deux rapports recommandent de mettre en place un suivi des écarts entre prévision et réalisation dont serait chargé le Haut Conseil des finances publiques. Vigie budgétaire, celui-ci surveillerait également la soutenabilité de la dette.

Dans l’esprit de ces réformes, une proposition de loi organique a été déposée le 4 mai 2021 à l’Assemblée nationale, qui propose que le budget de l’Etat intègre, pour chaque programme budgétaire, des perspectives pluriannuelles et que la loi de programmation définisse une trajectoire d’évolution des finances publiques sur plusieurs années, exprimée en Mds et en pourcentage.

De telles propositions s’efforcent d’améliorer la clarté des engagements pluriannuels. Pour autant, elles sont dénuées de portée juridique réelle. En vertu de la décision du Conseil constitutionnel du 9 aout 2012, la Constitution ne permet pas de faire peser des contraintes pluriannuelles sur le vote annuel du budget. Au demeurant, à y regarder de près, l’actuelle loi de programmation des finances publiques comporte déjà des normes d’évolution annuelles des dépenses par missions (seulement pour l’Etat il est vrai) sans que cette inscription formelle ait jamais changé les pratiques.

C’est donc une révolution culturelle qui serait nécessaire pour imposer la pluriannualité budgétaire : relevant, sans réforme constitutionnelle, de la « servitude volontaire », ces changements impliquerait une volonté politique partagée qui n’est pas au rendez-vous.

De plus, force est de constater qu’on ne tombe pas plus amoureux d’une courbe descendante du déficit public que d’un taux de croissance. Les Français ne refusent sans doute pas un assainissement des finances publiques. Mais ils accepteraient mal que cet impératif prévale sur tous les autres, d’autant que la structure des dépenses publiques en France est particulière : le surplus de dépenses par rapport à d’autres pays s’explique largement par des dépenses de protection sociale auxquelles l’opinion publique est attachée.

 Que faire ?

Il faudrait donc s’orienter vers des méthodes différentes de baisse des dépenses publiques, davantage décidées à partir de « revues de dépenses », en s’appuyant sur une évaluation de celles-ci et sur l’analyse de leur efficience, en s’interrogeant sur les sources de gaspillage et les rentes de situation injustes plus que sur des normes et des contraintes. Comme le suggère une note du Conseil d’analyse économique (Quelle stratégie pour les dépenses publiques ? Notes du CAE, juillet 2017) une telle entreprise doit plutôt être menée en période de croissance, être couplée éventuellement avec des programmes d’investissement public, préserver les mécanismes de redistribution et certains domaines, notamment régaliens (justice, police), se concentrer sur l’impact du numérique, l’amélioration des systèmes d’information et la modernisation technique. Au final, la France a fait peu d’efforts jusqu’ici de réduction des dépenses et doit en entreprendre. Mais la stratégie doit être à la fois déterminée et prudente, imposant une cohérence de long terme des décisions politiques. C’est sans doute plus difficile que de voter une nouvelle loi organique qui ne sera contraignante qu’en apparence et ne sera jamais respectée.

Pergama, le 14 juin 2021